Tu es mon unique amour [T]

La grande jument baie s'est malencontreusement aventurée dans le territoire le plus hostile qui soit. Elle erre désespérément dans ce désert polaire, et se maudit d'avoir voulu explorer ce territoire. Ses yeux turquoises cherchent une possible issue, un point de repère, ou bien même quelque chose de chaud. Elle est agacée de se trouver dans cette posture, de ne pas se sentir à sa place : de ne pas être chez elle. Elle regrette amèrement le soleil ardent qui anime ses journées.
Et puis soudain elle aperçoit à l'horizon un nuage de buée qui s'élève dans le ciel. Ni une ni deux, elle ne réfléchit pas et prend le galop. Ses lourds sabots fracassent le sol gelé, créant des craquements assourdissants. Elle plonge aisément dans l'un des petits lacs, ferme les yeux quelques secondes et profite de cet instant magique.
Elle les rouvre lorsqu'elle remarque qu'elle n'est pas seule. En dehors de l'eau, sur le bord de la source est allongée une faible jument. Isildure plaque les oreilles contre son crâne et tend le museau vers elle, la renifle avec méprit. Pauvre créature, elle va mourir devant ses yeux. La Reine sort finalement de l'eau pour la rejoindre, bien décidée à l'achever. Et lorsqu'elle se tient debout devant elle, lorsqu'elle la voit de plus près, elle en reste stupéfaite. Le ballon qui sert de ventre à l'inconnue semble vivant. Il bouge, tremble et mute. Grande enfant qu'elle est, Isildure ne comprends pas la situation. Elle fronce les sourcils. C'est quoi cette chose ?

Lorsqu'elle voit la grande dame (qui n'est plus si grande d'ailleurs) qu'elle n'a jamais pu nommer, elle retient un sourire nostalgique. Elle était gentille cette jument. Embêtante mais pas méchante. Dès qu'elle prononce son minable surnom, Isildure lui jette un regard noir de mépris mais décide de ne pas lui répondre ; à la fois courroucée d'être considérée comme une enfant, mais reconnaissante de l'information. Un bébé ? Qu'est-ce que..? Je pense que tu devrai te glisser dans la source. Il sortira plus aisément, conseille t-elle froidement à l'égard de la future mère.

Isildure reste un instant étonnée par la réaction de la grande jument. Elle qui semble si protectrice et serviable, décide de ne pas lui apporter ses conseils ? Et bah. Toutefois, elle n'en est pas déçue.
La grande brune observe la scène avec dégoût. La souffrance qu'éprouve la grise semble fort désagréable, et la reine se demande même si elle n'en décédera pas. Mais lorsqu'elle voit un petit corps humide et brûlant sortir du corps de l'étrangère, elle dresse vivement les oreilles. C'est affreusement écœurant mais légèrement émouvant. Elle observe attentivement la mère lécher son petit, quelque peu intriguée.

Et elle croise Belphégor, qui darde paresseusement ses pupilles jaunes et aveugles sur la jument qui s'éloigne. Elle penche la tête, et la pointe de ses bois effleurent la peau de la fuyeuse, laissant leur empreintes glacées et invisibles sur les flancs de la jument. Elle ne dit aucun mot et ne s'arrête pas, continuant son avancée jusqu'à s'arrêter aux côtés de la jument baie, silencieuse. Ses hanches effleurent les hanches d'Isildure, et son corps dégage une aura froide qui enveloppe probablement la dominante des Sables.
Belphégor immobile a posé son regard fluorescent sur le petit être qui gigote près de la jument blanche, et son visage ne trahit aucune expression. Avait-elle eu des enfants, elle, auparavant ? Sa mémoire s'est effacée. ( la mémoire de Belphégor ! )