ı prendre racine ı

Au bord du vide, elle observe.
Elle n'est pas vraiment sur l'arête d'une corniche. Ni au sommet d'un mont épineux. Juste au bord. Au bord de tout. Au bord de la lave, au bord de la mort mais surtout ; au bord de la vie.

Elle sursaute sèchement à l'intervention soudaine d'un inconnu. Par instinct, même si ses sabots n'ont pas bougé du bord du précipice malgré la surprise, ses oreilles se couchent violemment en arrière, venant s'enfouir sous sa crinière blanche. Elle tourne une mine peu amène vers lui. Elle découvre un étalon tout bariolé, qui semble être jeune, comme elle. « Et alors ? » réplique-t-elle, cherchant les intentions de cet individu.

Une attitude qu'elle déplore. Qui l'agace, plus que tout. Pourtant, elle ne montre rien de son énervement, restant calme et fière. « Tu as l'air bien trop sûr de toi. » déclare-t-elle d'une voix amusée, se moquant de lui et de son estime visiblement surdimensionnée. Elle fait dos au torrent de lave pour lui faire face, à lui. Alors qu'il la détaille, elle ne montre aucun trouble et fait de même, laissant ses yeux noirs déshabiller la parure tachetée de l'étalon en face d'elle. Il doit avoir son âge, être de sa génération. Drôle comme cette génération a vu naître des enfants dont l'estime d'eux-mêmes dépasse l'entendement. Elle fait un pas vers lui, téméraire. « Non, je ne suis pas d'ici. Mais ma mère, oui. » Comme si c'était, soudain, son billet d'entrée aux Sables.

Elle opine. Après tout, elle est d'accord avec lui. Elle aussi s'est forgée une assurance puisque personne n'a été là pour la lui forger à sa place. Loin d'être hautaine, Lövojka a toujours cru en elle. Bien plus qu'aux autres, en tout cas.
Elle sent à son tour son regard réciproque. Qui l'habille, la déshabille. Loin d'être gênée ou mal à l'aise, elle le laisse faire, appréciant le regard qu'il porte sur son corps. Comme si c'était une force de plus. Une corde à rajouter à son arc. Elle ne le lâche pas du regard, néanmoins, retrouvant dans ses yeux les mêmes ténèbres obscurs que dans les siens. Un noir vif, tenace. Un noir profond. Elle ose un sourire espiègle et effronté, s'approchant de quelques pas fluides. « Mieux vaut l'être trop que pas assez. » rétorque-t-elle à son tour, avec un regard mutin.

Ils semblent tous deux avoir reçu une prestance scintillante, subtile et pourtant frappante. Elle l'observe se mouvoir, appréciant ses gestes, son allure. Celui d'un prince. Ou d'un bâtard comme elle, peut-être. Peu importe, au fond. Notre sang ne détermine pas ce que nous sommes, n'est-ce pas ? Elle aussi se laisse faire, en restant sur ses gardes, comme toujours. « Du Nord. » répond-elle, sans lui retourner la question puisqu'il semble évident qu'il vit ici, lui. Elle incline ses oreilles délicatement vers lui, avant de laisser poindre un sourire espiègle.

Légèrement plus grand, oui. Pourtant, elle ne le laissera pas la prendre de haut. Elle ne donne ce droit à personne, sans se placer elle-même au-dessus des autres. Un sourire étire ses lèvres noires. « Appelle-moi Lov. » Il s'est rapproché ; elle n'a pas bougé. Elle ne reculera pas. La proximité commence tout juste à lui plaire, elle ne va pas s'en priver. Elle découvre comme des capteurs sous sa peau qui frémissent au passage d'un contact furtif ou imaginé. D'une caresse qui n'aura jamais lieu. L'imagination dévore les autres sens. Elle incline sa tête sur le côté, laissant sa crinière glaciaire tomber sur le côté. « Et monsieur le Prince des Sables ? »

Ses naseaux se dilatent. Elle se surprend à avoir envie de ce contact qu'il lui fait imaginer. Elle peut sentir son souffle sur son visage, ça l'attire. Pourtant, Lov ne bouge pas. Elle ne fait pas un pas de plus, n'étire pas plus son encolure. Elle conserve ce jeu. Cette tension douce et terrible. Le nom la fait tiquer, elle esquisse à sa réaction un simple sourire en coin, sans dire mot pour l'instant.
Mais la demoiselle n'a pas besoin d'être sauvée. Jamais. « Non, je ne la cherche pas. » fait-elle simplement, d'une voix claire qui n'impose aucune objection. Elle le fixe, le dévisage, le sonde. « Parait que tu as tué quelqu'un. » fait-elle, d'une voix innocente, maitrisant parfaitement l'art de la femme-enfant, de l'inconscience dans ces mots si durs.

« En effet. » Elle, elle n'a pas lâché des yeux l'étalon appaloosa. Elle ne veut pas le juger. Elle veut comprendre. Elle se rapproche de lui, lui imposant de nouveau cette proximité. « Qu'avait-il fait pour mériter cette sentence venant de toi ? » demande-t-elle, toujours neutre.