** What are you waiting for ?

Le soleil avait regagné ses droits après sa lutte acharnée contre un hiver qui avait un peu trop duré. Sa lumière dorée zébrait le corps de l'ébène qui se dandinait sans grand intérêt entre des arbres singuliers. La brise légère chatouillait tellement les arbres que ceux-ci semblaient même en rire.

L'allure fragile, presque dansante, son corps ébène dérivait lentement entre les troncs et le sable qui voletait parfois sous ses pas. Ses crins noirs se balançaient le long de son encolure tandis qu'elle marchait telle une ballerine sur les flancs des collines. Lisy ne prévoyait jamais rien. Au jour le jour elle improvisait et avisait à la minute près chacune de ses journées. Mais aujourd'hui la noiraude s'ennuyait. Terriblement.

Pivotant la tête pour balayer le lieu du regard en faisant la mou, peu convaincue de trouver quelque chose d’intéressant, elle fut au contraire surprise de tomber sur une silhouette tâchetée et se contenta de fixer l'inconnu. Son regard s'était soudain illuminé. L'étalon semblait avoir jeter son dévolu sur de la sève qui s'écoulait d'un des troncs, comme une blessure laissant écouler du sang. "Désolée mais je l'ai vu en première." Jouant d'une voix mielleuse et d'un regard complice, elle se glissa alors entre lui et l'objet de ses convoitises.

Iflosy détestait l'Amour, celui qui fait roucouler les gens, celui avec un grand A mais elle avait toujours adoré jouer les ingénues, se montrer taquine et mielleuse. Le monde était une immense pièce de théâtre et elle, elle jouait le rôle principal ; se parant de masques et de costumes différents à chacune de ces rencontres.

Elle offrit un sourire satisfait à l'étalon quand il transforma la poignée de centimètres qui les séparaient en néant. Ses mirettes sombres, dans lesquelles brûlées un feu ardant animé par l'adrénaline et le goût de l'inconnu, glissèrent délicatement sur son corps tacheté ; comme un serpent glisserait vers sa proie. Il était beau garçon et Lisy avait déjà hâte de voir quel rôle il allait emprunter dans la pièce de théâtre qu'ils s'apprêtaient à jouer. Peut-être jouerait-il son Roméo.

Ses oreilles pivotèrent vers lui quand il lui susurra de venir chercher la sève dans sa bouche le coquin. Et cette fois-ci c'est la petite perle noire qui se rapprocha de lui. L'air malicieux, elle roulait des mécaniques. Iflosy adorait ça, les masques qu'elle enfilait avaient fini par devenir sa réelle personnalité ; une comédienne, délicieusement attachante mais cruellement instable. Elle ne restait jamais longtemps dans le même rôle.

Elle approcha ses lèvres lentement des siennes et les effleura à peine. Elle n'y toucha pas, comme si elles étaient un fruit défendu ; elle attrapa une poignée de crins de l'étalon, tirant dessus pour l'approcher d'elle. "Je doute que vous méritiez autant de faveur très cher." Les lèvres de Lisy effleurèrent la joue de l'étalon et la commissure des siennes. Elle l'avait presque murmuré. Comme si elle lui avouait son plus grand secret.

La noiraude se détourna ensuite de lui, l'air de rien, mimant d'être désintéressée. "Puis de toute façon je n'en veux plus. Je ne voudrais pas avoir les mêmes fesses que vous. " Elle fît quelques pas, mettant entre eux une distance plus acceptable - quoi qu'elle aurait pu rester coller à lui. Puis elle pivota son visage angélique vers l'étalon, une boue boudeuse collée sur ce dernier.  "Et je gagne quoi à venir la chercher ?" Elle était comme une vague, mouvante et changeante. Oh Iflosy, jolie Iflosy.

Son souffle est encore là, sur ses lèvres. C'était là dedans que Lisy excellait. C'était quand elle s'habillait d'un masque, d'insolence et de provocation. Et quand l'inconnu lui répondit, avec arrogance et qu'une poignée de secondes plus tard il réduit la distance qui les séparait, Iflosy planta ses prunelles dans les siennes. Attrapant son regard. Elle colla son chanfrein au sien, ses lèvres caressant les siennes. Elle les effleurait à peine et s'en était presque insolent. C'était un moment hors du temps, hors de tout. Ça avait duré quelques secondes, mais peut être une infinité pour eux. A l'intérieur c'était son coeur qui battait trop vite, bien trop vite.

Et elle l'embrasse. Dans un baiser grisant. Timide. Léger. Aussi volage qu'elle. Aussi fugace que le vent. Un baiser qui n'est qu'une caresse. "C'est tout ce que tu mérites." Un sourire s'attacha sur ses fines lèvres. Et sa langue apprécia le goût de la sève. Et du baiser, aussi peut-être. Lisy était mignonne, toute jolie, craquante même. C'était une gamine, une adolescente pas mûre, encore illuminée par le joyeux brasier de l'innocence. Ses traits et son âme gardaient encore les traces d'une enfance pas tout à fait fanée. Elle était symbole de pureté insolente. Mais Iflosy, c'était tellement plus. C'était des masques. Des fausses apparences.

Elle recule de quelques pas. Changeant de cap, encore une fois. Son regard noir s'attarda sur sa bouche, où autrefois avait brûlé le feu de son baiser. Elle jouait à un jeu dangereux. Elle le savait et la Vagabonde en voulait encore. Mais elle mima l'indifférence. Fermant ses yeux et se tournant à demi, ses courbes effleurèrent le menton de l'étalon.

"Alors ne la gâche pas mon cher. Garde moi la surprise pour une autre fois." Elle affiche une moue pensive, le regard dans le vide, faisant mine de réfléchir. Ils sont si proches, trop proches.