nature morte.

Qu'était-il arrivé ? Pourquoi tout semblait si sombre, par ici ? La vie déroulait son fil dans une valse macabre entre les arbres morts et le brouillard. Le vent balayait les dernières feuilles séchées qui s'accrochaient au sol. Un corbeau, perché sur une branche, croassait son désespoir ; il n'y aurait aucune charogne à ronger ce soir.

Ce scénario sonnait trop macabre pour être vrai. Et pourtant. Pourtant, elle le voyait de ses propres yeux. Ses deux orbes d'ébène scrutaient le paysage avec effarement. GS n'était plus ce qu'il était, de toute évidence. Les terres revêtaient un manteau morbide, une atmosphère pesante planait comme un vautour au-dessus de têtes ahuries, un silence de plomb hantait les lieux… Mais ce n'était pas plus mal, dans le fond, un peu de changement. Elle n'était plus la même, et l'ambiance d'autrefois l'aurait désarçonnée. Ici, aussi étrange que cela pouvait paraître, elle se sentait vivante. Vivante, au cœur d'une nature morte.

RP Avant guerre

Que fais-tu là grand guerrier ? Ne devrais-tu pas être entrain de t’entraîner pour le combat. Demain, c'est le grand jour. Il faudra être courageux, mais ça je ne me fais pas de soucis, tu l'as toujours été. Mais seras-tu à la hauteur ? Et oui.. il faut le dire tu n'es plus aussi vigoureux qu'avant, tu es vieux, tu es faible. Tu ne fais pas ton âge. La dépression t'as fait vieillir, la dépression t'as fait mûrir. Que restes-t-il du soldat que tu étais ? Du Roi du nord ? Sans doute plus grand chose. Bien que la tristesse emprisonne encore ton âme, tes larmes ont cessé de couler, tu as accepté. Accepté ta défaite, accepté tes erreurs, accepté d'avoir été le seul responsable de tes échecs. Que fais-tu là Sydän ? Que fais-tu là ?

Sydän marche le long de la sylve noire, d'un pas lent et fatigué. Il ne trouve pas le sommeil car il sait que l'heure du combat approche. Le grand mâle doré n'a pas peur de la mort, il l'a déjà affronté tant de fois. Toujours vainqueur. Mais sera-t-il toujours le cas demain. L'étalon à vieillit, il traîne douloureuse sa carcasse. Son oeil n'est plus aussi vif qu'avant. Il a peur ce soir. Mais pas pour lui. Non. Il a peur de ne pas avoir la force de protéger ceux qu'il aime, ses seuls piliers qu'il lui reste.

Bien qu'immobile, elle n'en était pas moins attentive. Elle guettait de ses yeux sombres le paysage noir qui lui faisait face, chaque détail était passé au crible. Ses oreilles droites, pointées vers l'avant, filtraient le moindre son. Ses naseaux humaient l'air, prêts à détecter une odeur inconnue comme familière, pacifique comme inhospitalière. Et le parfum qu'elle sentit lui évoqua le mélange doux-amer de l'amour et de la souffrance, des larmes et des rires, de la paix et de la guerre.

Cette odeur ne l'étonnait guère ; elle savait qu'en revenant ici, elle n'allait pas y échapper. Elle ne bougea pas d'un iota. Elle ne percevait pas encore la silhouette du pie, mais ça n'allait plus tarder. Lui aussi devait sentir son odeur, désormais. Elle n'avait pas en tête de fuir, mais plutôt de faire face. Elle ne réfléchissait même pas à ce qu'elle pourrait dire ou faire, la brune faisait confiance à son instinct.

Sydän est en mouvement, comme toujours. Il n'arrive plus à se poser. Il n'arrive plus rester calme. Il n'est qu'une âme errante, sans but ni objectifs. Une effluve de parfum effleure ses vibrisses, il inspire légèrement. Cela lui rappelle le parfum de sa défunte compagne. Anastasia. Pourquoi défunte ? Car elle était partie, jamais revenue. Il était persuadé qu'elle n'était plus en vie. Cette odeur lui donne un peu de baume au coeur, ses souvenirs resurgissent doucement. Tous plus agréables les uns que les autres. Sydän lève le nez devant lui et aperçoit une ombre brune aux allures arabesques lui faire face. Il s'ébroue légèrement, comme si un frisson d'émotion venait de le traverser. " Anastasia ? " dit il, sans y croire même si un fin rictus étire ses lèvres. " Tu es venu me chercher ? " dit il d'une voix ironique, persuadé qu'il était épris d'hallucinations. Il continue sa route, droit devant lui. Sa vision n'est plus aussi nette qu'autrefois, il croit apercevoir une aura autour d'elle mais peut-être est-ce simplement une nuée de lucioles. Quoi qu'il en soit, il compte bien la traverser, si c'est un fantôme elle s'évaporera. Pas vrai ?

Soudain elle l'aperçut, errant comme un fantôme sans but. À sa vue, elle sentit tout de même son cœur se soulever dans sa poitrine. Une vague chaude se déversa sur ses entrailles et elle dut se mordre les lèvres pour masquer les sensations qui la prenaient d'assaut, là, au plus profond d'elle-même.

Elle s'était tellement concentrée pour ne pas flancher qu'elle n'avait même pas entendu ce qu'il avait dit. Il agissait tel un spectre, continuait son bout de chemin comme si aucun obstacle ne coupait sa route. C'est peu dire, il lui fonça même dedans. Elle ne dit rien, se contentant de faire quelques pas sur le côté. Avait-il des hallucinations ? Il la croyait peut-être morte. Après tout, elle avait déserté les lieux bien plus longtemps que la dernière fois. Bien plus, sans mot dire. Elle attendit sa réaction, n'osant plus bouger sur l'instant.

L'étalon continue sa route droit devant lui, le regard figé sur la silhouette fantomatique qui lui faisait face. Plus il s'approche, plus la silhouette se dessine, se matérialise, jusqu'à devenir vraiment réelle. Il avance d'un pas rapide, presque trotté. Prêt à charger cette illusion. Il voulait s'en débarrasser. Alors qu'il avance comme un taureau chargeant le torero, un doute survient. Et si elle était réelle. Non cette impossible. L'étalon accélère la course, mâchoire serrée, il est prêt à la transpercer. Son parfum s'accentue, il croit même entendre raisonner les battements de son coeur dans la pénombre. C'est alors la raison l'emporte, il s'immobilise et freine des quatre pieds, il s'arrête tout proche de la jument, complètement essoufflé, à un souffle d'elle. Paupières closes, il n'ose pas les ouvrir. De peur d'être déçu. Etait-ce vraiment un mirage ? Il sent un souffle chaud glisser dans son cou, comme une caresse délicate. Il se raidit. Immobile. Son coeur rate un battement.

Elle le sentait, à quelques centimètres de son positionnement, son souffle chaud lui chatouillait les naseaux. Il s'était élancé au galop vers elle, comme pour la charger, comme si elle n'était qu'un fantôme dont il voulait se débarrasser - pourquoi avait-il changé d'avis, comme ça, juste devant ses sabots ? Lorsqu'il avait chargé, elle avait fermé les yeux par réflexe. Quand elle les rouvrit, il avait toujours les siens clos. Elle en profita pour le regarder furtivement, pour prendre conscience de l'étendue des dégâts. Les années n'avaient pas été clémentes avec lui, son corps était rué de coups et de cicatrices qui serpentaient le long de ses muscles saillants, mais fatigués. Le sien avait lui-même écopé de quelques balafres, mais pas au point du pie. Tu aurais pu me foncer dedans, Sydän. Je ne t'en aurais pas voulu. Sa voix avait changé. Elle était plus modulée, plus mûre. Son regard était droit, dirigé vers celui du mâle, attendant qu'il ouvre les paupières. Elle avait pris soin de fermer le robinet à sentiments qui s'écoulait en elle, afin de rester mesurée. C'était plus simple, à son sens.

L'étalon garde les yeux clos tandis qu'une multitude de sentiments se mélangent dans sa tête : De la joie, de la colère, de la crainte, de la surprise, du déni, puis encore de la joie, et enfin, de la tristesse et de l'incompréhension. Sa mâchoire reste crispée, complètement verrouillée. Ses muscles tremblent, comme si il voulait retenir une colère sourde qui s'emparait de lui. Il reste immobile et s'efforce de garder les yeux fermés. Non, ce n'est pas possible. Elle ne peut pas être là. " Pourquoi ? " grogne t il, naseaux retroussés. Pourquoi avait-elle décidé de revenir après tout ce temps. Après que toutes les larmes aient été versées, après que la plaie au fond de son coeur ait enfin commencé à cicatriser. Pourquoi revenir alors qu'il venait enfin de se faire une raison, qu'il avait entreprit de reprendre sa vie en main, qu'il avait tenté de construire une nouvelle histoire ? Pourquoi revenait-elle ? Pour tout saccager à nouveau ? Faire renaître le doute ? La culpabilité ? Sydän ne sait plus s'il doit être heureux ou non de la revoir. Elle est celle qu'il avait de plus précieux au monde, mais elle est aussi celle qui l'a plongé dans un désespoir dont il ne pensait pas tomber un jour, il n'aurait jamais crût que l'amour ait pu le faire tomber si bas, et qu'il soit si difficile de ré-émerger.

La brune soupira, le cœur lourd. En effet, c'était une très bonne question. La question à laquelle elle s'attendait. Et elle lui devait des explications, c'était la moindre des choses. Elle n'y alla pas par quatre chemins. Avec la mort de Naska, les disparitions de plus en plus fréquente de Teal, la dégradation de GS, les histoires du Nord… c'était une période sombre, autant pour toi que pour moi, je ne t'apprends rien… je ne me sentais plus à ma place, nulle part. J'étais en proie au doute et au plus bas lorsque Hawk est venue me trouver pour m'annoncer que tu fricotais avec Hérézy. À ce souvenir, elle se pinça la lèvre inférieure. Un flot de chagrin et de colère la parcourut, mais elle tint bon. Cette marque de faiblesse se remarquait à peine. Je me suis dit que tu n'avais plus besoin de moi. Quelque chose se brisa dans sa voix, malgré elle. Je ne dis pas que j'ai bien agi, que c'est excusable ou quoi que ce soit. Mais mon impulsivité a pris le dessus et je suis partie, loin de tout. J'avais besoin d'évacuer toute cette colère, tout ce chagrin qui m'acculaient, je n'étais pas tout de suite en mesure de te faire face, de parler… et sur mon chemin, j'ai rencontré des sbires de mon ancien Royaume. Te souviens-tu de mon frère ? Ce frère, à qui on l'avait promise… elle souffla. C'est lui qui les envoyait me chercher. Il avait besoin de moi pour régler certaines… histoires. Ça me semblait tout indiqué, alors je les ai suivis sans anicroche. Une fois là-bas, ça a pris un certain temps. Et j'avais toujours à l'esprit que tu avais Hérézy, désormais, que tu l'avais délibérément choisie. Je ne te jette plus la pierre Sydän, j'étais loin d'être un puits d'amour et de réconfort les derniers temps, tu avais besoin de quelque chose d'autre… quelqu'un d'autre. J'aurais juste préféré que tu m'en parles et que… Elle secoua la tête violemment, chassant une larme clandestine qu'elle avait vainement essayé de retenir. Non, elle ne devait pas céder aux sentiments négatifs qui tentaient de la submerger. Il fallait qu'elle tienne. Mais ce qui est fait, est fait. Là où je voulais en venir, avec ça, c'est que je suis restée plus longtemps que prévu sur place en partant du principe que tu n'étais pas seul. J'espère que tu as pu… profiter de ton idylle. Sa voix était toujours calme et mesurée, mais désormais teintée d'une pointe de tristesse. Pas d'amertume ou de colère, non, ça, elle était passée au-dessus. Avec le recul, elle se tenait pleinement responsable du revirement affectif de Sydän. Elle n'imaginait pas qu'il ait pu la pleurer ou quoi que ce soit. À la rigueur, elle imaginait qu'il avait essayé de la chercher pour lui parler, tenter d'apaiser les choses, lui dire qu'il l'avait aimée mais que ce n'était plus comme avant, lui annoncer ses sentiments pour Hérézy etc. Mais, ne la trouvant pas, elle pensait qu'il avait fini par abandonner pour retourner auprès de la nouvelle élue de son cœur.

waw ton message est trop chou nature morte. 4210004060

Sydän ne sait pas quoi répondre, il garde les yeux clos pour mieux garder contenance car il sait que lorsqu'il la verra, il ne pourra pas rester de marbre. Ou peut-être a t il peur que ce ne soit qu'un mirage ? Qu'elle disparaisse encore et encore comme dans ses rêves. L'étalon grince des dents, il serre tellement la mâchoire qu'il se blesse l'intérieur des joues. " Je.. je pensais que tu étais morte. " confia t il, d'une voix tremblante. " Hérézy à toujours été ma meilleure amie et ma confidente, depuis toujours. Lorsque tu t'es mis en tête de tuer Isildure, je ne te reconnaissais plus, j'ai très vite compris que rien ne te ferais changer d'avis. J'aimais beaucoup mon frère, mais je pense qu'il n'aurait pas voulu que je mette ma vie en péril pour venger sa mort, surtout qu'au final, ça ne le ferait pas revenir. " L'étalon n'a pas vu la larme furtive s'échapper des yeux d'Anastasia, pourtant il croit percevoir une tinte de tristesse dans sa voix, de remords peut-être ? " Je suis d'accord, j'ai beaucoup été voir Hérézy à cette période là, mais je ne pensais pas qu'elle éprouvait quelque chose pour moi. Un soir, j'étais très mal, Nous venions de nous disputer une énième fois quant au faite de rejoindre les Sables, j'étais parti me calmer et j'ai trouvé Hérézy. Je ne sais pas quelle folie m'a emportée ce jour là mais... je l'ai embrassé. Hawk nous a surpris et il est allé aussitôt tout raconter. " Sa gorge se noue, il est obligé de dilater ses naseaux pour respirer correctement. Il lutte pour contenir ses propres sanglots. " J'ai... j'ai cherché à te retrouver, pour qu'on s'explique. Mais.. tu n'étais déjà plus là. J'ai erré pendant des mois à ta recherche, en vain. Depuis ce jour, je m'étais interdit d'aimer à nouveau, qui que ce soit, pour me punir. J'étais mal, dévasté, complètement désemparé. Mais surtout : vide. Vide de l'intérieur. De longs mois ont passés, ou peut-être années, je ne sais plus bien. Je me suis résigné à penser qu'un prédateur avait dû t'emporter. J'ai erré longtemps, sans but puis un jour j'ai croisé la route d'une petite pouliche orpheline, et complètement traumatisée du nom de Lovokja. Je n'ai appris qu'après que c'était l'un des enfants abandonné de Oroszlàn. La petite semblait si... dérangée. Je m'y suis pris d'affection. Elle était sauvage, il m'a fallut un certain temps pour l'apprivoiser, encore aujourd'hui elle reste instable et imprévisible mais elle progresse beaucoup. Elle est devenue mon nouvel objectif, ma raison de vivre. J'ai laissé derrière moi mon désespoir pour lui consacrer tout mon temps. Bien longtemps plus tard, je me suis remis à voir mes anciens amis : Njörd, Hawk, Winterfell, etc.. Hérézy n'était plus là. Mais c'était peut-être mieux comme ça. Je n'étais pas prêt à la revoir, la blessure était encore trop à vif. Puis un jour nos routes se sont croisés. Nous avons re-parlé comme avant. Elle aussi avait eu bien des aventures. Nous sommes restés ensemble longtemps à nous remémorer les histoires d'antan mais malgré tout ni l'un ni l'autre n'avions tenté de rapprochement. Cela va faire plusieurs mois que je ne l'ai pas vu, elle a disparût subitement elle aussi. Je n'ai plus de nouvelles. " L'étalon soupire, sa vie avait été un échec de bout en bout depuis le départ d'Anastasia. Il n'arrivait plus à ressentir quoi que ce soit, ni haine, ni tristesse, ni rancoeur, comme si son âme avait déjà fait le deuil de sa belle princesse disparût.

En écoutant le discours de Sydän, elle restait coite. Alors, il était parti à sa recherche ! Elle tenta d'avaler la boule qui lui obstruait la gorge, en vain. Oh Sydän. J'étais tellement en colère et blessée que je n'avais pas imaginé que tu puisses consacrer autant de temps à me chercher, que tu te prives de l'amour, je croyais que tu m'avais remplacée, je… J'ai pris ça comme une trahison et je t'ai trahi à mon tour en partant. Je suis désolée. Sa désolation était sincère. Elle baissa la tête, gratta la terre du sabot, soupira. Les mots lui manquèrent l'espace d'un instant, avant qu'elle puisse reprendre. Encore une fois, je n'ai pas la prétention de dire que c'était la bonne solution, je suis vraiment désolée de ce qu'il s'est passé, de cet énorme quiproquo. Je n'avais pas la force de revenir et de faire face au couple que tu souhaitais former avec Hérézy. C'était lâche de ma part, j'ai choisi de fuir. Elle recula de quelques pas pour faire volte face, afin de cacher son visage de celui du pie, qui avait gardé les yeux clos jusqu'ici. Le simple fait d'imaginer qu'il puisse la voir désemparée alors qu'elle avait fui comme une faiblarde la rendait malade. Lui tournant désormais le dos, elle ajouta : En tout cas, je suis contente que tu te sois autorisé un peu de réconfort auprès de certaines personnes après quelques temps. Cette pouliche un peu sauvage dont tu me parles, dont tu t'es occupé, je… Elle rit ; c'était un rire cassé, mais sincère. Tu as toujours été un bon père. J'espère d'ailleurs que tu ne te blâmes pas pour le départ de Teal. Il a décidé de prendre son envol seul, loin de tout, loin de nous, mais ce n'est en rien de notre faute. C'est le destin qui voulait ça. À ces dires, son regard s'éleva vers l'horizon, qu'elle contempla silencieusement.

Sydän laisse ses oreilles pendre mollement en entendant les aveux d'Anastasia. Il ne peut ignorer un sentiment désagréable qui s'immisce au creux de son ventre. Une sensation qu'il semblait avoir oublié depuis longtemps : la peur. Mais quelle peur ? La peur des retrouvailles ? La peur de la perdre à nouveau ? La peur d'être rejeté une nouvelle fois ? Il ne sait pas encore de quelle nature est cette peur, mais une chose est sûre, le pie est terriblement angoissé. C'est alors que la voix d'Ana semble s'éloigner. Son coeur se cristallise. Était-elle entrain de partir ? L'étalon ne peut retenir un petit hennissement inquiet. Il fait quelques pas en avant jusqu'à toucher la croupe de sa promise du bout du nez. Il sursaute légèrement, à la fois surpris et rassuré de sentir sa chaleur. Sa peau est douce, très agréable au touché comme autrefois. Il s'efforce de ne pas ouvrir les yeux pour ressentir son contact le plus fort possible. Il ne sait pas comment elle va réagir mais il ne peut refréner son contact. Il en a besoin. C'est aussi vital pour lui qu'une bouffée d'oxygène. " As-tu des nouvelles... de lui ? " dit il, la voix troublée. De légères larmes glissent le long de ses ganaches sans qu'il ne puisse les contenir. Malgré les paroles rassurantes de Ana, Sydän ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Il est persuadé que si Teal avait été élevé dans un autre contexte, sans tensions, à l'abris des querelles de leur couple, peut-être qu'il serait resté auprès d'eux. Sydän à l'impression de ne pas l'avoir vu grandir, de ne pas avoir passé assez de temps avec lui. Et il s'en veut, terriblement. C'est sans doute son plus grand regret.

Lorsqu'elle se retourna, la collision entre sa croupe et les naseaux de l'étalon la firent frémir. Ça faisait… oh, ça faisait si longtemps qu'elle n'avait pas ressenti la chaleur d'un autre près d'elle, et plus particulier, la chaleur d'un cœur familier. Est-ce que je le mérite vraiment ? C'était la question qui restait suspendue à ses lèvres. Malgré tout, elle maintint sa position, dos contre lui, dos contre la source de son bonheur à laquelle elle avait décidé de renoncer lorsqu'elle était partie. Je n'ai pas de nouvelles à proprement parler. Il est aussi volatile que le vent, aussi imprévisible que le temps. Sur le chemin du retour, j'ai entendu des rumeurs, dernièrement, les gens parlent beaucoup tu sais. Ils parlaient d'un étalon pie aux yeux océan qui jouait les justiciers, je suis persuadée qu'ils parlaient de Teal. Une fois encore, elle rit. À croire que, comme son père, il ne supporte pas les injustices de ce monde. Elle soupira ; mais c'était plus pour réguler sa respiration que pour exprimer un désespoir quelconque. Comme Sydän, quelque part au fond d'elle, elle avait déjà dû faire son deuil. Le deuil de quelque chose de beau.

Néanmoins, quelque chose la tiraillait, dans la voix du pie. Elle était pleine de regrets vis-à-vis de Teal, ça c'était certain. Mais il y avait autre chose. Un sentiment de… était-ce de la peur ? Était-il en proie à une sorte de crise d'angoisse ? À ce moment-là, elle fit une croix sur les principes qu'elle avait fixés. Elle fit de nouveau volte face et ses naseaux vinrent se coller à ceux du pie qui avait tant compté pour elle. Elle ne pouvait supporter son malaise. D'un geste tendre, mais sûrement un peu maladroit, elle dessina une courbe le long de sa ganache, survola ses oreilles, pinça très délicatement la peau de son encolure avant de laisser danser ses naseaux le long de cette dernière. Elle lui mordilla le garrot, toujours avec délicatesse, en espérant que ce manège allait le détendre, lui faire oublier sa peur. Après une minute ou deux, elle refit le chemin inverse le long de son corps et se retrouva une fois de plus naseaux à naseaux contre lui. Elle soufflait de l'air chaud, comme pour instiller une part de réconfort en lui. Son être entier lui sommait de se délasser, de relâcher toute cette pression et cette angoisse accumulées. Sydän, ouvre les yeux. Regarde-moi. Sa voix n'était plus qu'un murmure.

Sydän écoute Anastasia parler de son fils. Il le reconnaissait bien là. Intrépide et fougueux comme toujours. Elle dit qu'il était devenu justicier. Quelle belle ambition, pourtant le père ne peut s'empêcher d'être inquiet. La vie est si fragile, et si il lui arrivait quelque chose ? Malgré tout, le pie doit se résigner à le laisser faire ce que bon lui semble, il ne pourrait pas le protéger toute sa vie, juste espérer qu'il ne rencontre pas trop d’embûches sur son chemin. Le corps d'Ana se dérobe sous ses naseaux, assez subtilement. L'étalon reste immobile bien que frustré. Refusait-elle son contact ? L'étalon sent une pointe d'amertume s'immiscer dans son coeur, il crispe la mâchoire de déception mais ne dit rien. C'est alors qu'il entend ses pas feutrés se rapprocher de lui, l'étalon dresse les oreilles. Leurs museaux se joignent subitement, il ne s'y attendait pas et a un mouvement de recul, comme un animal sauvage qui n'est pas encore apprivoisé. Cependant l'étalon se fait violence et reste immobile lorsqu'elle vient passer ses naseaux circulairement sur le haut de son front, puis le long de son encolure. La peau de Sydän tremble un peu sous son contact, il est sensible. Cela fait si longtemps qu'il n'a pas reçu de caresses sur son corps meurtri. Les derniers contact qu'il avait avec ses congénères étaient plus souvent des coups. Il lui faut un certain temps pour s'habituer à cette tendresse qui lui semble si étrangère, bien qu'agréable. Ses naseaux frissonnent, anxiété, excitation, émotion ? Un tout mélangé. Son nez semble ronronner légèrement. Lorsqu'elle vient glisser de nouveau ses naseaux sur son visage, l'étalon ne peut réprimer un frisson agréable. Il l'a devine face à elle. Son souffle chaud glisse dans son cou comme une caresse charnelle. Une étreinte invisible mais qui la rend si désirable. Lorsqu'elle lui demande d'ouvrir les yeux, l'étalon hésite. Il a peur. Non pas d'être déçu, mais simplement d'affronter son regard. Il inspire à fond, naseaux toujours liés puis ouvre les yeux lentement. Il l'a découvre graduellement, comme un rideau qui se dérobe pour laisser entrevoir les acteurs principaux d'une pièce de théâtre. Ses yeux clairs sont brillants, d'un bleu étincelant malgré les années. Instantanément, ils se remplissent de larmes lorsqu'il croise son regard couleur noisette. Il éclate en sanglot, piteusement et arque l'encolure vers l'avant. " Je ... Je suis désolé " lâche t il, lèvres tremblantes. Même s'il s'est déjà excusé plusieurs fois, il ne pouvait s'en empêcher. Il libère ainsi les poids pesant sur son petit coeur meurtri.

Elle ne parvint pas à retenir la larme qui s'écoula le long de sa ganache quand ses yeux rencontrèrent les siens pour de bon. C'est moi qui suis désolée. Désolée de ne pas avoir été à ta hauteur… J'ai beau le taire, feindre l'ignorance, personne n'y croit, n'est-ce pas ? Elle baissa la tête, se sentant faible. Extrêmement faible, et vulnérable. Au fond, cette rencontre était bien plus douloureuse qu'elle ne l'avait imaginée. Au bout d'une poignée de secondes (ou de minutes ? Elle n'avait plus la conscience du temps…), son regard se planta à nouveau dans le sien. Je n'aimerai jamais quelqu'un d'autre comme je t'aime, Sydän. Tu es… dans mon cœur, ma tête, mon âme, quoi qu'il arrive. Mon départ était une grossière erreur, j'aurais dû venir te voir et comprendre ce qu'il s'était passé avec Hérézy. J'aurais dû venir TE voir, même si ça me fendait le cœur. J'en paye le prix tous les jours, mais je me dis que ce départ faisait probablement partie de notre destin. Je devais partir. Je préfère le voir ainsi. Elle se perdit dans son propre flot de paroles. Elle prit le temps de respirer, avant de révéler ce qui la tracassait. Je te connais par cœur, depuis toujours. Quand nous nous sommes rencontrés nous n'étions encore que des enfants. Et c'est aussi pour ça que j'arrive à savoir quand quelque chose ne va pas. Et quelque chose te turlupine, au moment où je parle. Tu prépares quelque chose, et tu crains pour ta vie. Je le sens au plus profond de moi-même. Elle avala sa salive. Elle espérait tellement avoir tort… mais elle sentait qu'elle avait raison. Elle sentait sa peur, au fond de ses tripes, et ça la rendait malade. Adieu le masque de l'indifférence.

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