horrorgram

Il neige doucement. Ironiquement, c'est ainsi le lieu qui ressemble le plus à son ancien chez-lui. Redjim s'ébroue, se débarrassant en partie de la cendre collante. Ses espoirs de trouver ici de quoi manger semblent bien vains. Peut-être est-ce le monde s'évertuant à le vouloir mort. Ou alors, il est déjà mort, et son enfer à lui est de pleurer la mort de sa femme, traînant sans fin son corps cabossé dans des terres désolées, agonie éternelle.
Outch, tu parles de pensées encourageantes. Le louvet lève la tête pour contempler le ciel d'un gris profond. Un flocon de cendre tombe dans ses naseaux, le faisant éternuer.

/ LOV

Elle aussi, elle trouve que ça ressemble à de la neige. Une neige grise, salie, amochée. Des flocons grisâtres zigzaguent dans l'air, emportés par des courants tantôt frais tantôt brûlants. Elle déambule, l'âme vide, le regard noir mais juste noir ; nulle flamme, nulle étincelle. La lionne semble éteinte, elle erre comme un fantôme, les yeux écarquillés.
Parce que dès qu'elle les ferme, elle se retrouve projetée dans les galeries.

Redjim éternue horrorgram 3744804541

Un bruit la fait frémir. L'air s'est tendu, ses muscles aussi. Elle plisse les yeux, cherchant l'intrus. Elle ne sent rien, ici. Rien sinon la mort, le feu, le charbon. Pourtant, elle le voit et le reconnait au premier coup d'oeil. Mais elle ne s'élance pas vers lui. Parce qu'elle a peur. Peur que cette guerre et ses conséquences l'aient fait changé. Peur que ça l'ait faite changer, elle aussi. Elle se contente de marcher dans sa direction, son unique oreille tendue vers son frère.

Il la voit venir à elle. Lui non plus ne s'élance pas, trop diminué physiquement. Et puis, il voit l'expression fantomatique de sa sœur, et lui-même a un trop grand trou dans la poitrine. Elles vont être sympas, ces retrouvailles post-bataille. Il boitille lentement, la laissant faire le plus gros du chemin. Le louvet ronfle doucement des naseaux pour la saluer. Il la détaille, tête un peu inclinée. Ils sont tous deux amochés. Il n'avait pas eu le temps de remarquer son oreille arrachée. " Tu es partie si vite " se souvient-il. Que s'est-il passé dans les galeries pour elle ?

Elle l'observe, voit les marques, les blessures, et elle sait que celles qu'elle ne voit pas sont pourtant les plus terribles. Elle hoche simplement la tête. Il le fallait. Il lui avait semblé être restée des années dans ces galeries. Elle qui y a déjà passé des mois entiers, encore un royaume connu qui était devenu étranger. Pire, effrayant. Une maison qui devient prison. Elle avait dû s'enfuir à toutes jambes pour respirer de nouveau, loin. Pour pleurer aussi, longtemps. Elle l'interroge du regard, ne lui demande pas comment il va. Parce qu'elle sait que sa douleur n'a pas de réponse.

" Que s'est-il passé ? " demande-t-il directement. Sa sœur sait éviter les questions auxquelles elle ne veut pas répondre, alors il put se permettre.

Elle le fixe un long moment sans répondre. La bouche entrouverte, les mots refusent de sortir. Elle baisse les yeux, les rivant au sol. J'ai été trahie. Elle a le souffle court, le cerveau en compote. Pendant l'affrontement contre Soshan, Asmund a tué Sydän de sang froid.

Red en est bouche bée. Sÿdan ? Asmund ? Pourquoi... ? " Oh, bon sang ! " peste-t-il en songeant à Isildure. Elle et sa rancœur éternelle... C'était ça, c'était sûrement à cause des Sables. Merde... En soit, Redjim et Sÿdan n'avaient jamais vraiment été amis. Leur relation avait été houleuse, pour se lisser sur la fin. Mais cette révélation était assez choquante en soit, pour Asmund. Le petit léopard aux airs de sage cachait bien un fauve capable du pire.
Et puis, à voir l'expression de Lov... Ils étaient proches, non ? Tout comme il avait été proche de Maddison, Sÿdan s'était lié avec la deuxième fille d'Oroszlàn. " Je suis désolé Lov... " Il se tait un instant, vraiment désolé. " Que comptes-tu faire... ? " Ignorant le lien unissant Asmund et Lov, Red craint que sa sœur fasse n'importe quoi en conséquence de cet acte.

Elle hausse les épaules, comme si elle se refusait de montrer devant son frère comme ça peut la toucher, l'anéantir, la briser. Pourtant, sûrement le lit-il aisément. Il est celui qui la comprend le mieux, depuis toujours. Elle regarde ailleurs, comme pour se concentrer, se recentrer. Redevenir cette lionne de pierre et de glace, protégée derrière des murailles plus hautes que n'importe quel arbre. Je voulais le tuer. Son ton est si froid qu'il en devient angoissant. Ce n'est pas difficile de comprendre qu'elle parle sérieusement. Pire ! Qu'elle en aurait été capable. Sydän m'a élevée, parce qu'à part toi, je n'avais personne. Il me fallait un autre pilier. Plus âgé. Comme un.. père. Elle baisse les yeux. Elle est si faible. Les larmes montent et elle tente encore de les refouler. Elle frappe le sol violemment. Et il l'a tué si froidement ! Sous mes yeux ! Devant moi, comme s'il.. comme s'il ne voyait pas que ça me touchait. J'avais promis.. à Sydän que je le protègerai pendant la guerre.. J'ai échoué. Et Asmund je.. j'aurais voulu avoir la force de le tuer ! Mais je crois que.. je crois que je suis trop attachée à lui.. D'où la raison de se sentir trahie de la sorte, partagée entre sentiments et valeurs, entre désir et honneur. Trop dur encore pour elle d'envisager qu'elle puisse aimer quelqu'un. Elle lève un regard timide vers son frangin, lui seul a toujours su la comprendre, ne va-t-il pas la juger, aujourd'hui ?

Sÿdan, un père... Ouais. Il doit toujours plus à ce vieux nordiste qu'il ne croit. Pour Lov, pour Mad, pour Leia et Robin. Pour son père aussi, sans doute. Dommage que lui-même n'ait jamais vraiment su l'apprécier ou lui être redevable. L'amour est là, pourtant. Celui que sa sœur éprouve pour le disparu. Et pour Asmund... de la haine ? Et autre chose. Il ne cherche pas à la calmer, à apaiser ses mots. Il faut que ça sorte. Red la couve d'un regard inquiet et bienveillant, devinant sa tourmente. Elle doit être déchirée. Elle aura mal pendant longtemps. Il le sait, car il est dans le même cas. La peine de Lov résonne avec la sienne et il se force à repousser son propre chagrin pour se concentrer sur sa petite sœur. " On ne peut pas toujours réussir. Il a eu une belle vie... " Il s'interrompt, la gorge nouée. Et Céleste, elle avait eu une belle vie ? Hein ?
Dans le regard de sa sœur il voit une lueur nouvelle. Une affection inquiète. Il se souvient de leur discussion sur son incapacité à se lier à des gens. Il saisit l'opportunité pour orienter le sujet sur un pan moins douloureux. " Comment ça, ptite sœur ? Tu as réussi à ouvrir ton cœur ? " la taquine-t-il d'une voix douce comme on soulève un visage pour le tourner vers le soleil. Le temps sera un allié pour apaiser les maux ; et en attendant, il faut se forcer un peu à voir la lumière.

Elle hausse les épaules. Une belle vie. Peut-être. Au fond, la majeure partie de la vie de Sydän, Lov ne la connait pas. Elle n'était simplement pas là, comme très souvent. Elle ne répond rien, plongée dans ses pensées. Elle aimerait demander à son frère comment il gère la disparition de Céleste, mais elle a peur de lui faire plus de mal encore. Parce qu'elle refuse de se dire qu'il peut être anéanti. Parce que Red est fort, pour elle, il est éternel, intouchable. Il dérive sur un autre sujet, peut-être en pensant que cela est mieux mais vu la difficulté qu'a Lov à s'exprimer sincèrement, c'est pas gagné. Elle regarde ailleurs, comme si elle avait honte.
Honte de s'être laissée piéger. Car l'amour est un piège et tôt ou tard, ses crocs se referment. Je ne sais pas. Comment savoir ? Elle-même ignore ce qu'il y a, dans son coeur. Autre que ce qu'ils veulent tous croire : rien. Mais j'ai envie d'essayer. Mais c'est.. compliqué. Elle baisse les yeux, confuse. Compliqué à cause de ce qu'il a fait. J'aurais l'impression de trahir Sydän en tentant quelque chose. Compliqué parce que j'ai eu une relation avec Hooker et que je me suis enfuie avec l'enfant. Compliqué parce qu'il est bon. Et que j'ai peur de le détruire.

Red secoue doucement la tête. Difficile d'être loyal envers tout le monde dans leur société pleine de tensions. " Les gens t’appellerons traître ou lâche quoique tu fasses. " Il l'avait personnellement vécu. " Alors reste surtout fidèle à toi-même. " Ne lui avait-il pas déjà dit ça, un jour ? Tu radotes, Red. Il s'avance et cueille sa sœur dans une étreinte apaisante, en tous cas pour lui. " Tu verras bien. Les sentiments, ça se contrôle pas, et ça peut évoluer vite. Te prends pas la tête maintenant. Tu es jeune, tu as encore tant de temps devant toi pour vivre tout ça... " Il lui baise l'encolure, heureux de sentir son odeur de si près. " Et puis... Dans tous les cas, tu peux compter sur moi pour être là. " Même si elle le sait déjà. Il aimerait ne plus avoir à rien juger de toute sa vie. Asmund, Hooker, peu importe qui Lov étreint. Peu importe même si un autre enfant meure. Il est trop las pour désirer le 'bien'. Fêlé. Moment de faiblesse. Il aimera sa sœur toute entière.[/b]

Il a sûrement raison. Ses mots plein de bon sens résonnent à l'oreille de la femelle, qui leur trouve enfin un sens propre. Comme si pour une fois, elle l'écoutait vraiment. Elle se laisse aller contre lui, à la fois surprise de cette étreinte et tellement soulagée. Oui, il a raison. Il est là. Il est encore là. Il sera toujours là.
Elle force contre lui, se serrant plus encore contre son frère, voulant presque se fondre en lui. Elle ne relève pas les yeux, ne bouge pas, restant là, lovée contre lui. Mais sa bouche s'articule, et un peu maladroitement mais avec toute la sincérité du monde, elle murmure : Moi aussi, tu sais, je serai toujours là pour toi. Tu peux compter sur moi. Je t'écouterai toujours.

L'émotion le prend, submerge son esprit éreinté. Elle est là pour lui... Oui, et il n'a jamais autant eu besoin d'elle. Elle est son pilier. Il a besoin d'elle. Il a besoin d'elle. Il a besoin d'elle. Il la serre encore plus fort et se met à pleurer, un peu bêtement peut-être.