/ shadows.

/ LÖVOJKA

Elle n'a pas peur des spectres, ni des fantômes. La nuit est tombée, pourtant une aura presque dérangeante est restée coincée dans le bois, retenu entre ses arbres fins en longilignes. Elle n'est qu'une ombre qui déambule au petit trot, appréciant cette impression d'être entre la vie réelle et l'imaginaire.

Mais la lionne se fiche bien des araignées et autres insectes pullulant. Elle finit par ralentir, sans avoir remarqué Nyveèn bien que son odeur lui emplisse soudainement les naseaux. Elle s'immobilise alors, son unique oreille valide penchée vers l'arrière en décortiquant les alentours de ses yeux plus noirs qu'aucune araignée ne pourra l'être.

Elle attend, patiente, que l'akhal se montre et la rejoigne. Elle observe son corps fin et sinueux sans un mot, la laissant venir à elle, son unique oreille restant penchée vers l'arrière. Ton avis sur ma personne n'est pas spécialement celui que j'écouterai le plus, Nyveèn. Elle la détaille, et d'une voix ferme, lance : Que veux-tu ?

Bluffant, oui. Humiliée publiquement par les paroles de Nyveèn, la lionne détourne le regard, les dents serrées. Elle a envie de la tuer, de le tuer lui, de tous les anéantir. Pourtant, Nyveèn ne lui a rien fait. Après tout, elle ne fait que constater ce qu'elle sait déjà elle-même. Sa vie n'est qu'un échec constant. Elle ne réussit que quand elle est insensible, froide, agressive. Peut-être était-ce une erreur de s'être adoucie, d'avoir eu l'espoir incertain que la vie pouvait être belle. La vie n'est rien de tout ça, pas avec elle. Elle ne l'a jamais été, elle aurait dû deviner qu'elle ne le serait jamais. Non, je ne le connaissais pas vraiment, affirme-t-elle en détachant chaque syllabe, contrôlant sa colère, sa rage, cette haine qui la maintient en vie depuis toujours. Elle tourne la tête pour plonger ses billes d'obsidiennes dans celles de l'akhal. Mais maintenant oui. Sa voix est brûlante et glaciale à la fois. Elle incline son unique oreille encore valide, quêtant la réaction de Nyvèen. Après tout, peut-être qu'elle peut lui apprendre quelque chose. Comment va-t-elle ?

La lionne ne peut réprimer une mimique de surprise. Alors, elle ne sait pas ? Elle s'imagine que tout le monde sait. Que tout le monde sait quels crimes involontaires elle a commis. Ceux pour lesquels elle a été punie. Elle fronce les sourcils avant de soupirer. Quand je suis tombée enceinte de Hooker, j'ai éprouvé le besoin inconditionnel de m'enfuir. Il me fallait partir, vite. Si j'avais pu laisser l'enfant que je portais à son père, je l'aurais fait. Je voulais juste être loin et seul. Elle fait une pause, observe le vide devant elle. Elle se souvient encore de ce besoin urgent et entêtant. Elle n'en dormait plus. Asmund pense que c'était uniquement pour blesser son frère que j'ai fait ça. Que c'était un attentat envers sa famille. Il ne réfléchit pas plus loin, soupire-t-elle de nouveau. En guise de remerciement sur la santé de sa fille, Lov hoche la tête. Puis, elle lui pose une question qui l'obsède. Qui l'a allaitée ? Elle craint sa réponse, croit la connaître, espère qu'elle se trompe.

Et Lov n'a pas envie de chercher l'anguille sous roche, elle se contente d'accepter cette réponse, préférant l'ignorance sûrement. Elle ne répond rien, se contentant d'un soupir à peine audible, ses flancs se soulevant lentement. Ses muscles restent tendus, comme de vieux réflexes, comme si elle ne se reposait jamais réellement. Pas même la nuit. Surtout pas la nuit, en fait. Elle dort la journée, par micro-siestes organisées. La nuit, c'est là que les démons rôdent. C'est là qu'ils peuvent avoir sa peau si elle abaisse sa garde. Elle se déplace un peu, l'invitant peut-être à marcher pour dérouiller ses articulations lourdes.

Il est vrai qu'elles sont les parfaits contraires, tant physiquement que psychologiquement, du moins aux premiers abords. Si Nyveèn est fine et gracieuse, Lov porte un bagage conséquent de muscles épais. Si la première est plutôt sans filtre et directe, Lov reste peut-être plus secrète, plus détournée, moins franche aussi. Nyveèn la suit, et la lionne tourne simplement la tête pour lui répondre. Je traverse le bois pour rejoindre la banquise. Le seul endroit où elle se sente réellement bien. Un tantinet « chez-elle » si elle peut oser dire ça, solitaire affirmée. Le seul territoire qui lui rappelle le Nord, celui où elle est née, où elle a grandi et toujours vécu. Celui où elle pouvait se tapir des semaines durant, celui qui était une prison douce et dorée. Puis toi ?