Elle a gommé les chiffres des horloges du quartier.

Maya errait, indécise, à travers le Ranch Désinfecté. Elle attendait la venue d'une simple personne, en fait, elle l'attendait depuis son retour sur les terres. Elle devait lui annoncer la naissance de sa fille, Roona. Tel un lion en cage, ou plutôt une tigresse, elle couchait les oreilles, impatiente. Pour faire passer le temps plus rapidement, l'alezane se mit en tête de sauter quelques obstacles malgré sa haine envers les compétitions et les hommes.

Gardant ses émotions tacites, il erre sur ses terres d'une marche lasse. Il n'a jamais songé à un jour où il la reverrait, pour lui elle est comme morte. Enfin était, puisque ses yeux s'accrochent à une silhouette équine qui lui inspire cette jument. Il s'imprègne de l'odeur qui flotte dans l'air. C'est bien elle. Que faire ? Il ne s'y est pas préparé. Il maintient son expression impassible, progressant vers elle en demeurant mort extérieurement. Il ne doit pas montrer son affection, ainsi que sa déception devant celle qui en est la cause. Il hennit, un hennissement rauque et froid, tout en étant autoritaire. Il veut qu'elle vienne, cesse son activité et finisse le reste de la distance qui les sépare. Il s'immobilise, attendant la tête bien droite.

Au son du hennissement froid, dépourvu d'émotion, et pourtant si familier, la rousse cessa son activité infantile. Elle fit une brève analyse des lieux pour localiser la provenance de l'odeur qui lui titillait les naseaux depuis quelques minutes. De la buée s'échappa lentement de ses naseaux lorsqu'elle expira longuement en le voyant. Maya ne savait pas sur qui rejeter la faute. Quelle égoïste elle faisait, en lui disant de ne jamais partir sans la prévenir, alors qu'elle même n'a eu aucune rancune en quittant ces terres quelques semaines pour vivre paisiblement avec sa fille, jusqu'à ce qu'elle soit assez forte pour rencontrer son paternel. Être une traîtresse ou se sentir trahie ?
La question ne se posa même pas.
En voyant l'expression de pierre de Logan, elle vacilla en croyant que son absence ne lui avait rien causé, qu'il la chasserait sûrement de son territoire.
Elle mit pourtant rapidement un terme à la distance qui les séparait, et enfouit sa tête dans la crinière de son bien-aimé.
« Pardonne-moi. »

Il ne s'ébranle pas au contact de la jument, il demeure dans le même positionnement jusqu'au bout. Ses prunelles sombres ne trahissent pourtant pas son ressenti, ce que son cœur crie à l'intérieur de lui. Son esprit canalise tout cela pour qu'il ne montre que l'étalon froid d'autrefois, celui dont l'amour ne l'a pas atteint. Ce sentiment rend n'importe qui faible et Logan a été touché par la flèche de la passion qu'on éprouve pour un être.
« Pardonne-moi. » Ces mots cognent au creux de ses oreilles, lui arrachant un frisson qui mélange rancœur et frénésie de l'amour. Il ne doit pas capituler aussi vite et dégager la consternation que cet abandon lui a affligé. Il n'est pas question simplement de Maya mais aussi de leur enfant qu'elle lui a arraché sans scrupule, qui n'a même pas vu naître et qui n'est un simple inconnu pour leur rejeton alors qu'ils s'étaient décidés à deux. Il souffle, gronde et s'expose tendu.
« Aurais-je le droit à une explication ? », il articule cette question ordinaire à la situation présente en dissimulant sa haine et son dégoût dans un ton flegmatique. C'est tout ce qu'il demande pour agir selon les circonstances. Et puis, il songe à ce qui s'est passé après le départ de Maya, un départ qu'il a cru définitif donc il s'est laissé entraver par d'autres émotions.

L'impassibilité de l'étalon la déconcerta, en même temps, à quoi s'attendait-elle ? A ce qu'il saute de joie ? Qu'il se contente de lui dire « Mais oui, tout est oublié. » ? La jument croisa son regard, et elle y perçut tout le dégoût que le mâle pouvait contenir en lui. Elle fuit alors ses yeux, trop faible pour le défier maintenant. « Ta fille.. Elle est belle, tu sais. » Dit-elle tout simplement pour éviter sa question. Elle s'en voulait vraiment d'être partie comme ça, mais pourquoi ne l'avait-elle pas prévenu ? Oui, tout était seulement de sa faute. Elle attendit alors sa réponse, le verdict pesant, le verdict final de Logan. Sera-t-elle chassée d'ici ? Une vie de solitaire, de bannie.. Il n'y avait rien de pire pour une mère et sa fille, surtout au moment des chaleurs.

« Ta fille.. Elle est belle, tu sais ? » Les lexèmes de la jument évoquent l'agacement chez l'étalon. Ne réfléchit-elle donc pas avant de parler ? Comment peut-il savoir qu'elle est belle ou autre puisqu'il n'a jamais eu la chance de la voir, de la contempler, de faire partie de sa vie quoi. Maya le lui a arraché, sans lui en parler. La colère fulmine en lui. Un sentiment nouveau pour l'étalon. Il n'a jamais été submergé par une haine aussi intense. Mais cette haine n'est pas la seule malheureusement. L'amour dont il est piqué brûle en lui désagréablement. Il mord ses lèvres, une traînée de sang s'en découle. Il dévoile tout, ne dissimule plus rien. Dans son regard, on peut lire la colère dérangeante. C'est la première fois qu'il fait cela, qu'il est comme cela. Contrôlé par l'exécration, il s'approche de la jument, il est prêt à sévir. L'odeur des chaleurs provoque en lui cette pulsion qui lui envahit l'esprit et le fait commettre cette erreur. Il se hisse promptement sur son dos. On laissera la place aux remords pour plus tard.

Il y a des moments où la situation nous échappe, et tout va très vite. Trop vite. Il ne reste que de vagues souvenirs maintenant. Il se mord la lèvre à en saigner, elle panique, et lui commet l'irréparable. Elle n'est plus q'un tas de viande munit d'une âme, qui abrite en lui le fruit d'un amour qui n'est que basé que sur la haine aujourd'hui.
Il pleut, et la terre détrempée se colle à sa robe, qui n'est plus que salissure. Gémissante, elle se contente de ramper dans la boue, elle essaye de s'enfuir. De partir pour de bon et pour de vrai. Mais quelle idiote ! Sept mots ont suffit à la faire risquer sa vie. Car ce que l'étalon a fait subir à l'alezane n'avait rien en commun avec la conception de Roona. Roona... Elle n'aurait jamais dû exister. C'est pire que tout, rejeter ça sur sa fille ! Son adorable fille.. L'image de son visage souriant, heureux, lui revint. Ainsi que son excitation à l'idée de rencontrer son père. « Pars... » Murmura-t-elle presque pour elle-même en espérant que le rapport mère-enfant permettrait qu'elles puissent communiquer à distance, par instinct. Peut-être en faisait-elle trop, peut-être pas. Dans tous les cas, elle ne reviendrait jamais sur ces terres tant qu'elle n'aurait pas pris du recul.

Il la coince, il ne veut pas qu'elle lui échappe. L'étalon est méconnaissable, jugulé par une colère immense qu'elle en devient incompréhensible. Il ne peut être aussi haineux pour cette histoire, non il y a bien plus. Il pénètre sa mâchoire dans sa chair comme s'il cherche à la marquer à vie, qu'elle devienne sa propriété une bonne fois pour toute. Et c'est le cas, il la fait sienne et créant ce lien avec ses dents cisaillant sa peau. « Où est-elle ? », il clame dans une voix acerbe. Il parle bien entendu de sa fille, s'il peut dire cela puisqu'il n'a pas été là pendant la formation de son éducation. Il sonde les alentours tout en maintenant une étreinte sur Maya pour ne pas qu'elle s'enfuit.

La femelle ne comprenait strictement rien. La froideur de Logan était habituelle, mais cette colère pour si peu.. ce n'était pas lui. Elle poussa un hurlement de rage et de douleur lorsqu'il lui cisailla sans scrupules la peau. « Je ne sais pas. » Siffla-t-elle faiblement, telle une vipère. Lorsqu'elle tenta de se relever, il la retint et resserra son étreinte. Une goutte de sang perla au coin de ses lèvres, elle poussa un profond soupir, et s'évanouit.

Tout était si distinct, si clair.. Elle se sentait étrangement calme, malgré la souffrance déchirante qui l'envahissait. C'était donc ça, l'après. Elle savait que son heure n'était pas venue, néanmoins c'est dans ce monde qu'elle finirait dans plusieurs années. Autant en profiter pour le découvrir. Rien de plus simple, tout était noir. Seuls les battements de son coeur trahissaient sa situation. Elle était si immobile qu'on aurait pu la croire morte. Hélas, ce n'était pas le cas. Mais peut-être que cet état serait son échappatoire, si le pie avait un quelconque amour pour la rousse.

« Je ne sais pas. » Mensonge. Elle dit cela sûrement pour préserver son enfant. Fichu instinct maternel. Logan lâche l'affaire, il s'ébranle à droite. Quelques pas suffisent pour le voir se retourner vers Maya. Il s'arrête, l'observe. Elle ne bouge plus, elle semble inerte. Puis là, la peur l'envahit. Encore une émotion qu'il ignorait juste qu'ici. Il observe, maîtrisé par ce nouveau sentiment qui brûle en lui. Il ne sait quoi faire, à part foncer vers elle. Il ne peut pas réparer ses erreurs en retournant en arrière. À ce moment-là, il aurait fait tout pour pouvoir être gratifié d'un don qui permet de jouer avec le temps. Il pose ses naseaux sur sa ganache et lui souffle un air chaud. Il sait bien sûr que cela ne marchera pas, mais pourtant il veut lui montrer qu'il est là. « Je te pardonne, Maya. » Les mots titillent sa langue, il les chuchote au creux de son oreilles. C'est peut-être trop tard... Il a peur. Il s'allonge derrière elle et l'enlace avec son encolure, lui procurant son soutien. Il se haïe pour ce qu'il a commis dans l'acte précédent. Il est perdu. Sa robe perle d'une sueur maladive.

« Je te pardonne, Maya. » Cette phrase résonna en continu dans sa tête. Un piège ? La stricte vérité ? Elle ne bougea pas, ne tressaillit en aucun cas. Elle essaye de sortir de son état d'inconsciente, mais n'y parvint pas. Elle s'était piégée elle-même en voulant tromper cet individu. Car oui, depuis 10 minutes, il était un parfait inconnu à son égard. Seulement un être potentiellement dangereux, une menace. Un prédateur. Si ses paupières étaient ouvertes, elle aurait sûrement roulé des yeux fous.

Soudain, sa consciente s'échappa, pour s'envoler à travers l'obscurité, l'inconnu. Si elle avait pu, elle aurait rit. Cela ressemblait beaucoup à Roona de jouer avec le feu, de découvrir, d'innover. Peut-être ce spectre qui s'était évadé de son enveloppe charnelle rendait visite à sa progéniture, oui, probablement. Il ne fallut que quelques secondes pour que la forme blanche disparaisse, et que le sommeil pur et simple l'emporte sur la volonté.

Impossible. Aucun frémissement de son corps allongé. La souillure prend place sur sa robe, elle paraît sale et moche. Néanmoins aux yeux de Logan, cette jument est belle dans n'importe quelle conséquence. Ironie quand on pense que c'est lui le coupable de ce crime. Il n'oublie pas ses actes, ils le rongent même et lui rappellent l'atrocité qu'il a plongé la pauvre Maya. Maya. Celle dont il est fou amoureux. Bizarre, non ? Surtout ses preuves d'amour. Mais non c'est la colère qui a triomphé du reste. Et il s'en veut de s'être laissé emporter pour une telle broutille. L'histoire est absurde, démesurée. De plus la raison de cette querelle est dérisoire. Il a dérapé pour si peu, comment est-ce possible ? Lui pourtant qui est le premier a gardé son sang-froid devant des situations même les plus pharamineuses.
Il frotte ses naseaux le long du corps défunt de Maya. On dirait que son âme commence à s'ébranler de sa boîte charnelle meurtrie. Non. Elle ne peut pas, pas maintenant. Ils ne doivent pas se quitter ainsi, du moins pas dans ces conditions. Il lève le regard au ciel, implore le tout-puissant de la laisser tranquille un instant. Il aimerait s'entretenir avec la faucheuse dans l'espoir d'échanger sa propre vie pour elle. Tout cela est de sa faute. Elle demandait simplement le pardon. C'est lui, le monstre destructeur. Il a mis en danger son âme-sœur. Il doit réparer cela. Il cherche une solution, se creuse les méninges à en perdre la raison. Il commence à lécher diligemment la blessure de Maya dont lui-même est le damnable. « Je t'en supplie. », il souffle dans un de l'imploration au creux de l'oreille de Maya. Il espère qu'elle l'entend. Puis il soulève sa tête vers le ciel.
« Je vous en supplie. », il tonitrue ceci, manquant d'issues. Ô grand jamais, jadis, il se serait vendu ainsi au Créateur. Mais il n'a pas d'autres voies. Doit-il faire don de son âme pour demander le clément de Dieu, qu'il offre un dernier souffle à sa bien-aimée. Il demeure perdu, il ferme les yeux et étale sa tête sur le flanc de l'alezane.

Il y a quelques secondes, elle l'aurait entendu. Elle aurait tout entendu, jusqu'à sa prière silencieuse. Son âme soeur n'était pas sa fille, mais bel et bien Logan. Mais voilà, le monde des rêves avaient emporté le peu de raison qu'il restait à la femelle. Tandis que son seul et unique amour plongeait dans le bain des remords et de la souffrance, elle nageait au pays des papillons et des arcs-en-ciel. Sans même le savoir.
Puis vint le cauchemar, pas besoin de piocher bien loin. La scène défila de nouveau devant elle, rapide et précise. Elle vacilla et tomba de nouveau dans les ténèbres. Un gémissement lui échappa, puis le silence de mort, religieux et calme. L'avait-il entendu ? Sa respiration ralentit, peut-être le mâle était parti, ou bien il était là, dangereux criminel sadique au point d'attendre que sa victime sorte de son inconscience pour la faire hurler de nouveau. Mais que pouvait-il faire de plus horrible que les actes réalisés plus tôt ? Pas grand chose. Dans le doute et la prudence, l'alezane ouvrit lentement les yeux. Elle aperçut alors le vrai monde, revint à la réalité. La pluie noya ses pupilles, qu'elle ne referma pas. Le temps était gris, les arbres dépourvus de feuilles, et la neige ne tarderait pas. Pourtant le pie était là, prêt à subir vents et tempêtes pour protéger son pauvre corps égratigné, simple dépouille maintenant. Au loin, un oiseau chanta, ou plutôt croassa. Un corbeau. Avait-elle l'air d'un véritable cadavre ? A priori, oui. Car les volatiles se rapprochèrent, curieux, et surtout affamés. La rousse fut dégoûtée, mais elle ne bougea pas lorsque la bête picota sa crinière emmêlée.

Il veut l'arracher de l'univers qui l'emprisonne. Il désire l'enlever des limbes qui l'embastillent dans ce monde qu'il ne lui inspire aucune confiance. Il n'a qu'une envie, que son amante lui revienne. De suite, avant qu'il soit lui également plongé dans le cosmos inconnu. Elle échappe un gémissement, il soulève promptement sa tête et fixe la jument. Une lueur d'espoir cligne sur son visage, mais elle disparaît quand aucun autre signe de vie s'inhale de la dépouille de l'alezane. La pluie martèle l'endroit sans éprouver aucune rancœur, s'acharnant sur les deux chevaux. Peut-être le déité veut les laver de leur innombrable péchés.
L'étalon entend les oiseaux carnassiers s'approcher de sa dulcinée. Non, il ne laissera pas toucher au corps déjà meurtri de la jument et ainsi ils la souilleront encore plus. Il ne permettra pas qu'on fasse cela, qu'on effleure à peine sa robe. Il châtiera n'importe quel individu qui briseront la ligne imaginaire. Un oiseau s'attaque à sa queue, Logan se jette sur lui et claque sa mâchoire dans le vent pour le faire s'envoler. Il reproduit ceci pour les autres oiseaux intrépides et suicidaires. Il croit qu'en faisant cela, il se rachètera de son erreur âgée de quelques heures qui fut l'arme ayant plongé la jument dans cet état de hébétude.
Le temps semble s'adoucir à nouveau, mais l'étalon pie ne s'en préoccupe pas. Sa seule inquiétude est la jument.

Maya n'osa même pas songer au futur. Au temps qui passe, à la course folle des saisons et des âges. D'ailleurs, se relèvera-t-elle un jour ? Ou restera-t-elle une simple dépouille dont le coeur battrait encore ? Des dents claquèrent, pareilles à la mâchoire vive et puissante d'un requin, mais la morsure ne lui était pas dédiée. Des piaillements se firent entendre. Ainsi, son amant la défendait également contre les oiseaux carnassiers qui tentaient de s'en prendre à elle. Quelle ironie du sort. Voilà que seulement quelques minutes plutôt, il la tuait, et maintenant, il était prêt à sacrifier sa vie en échange de la sienne. Instinctivement, la rousse poussa un faible hennissement, presque un murmure. Un geste qu'elle regretta amèrement dans la seconde qui suivit. Elle ferma les yeux, dans l'espoir qu'ils serviraient de bouclier aux attaques qui suivraient. Elle savait qu'elle avait de maigres chances de passer une nouvelle fois pour décédée. Mais qui ne tente rien n'a rien. Ainsi, elle cessa presque de respirer, laissa retomber ses crins le long de son visage et serra fortement la mâchoire.