your hair of fire

Malgré sa dernière expérience désastreuse au Canyon, elle revint faire un tour. S'il lui arrive un pépin, son frère ne sera pas là pour la secourir. Tant pis.. ou tant mieux. Son regard balayant l'endroit aride. Personne. Ce n'était pas étonnant. Elle se remit en marche, la robe déjà abimée par sa sueur.

Elle entra en contact avec le vent sec du désert, déclenchant des frissons le long de sa colonne vertébrale. Son regard n'avait pas encore rencontré l'image de la jument.

De l'agitation qui amena son regard sur la silhouette d'une jument nerveuse. Elle la fixa avec un contrôle maître de ses émotions à travers une barrière d'impassibilité. Elle progressa vers la baie sans pressentir aucune menace. D'un côté, Kuolema ne reculait devant rien puisque la mort était le seul lien qui la maintenait en vie.
La jeune pouliche s'arrêta à quelques mètres de l'inconnue. Son regard se détacha d'elle et surplomba le canyon, une sensation de liberté la submergea un bref instant et ses poils se hérissèrent. Elle se concentra sur le paysage cuivré et ignora complètement la jument, qui à ses yeux, ne montra aucun intérêt à s'intéresser à elle.

Dans un mouvement las, la jeune pouliche mit fin à sa relation tacite avec le paysage solitaire du Canyon. Un lien qui a cédé sous le poids d'un adversaire de taille. Kuolema se retourna vers l'inconnue. On pouvait lire dans son regard une insatiabilité naissante dont la raison fut encore à éclaircir. Elle dévorait de ses prunelles noires l'être qui se présenta face à elle et le considéra comme la seule attraction des environs.
Un geste imprévisible puisqu'en arrivant ici, la pouliche n'avait porté aucune fascination pour cette inconnue. Maintenant elle était devenue sa grande passion qui brûlait en elle et elle se donnait la force pour percer les mystères de cette jument. Le jugement commença à s'écrire dans les pages blanches de son esprit qu'il avait expressément préparé pour elle.

Elles demeuraient là, toutes les deux, sur la scène jouant une pièce plus ou moins implicite. D'un point de vue extérieur, cela pouvait être ironique. En se plongeant dans les pensées de Kuolema, toutes les minutes qui s'écroulèrent à rester inerte étaient symboliques pour elle. Ses prunelles ne se détachèrent pas de la baie comme si elles étaient liées par une chaîne en fer invisible. Ce n'était pas un geste purement méconnu chez la jeune pouliche, elle avait pour habitude de donner du temps à observer et comprendre le monde qui l'entourait pour mieux le cerner. Mais là, une telle attention pour un autre équidé était une première. Généralement autrui n'avait jamais captivé Kuolema, c'était surtout du dégoût mélangé à de l'incompréhension qu'elle ressentait face aux autres dont les gestes répétitifs et insignifiants de ces derniers déconcertaient la jeune pouliche. Elle ne comprenait pas pourquoi ses semblables agissaient d'une façon homogène dans une monotonie décevante. Elle se sentait hétéroclite, différente. Toute seule, elle avait émis l'hypothèse que son âme venait d'un tout autre univers et que cette dernière avait été placée dans ce si petit corps pour accomplir une destinée. Mais de quoi est-elle faite ? Tout serait plus simple si on l'éclairait sur cela, mais elle avait compris dernièrement qu'elle devait la trouver elle-même.
« Qu'est-ce que tu veux ? » Voilà comment l'inconnue perça le long silence. La pouliche avait dressé les oreilles, écoutant la voix de la jument et cernant le paraverbal avec facilité. Quand on prend le temps d'assimiler, on pouvait dénicher beaucoup de choses dans une simple réplique. « Toi. », articula-t-elle. Les mots n'eurent jamais été le point fort pour Kuolema. Mais depuis peu, elle avait réussi à posséder la définition de certaines termes qu'elle commençait à employer, sans pour autant savoir les aligner pour sortir une phrase ordinaire. Un seul mot pouvait suffir pour émettre une pensée. Non ? Son regard appuya toujours les prunelles mystérieuses de la jument. La jeune pouliche fit briller dans ses yeux une once de sentiment pour soutenir son dessein. Va-t-elle comprendre ? ou sera-t-elle perdue comme tous les autres ? Or Kuolema misait gros sur cette dernière en s'intéressant à elle. Depuis tout à l'heure, l'isabelle lisait dans les yeux de l'autre, le reflet de son âme. Le lien qui la retenait n'était pas affaibli, au contraire il était renforcé. Fascinante inconnue, qui au regard de la pouliche, fut supérieure aux sept merveilles du monde.

« Désir dur à satisfaire. » Cette phrase prononcée par la jument à l'identité mystérieuse claqua dans l'esprit de la pouliche. La démence commença à planter ses racines à travers le tourbillon de la réplique insensée que la brune lui avait donnée. Elle ferma les yeux essayant tant bien que mal à trouver l'arrivée de la piste dont elle avait rejoint qui paraissait éternelle. Quand une once d'espoir animait par la vision d'une fin heureuse, pourtant fictive, ses lourdes paupières s'ouvrirent à nouveau. Rien n'avait bougé, tout était comme elle l'avait laissé. Elle aurait bien voulu que certains détails disparaissent après son absence. Mais non. Comme si le monde était moulé de façon à déplaire la pouliche. Kuolema n'apporta rien comme réponse à l'affirmation de l'autre. À vrai dire, elle n'eut guère réussi à éclaircir la signification de sa phrase qui possédait néanmoins un arrière goût symbolique à démêler. Cela ne relevait pas de la faculté de Kuolema, trop faible pour percevoir les sous-entendus de certaines choses. Cependant dans le regard de la brune, elle put y lire quelques choses. Elle était carrément réceptive aux signes non-verbaux contrairement aux mots débitants dans une longue course sans intérêt particulier.

« Qui es-tu ? » La pouliche cerna la question de la jument. Cette dernière lui demanda de révéler son identité. La réponse qui devait être apportée aurait dû être spontanée, mais bizarrement la petite chercha dans son esprit le lointain souvenir d'un nom égaré parmi tant autres. Un nom qui sonna aux yeux de la pouliche comme la meilleure mélodie au monde. « Kuolema. » Elle décrispa ses cordes vocales qui articulèrent ce son dans une voix brutale pour un si petit corps. Comme on le dit très bien, il faut se méfier des apparences et un minuscule être peut contenir une âme aux intentions gigantesques et une envie de pouvoir absolu sur l'univers entier. Kuolema appuya à nouveau le regard de l'inconnue. On pouvait penser qu'elle recherchait en retour l'identité de la jument, mais ce serait une sottise d'envisager qu'elle convoitât l'appellation également. Trompez-vous. Pour Kuolema, l'image reflétée est la seule importance pour elle. Le nom n'est qu'un détail, une énième façon de catégoriser un être.

Le bref contact de leurs deux corps établit un frisson entier chez Kuolema. Une pulsion spontanée d'approfondir ce geste et de le faire durer prit possession de son esprit et l'anima de paroles incontrôlables qui lui dictèrent la suite des évènements qui pourraient probablement se passer. C'est alors que l'avenir était tracé, le futur de ces deux juments. Non, personne ne sait de quoi est vraiment fait son destin mais on pouvait le deviner à travers les épisodes dont la vie nous offrait.

La pouliche avait-elle fait don de sa personne au Diable lui-même ? S'était-elle fourrée dans la pire situation au monde ? On ne pouvait donner sa confiance à n'importe qui car on risquait de regretter ce geste. Pourtant Kuolema ne songea pas que son geste pourrait l'amener dans une impasse qui la conduira dans un flux qui pourrait cacher une tragédie. C'était sûrement l'innocence de l'enfance qu'il la rendait naïve et aveugle.. elle règlera ceci plus tard, pour le moment elle s'intéressa au présent.

« Si tu désires me nommer. » L'hésitation grandit dans le corps de la pouliche isabelle. Elle ignorait si elle doit procéder à l'emploi de son nom pour les jours à venir. En tout cas, elle prépara son esprit à l'utiliser pour plus tard en répétant sans arrêt le nom de « Hyène ». Il tournait en boucle dans son cerveau et ce mécanisme excita la jeune pouliche qui, sous la pression d'une démence passagère, commençait à mordre ses lèvres.

Son regard soutint celui de la brune. Alors quelle est la suite ? Sa jeunesse la rattrapa et cogna un coup sur sa sagesse. L'excitation naissante et bondissante dans un incendie d'émois la poussait sûrement à commettre une erreur.. il faudra que la jeune demoiselle calme ses ardeurs. « je te suivrais partout. » Regrettera-t-elle dans un futur proche l'emploi de cette réplique ? Pour l'instant, nous pourrons dire qu'elle ignorait la signification pour éviter un plus important litige tantôt.

Et à son tour, elle traça un cercle autour de la jument. Un geste pour la vénérer ? Peut-être...