‹ we cut the night ›

OROSZLÀN.
Il découvre la carcasse en pleine nuit. Une nuit d'insomnie – peut-être que les problèmes de sommeil sont génétiques – à penser à son père, à penser à la veuve noire, à penser à plein de choses en somme. Le Lion n'est pas triste, il pense, voilà tout. Et il marchait, plus au Nord du Nord, grimpant sur les collines avec la lune comme compagnie. Ses crins argentés couvrent le Lion d'une couronne d'argent alors qu'il observe la carcasse d'un oeil admiratif.
Ça lui fait penser à un ancien refuge. Au tombeau de son père.
L'épave du bateau.

Les sabots de Septenrê foulent le sol noir avec lassitude. Son regard est vissé au sol, jusqu'à ce qu'elle le relève lentement pour faire face à la carcasse grinçante d'un géant des airs. Son ossature de fer tordue s'effiloche et s'hérisse. Les naseaux de l'andalouse décèlent une senteur inoubliable. L'être qui en est doté est le seul à l'apaiser, à atténuer le feu sombre qui brûle en elle. Elle ne cherche pas à venir vers lui, et lui laisse le choix de rester seul, s'il en éprouvait le besoin. Elle se hisse sans hésiter dans les entrailles du monstre, qui gémit longuement sous ses pas.

Le ventre de l'appareil murmure des sons graves. Oroszlàn tourne sa tête. Il est encore à quelques mètres du géant d'acier qui, autrefois, se prenait pour un aigle. Aujourd'hui le voilà au sol, les ailes brisées. Le Lion sent déjà dans l'air l'odeur de sa mère. Cet être si cher, qui l'a mis au monde. Qui a séduit son père. Ou qui s'est laissé séduire par celui-ci. Il ferme les yeux, laisse planer un instant le silence avant de se mettre en marche, lentement mais sûrement, vers l'entrée du navire aérien.

Du coin de son œil noir, 7 aperçoit son fils. Il est devenu si grand, si fort, si puissant, honorant déjà le titre qu'il n'a pas encore. Elle reste immobile, l'observe tendrement se réfugier à son tour dans l'épave du bâtiment.

Il entre. Le silence est fulgurant, grandiose. Il reste à l'entrée, laissant le temps à ses prunelles de s'accommoder à la pénombre plus épaisse qui règne ici. « Je sais que tu es là. » murmure le Lion d'une voix devenue plus grave avec les mois passés. Un fin sourire orne ses lèvres argentées.

L'andalouse se trouve absolument en face de lui. Et s'il est à l'arrière de l'avion, elle est au cockpit. « Je serai toujours là, tu le sais. » Elle n'a pas besoin d'hausser le ton de sa voix métallique, le silence est complet. Son corps immense se met en marche, relançant les râles du grand oiseau de fer.

L'oiseau de fer maudit, mais ses ailes argentées ne bougent plus. Immobilisé pour toujours, il est à leur merci. Un oiseau meurt s'il est cloué au sol. Oroszlàn se met en route aussi, d'un pas lent et pourtant fluet. « Je l'espère. » souffle-t-il, cachant ainsi les tremolos dans sa voix, avalés par son ton bas. Et si elle l'abandonnait ? Et si elle s'en allait, elle aussi, comme son père, comme bientôt Nox..?

Et dès lors qu'ils sont près l'un de l'autre, Septenrê vient poser sa tête sur l'encolure musculeuse de son enfant, devenu si grand. Elle ferme les yeux, inspirant son parfum tout doux. « J'espère que tu ne reproduiras pas les erreurs que tes parents ont fait. » murmure-t-elle, dans ses pensées.

Il accepte son contact, s'y conforte, s'en repend. Il ferme les yeux, entend ses paroles mais n'y réponds pas. De quelles erreurs exactement parle-t-elle ? Peut-être y en a-t-il plusieurs. Peut-être y en a-t-il de moins graves que d'autres. Il respire son odeur, calmement, les muscles complètement détendus. « Comment vas-tu ? » murmures-tu à son oreille, soucieux.

Elle soupire. Bien sûr qu'elle va mal. Bien sûr qu'elle ne le lui dira pas. « Plutôt bien, et toi? » ment-elle, tandis qu'elle caressait doucement les crins argentés de son fils.

Ta signature

Bien sûr que c'est faux. Elle lui ment, et Oroszlàn est maintenant assez âgé, réfléchi et mature pour le voir. Pourtant, il ne la contredit pas. C'est elle la mère, dans l'histoire. « Bien aussi. » Il sourit, dans la pénombre, mais c'est comme une lampe torche contre les ténèbres. Il colle doucement son chanfrein contre le poitrail de sa génitrice.

Et tandis que ses yeux n'ont pas accès aux siens, ils se font vagues, fixés sur les flocons délicats tombant au dehors. « Comment te sens-tu de gouverner le Nord? » dit-elle, son cœur abîmé gonflé de fierté, soudainement.

À cette simple idée, l'étalon se gonfle aussi un peu de fierté. « Je ne sais pas si je ferai un bon dominant, je ne sais pas à quoi cela va ressembler mais je suis fier de pouvoir reprendre le Nord. »

Elle sourit tendrement, pour une fois. Puis, une lueur désolée passe, très brève, dans son regard. Oh, s'il savait.
S'il savait les horreurs qu'elle s'apprête à commettre.
« Tu es fait pour ça, Oroszlàn, ce sera instinctif. » le rassure-t-elle avec un clin d'oeil.

Mais il ne sait pas.
Il ne sait pas ce qu'elle compte faire. Il ne sait pas ce qu'il compte faire. Il ne sait pas ce que le futur lui/leur réserve. Alors, il secoue sa crinière pâle, éclaboussant sa mère de quelques filaments argentées semblant être tombés tout droit des étoiles. « Et si j'échoue ? Et si je deviens fou, moi aussi ? » Et s'il m'avait transmis ça ? Et si vous m'aviez transmis ça ?