valley of the dolls #ruyn

C'était comme une obsession. Ruyn trottinait d'un pas ample, son regard planté droit devant elle, ne semblant pas se préoccuper de toutes ses hautes herbes qui fouettaient son visage et griffaient ses flancs. Elle était plus maigre que jamais, depuis son accouchement, sa silhouette émaciée lui donnait des allures d'araignée géante, avec ses jambes gigantesques. Son corps commençait à ressembler à celui de sa mère, sans qu'elle en ait conscience. Elle était son reflet même, et même l'éclat d'habitude malicieux dans les yeux bleus de la princesse des ténèbres était terni, de cette même lueur fatiguée qu'on trouvait dans le regard de la Mal. Fatiguée de tout ce qui était arrivé, obligée d'y penser quand elle se trouvait seule, Ruyn ne trouvait repos que lorsqu'elle était en action.

Allongée au beau milieu du champ rasé, Septenrê laissait la pluie inonder son corps, le froid automnal planter ses fourbes griffes dans sa peau et jouer avec ses muscles. Immobile, elle semblait ne plus respirer. Elle semble morte. Elle est morte. Morte de l'intérieur. Ses yeux demeurent fixes, ouverts, menaçants.

Peut-être était-ce la pluie, qui dupa ses sens, et n'offrit à son odorat que l'odeur métallique de l'humidité. Ou peut-être que, plongée dans sa tâche continue et obsessionnelle, Ruyn ne faisait même plus attention au monde qui l'entourait. Toujours est-il qu'elle n'enregistra pas la présence de Septenrê, et buta soudainement contre quelque chose contre lequel elle se cassa la gueule. Un peu sonnée, et dans un joli enchevêtrement de ses jambes noires, elle s'écrasa contre le corps massif d'une certaine jument dorée... Et ne se releva pas tout de suite. Peut-être se crut-elle dans un de ses nombreux songes qui hantaient ses nuits depuis quelque temps. Deux silhouettes dorées, familière et pourtant si étrangères... Fatiguée, un peu assomée, Ruyn n'ouvrit pas les yeux, laissant sa tête reposer sur l'épaule de la reine égyptienne. La chaleur ténue de sa peau contre sa joue, sa masse immense contre son corps si frêle, et le reflet d'or contre sa peau d'ébène semblait irréel.

Effectivement, il n'y avait rien de plus irréel. Un poids mort s'écrase sans vergogne sur elle, semble vouloir la tenir la emprisonnée. Un horrible remugle envahit ses naseaux. Ses mâchoires se serrent, ses muscles se tendent, un feu meurtrier s'allume dans ses yeux. Et si pendant un instant le contact de Ruyn contre elle l'avait émoustillée une seconde, c'est rageusement qu'elle s'extirpe de son emprise, se remettant sur pieds et la rejettant violemment. Si le contact de Ruyn avait une seconde éveillé des désirs enfouis, elle ne souhaitait désormais que sentir ses chairs se déchirer entre ses dents et entendre le cliquetis macabre de ses os brisés sous ses sabots. S'éloignant d'elle avec dégoût et douleur, l'andalouse la toise haineusement. Elle ne dit rien, car elle n'a rien à lui dire.

Mais avant même que la dorée n'ait pu se relever, sentant ses muscles se tendre contre son corps las, Ruyn s'était éloigné d'un bond leste, s'éloignant à l'opposé de l'andalouse, qui lui jeta un regard dégoûté, auquel la noire lui répondit avec un air méprisant. Sa peau la brûle là où elle a touché l'andalouse, et ce constat lui donne envie de vomir. Sans mot dire elle non plus, bien que des miliiers mots - doux et tranchants comme des poignards - lui viennent aux lèvres, elle dévisagea l'être haï à travers la fine bruine qui les enveloppait dans un cocon gris.

we got gun, you'd better run.

Elle ne cille pas devant le regard de pur mépris que lui jette Ruyn, même si c'est un poignard de plus enfoncé dans sa carcasse maintes fois trouée. Ses oreilles rejoignent sans attendre sa nuque, et ses lèvres se serrent. Les prunelles noires de Septenrê, acérées, se plantent furieusement dans les lagons déchaînés de la noire. Ses naseaux soufflent un coup, bruyamment. « T'as pas un enfant à aller t'occuper? » lui crache-t-elle. La colère était en train de prendre le contrôle, et elle voulait que les mots qu'elle lui lâchent deviennent flèches empoisonnées. 7 ne désire plus qu'une chose: que Ruyn disparaisse une bonne fois pour toute de sa vie. Et justement, elle voulait que là, tout de suite, elle dégage de sa vue.

Et sous ses yeux méprisants, l'andalouse entame sa transformation de monstre. Seule, Ruyn a moins peur qu'accompagnée d'Almageste et Adagio. Si elle fait du mal, ce ne sera qu'à elle, pas à sa progéniture. La voilà qui y fait référence, Ruyn grince des dents. Mon enfant va bien, répond-t-elle, insistant légèrement sur le " mon ", excluant clairement Septenrê. Puis elle relève la tête en ronflant des naseaux : Et toi, t'as pas le cerveau de mon frère à retourner ?
fait-elle avec une colère froide mal maîtrisée.

Contre toute attente, Ruyn ne prend pas la question de Septenrê pour argent comptant et choisit de rester auprès de l'égyptienne. Peut-être pour sauver sa petite fierté qui n'est plus que néant aux yeux de la dorée. La question de l'akhal la fait rire, intérieurement. Il faut l'avouer, 7 est bien loin d'être manipulatrice; elle est plutôt de nature franche. Très franche. « Je ne suis pas de ton espèce. » répond-elle du tac-au-tac, la réponse lui étant venue comme une évidence. Oui, Ruyn les avait bien trompés, elle et Fenrir.

Elle ne rétorqua pas tout de suite, ne niant pas ce que venait de dire Septenrê. Elle n'avait pas tout à fait tord, Ruyn était manipulatrice. Mais elle ne faisait pas exprès, ou tout du moins, pas vraiment consciemment, ni méchamment. Sûrement parce qu'elle se manipulait elle-même. Que me reproches-tu ? fit-elle d'une voix blanche, baissant un peu la tête pour la toiser à demi.

Oh, bien sûr, ce n'est jamais de la faute de Ruyn. Elle manipule, mais ce n'est pas fait exprès. Elle a eu un enfant, mais ce n'est pas de sa faute, c'est à cause de l'horrible 7 qui l'a sciemment trompée. Ah, tant de choses que Septenrê lui reprochait. Elle relève la tête, la toisant un instant, l'admirant. Avec mépris, avec dégoût, avec douleur, avec haine, avec amour. Mais bien plus de haine. « Tu es tellement ... » Le mot est dur à dire, car des millions lui viennent à l'esprit. Elle secoue très légèrement la tête, négativement, comme si Ruyn était indescriptible. Elle ne méritait même pas qu'elle réponde à sa question. « ... Pitoyable. » Et même la pluie qui entrecoupait son regard enflammé ne parvenait à l'estomper.

Elle haussa légèrement les sourcils, poussant un soupir suffisant. Elle ne se reconnaissait pas vraiment depuis cette histoire avec Septenrê, mais elle sentait également qu'elle était au détour d'un changement de sa vie. Un changement qu'il lui craignait de voir s'opérer. Les démons de son passé inconnu n'avaient jamais été autant présents. Tandis que le mot résonnait dans la bouche de Septenrê, il vint à l'esprit de Ruyn que ce mot seyait parfaitement à l'andalouse, et un sourire amusé et vicieux vint prendre place sur ses lèvres. Elle n'avait jamais autant méprisé et haï quelqu'un que cette jument-là, et Ruyn n'avait pas l'habitude de haïr, elle qui aimait tout le monde. Un constat déplaisant lui fit froncer les sourcils : elle devenait comme Septenrê. Hargneuse et hautaine. Ravalant un hoquet de bile, elle finit par répondre, sans se rendre compte que son petit dialogue intérieur avait duré plus de temps que nécessaire pour une réponse. En voilà un drôle de reproche, dit-elle d'une voix calme, moqueuse.

Elle ferme les yeux, un instant. Ruyn ne méritait pas de voir la souffrance de 7. Elle ne méritait même pas que l'andalouse souffre pour elle. Le bal des poignards est ouvert. Et lorsqu'elle rouvre les yeux, le feu haineux, soudainement, s'est tu, et laisse place à un regard ... qui veut faire souffrir. Qui veut enfoncer la lame doucement, au son des suppliques de l'akhal, mélodie charmante. « C'est résumé. Ce que je pense de toi est mortel. Je t'assassinerais encore une fois. » murmure-t-elle, d'une voix glaciale, terrifiante.

Ruyn se pare de son armure, prête à accuser les coups de Septenrê. Mais tout en elle semble vide, et détaché, comme si elle n'avait rien voulu garder de ce passé avec l'andalouse. Comme si sa nouvelle vie l'avait changée, et qu'elle n'était plus la jument trop amoureuse que Septenrê avait meurtrie, physiquement et psychologiquement autrefois. Peut-être qu'inconsciemment, la lassitude qu'avait éprouvé l'akhal était l'explosion soudaine de cette douleur qu'elle avait emmagasinée et enfouie au plus profond de son être, par amour pour Septenrê. Elle se devait de l'enterrer pour pouvoir lui pardonner et vivre leur histoire d'amour. M'as-tu déjà assassinée ? répond la noire d'une voix doucereuse, si charmante et répugnante à la fois, remettant en cause les convictions de Septenrê. Ruyn avait-elle seulement tenue à elle ?

Répugnante, à son image. Tout en Ruyn est répugnant: ses courbes osseuses, ses prunelles aigue-marine, son masque laiteux, et surtout, son âme moisie jusqu'aux tréfonds de ses souvenirs. « Je le ferais des milliards de fois. » Et, lentement, ses lèvres s'étirent dans un sourire fielleux et pervers. Plus qu'une joute luciférienne ne persisterait entre elles.

Voilà que l'agneau se rebelle ? Les pensées de Ruyn sont amères et narquoises, son regard sur le monde ne semble plus le même. Elle en oublie la pluie, tant leurs paroles les mène dans une joute dangereuse et chargée d'adrénaline. C'est un nouveau jeu qui commencent pour elles. Elles commencé dans un jeu sensuel, désormais ce qui les relierait serait le danger, et l'amour du risque. Ruyn risquait de prendre physiquement, Septenrê psychologiquement, comme elles se correspondaient bien ! Ruyn releva ses lèvres en un rictus amusé, teinté de moquerie. Prends garde, ma douce, je ne suis pas immortelle. Choisis bien ton meurtre, il ne te sera accordé qu'une fois.