De vent et de glace (naissance)

OROSZLÀN.
Le Lion est dans son refuge. Dans sa cage de fer, de vent, de glace.
Mais c'est un emprisonnement qu'il aime bien. Il s'y sent pleinement en sécurité. Peut-être que, comme l'était le bateau échoué pour son père, son refuge deviendra un jour sa prison. Peut-être que l'oiseau de métal deviendra son tombeau argenté. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Il déambule, et le fer crisse légèrement sous ses pas lourds. Le regard sombre, il regarde par une fenêtre. Le vent s'est levé, trainant avec lui des bourrasques grisâtres faites de poudreuse et d'éclats glacés. C'est là qu'il les voit, avant de les sentir. Ils sont deux, et il comprend que son regard s'est posé sur eux avec un temps de retard déjà.
Elle ne l'aura pas attendu, ni même appelé. Elle n'en a rien à faire, n'est-ce pas ? Il sent son coeur se serrer légèrement. En quoi cela a-t-il de l'importance, hein ? Il tressaille. Il observe la scène comme un clandestin, alors qu'il aurait dû être un des acteurs principaux. Mais elle l'exclu, vient délibérément mettre bas sur son territoire comme une offense, sans même l'appeler – comme une insulte. Il sent ses poils se hérisser, et se demande s'il est judicieux de débarquer maintenant ?
Elle ne lui laisse pas le temps de répondre intérieurement à sa question. Puisqu'elle s'est levée, abandonnant au sol un être sans défense. Cruelle condition, avec ce froid tenace.

Il s'échappe de l'avion démembré en toute hâte. Mais la veuve noire a déjà disparu au travers du brouillard givrant, et Oroszlàn s'avance alors d'un pas précipité mais hésitant vers l'enfant. Encore plus que lui, voilà le bâtard du Roi. Bâtard de père en fils, songe-t-il avec un sourire triste et affligeant. Il s'avance. Il y a son odeur sur lui, il a sa morphologie à elle, son visage à lui. Ses yeux, sombres, qui cherchent dans le clair-obscur de la tempête un point à fixer. Le Lion s'avance tout près, jusqu'à s'arrêter devant lui. Devant son fils. Il est père. Et il sait qu'il devra l'élever seul. Il ferme les yeux et effleure les flancs du petit de ses naseaux chauds qui soufflent un air qui n'a rien à envier à la chaleur des flammes. « Tu seras ma rédemption. Pour me faire pardonner, je vais t'élever, plus haut que le ciel. Rédemption.. » répète-t-il doucement.

Le petit se jette contre lui. Son corps frêle cogne brutalement contre celui, imposant, de son père. Puis Oroszlàn sait.
Il sait où est-ce qu'il va trouver la force de l'élever. Il sait qu'il fera tout pour lui, pour son enfant, peu importe ce qu'on dira de lui. Parce qu'aujourd'hui, il est père. Il ne sera plus jamais un enfant. Le souffle court, les yeux humides, le Lion est ému. Il caresse le corps frigorifié du petit de son grand visage, et observe les alentours sans se détacher de lui. Pas question de quitter le Nord.
Le petit grandira au Nord, sera habitué – comme lui à son âge – au froid, à l'Hiver, à la neige. Il deviendra le futur Prince du Septentrion. Sa place sera et restera ici. « Viens... » murmure-t-il doucement, entrainant avec lui le petit en direction de la carcasse de l'avion, où ils seront à l'abri du froid et du vent.

On ne va pas dire qu'il fait chaud à l'intérieur, mais le vent ne les atteint pas et les températures sont légèrement plus clémentes qu'au dehors. Il n'y a pas photo. Son fils se détache de lui, et Oroszlàn l'observe silencieusement. Comment cela doit-il se passer ? Faut-il qu'il se présente ? Qu'il explique quelque chose ? Il n'en sait rien. « Je suis ton.. ton père, Red, tout va bien aller, d'accord ? » Red. C'est venu tout seul. Parce que Redemption, ça lui va assez bien. Peu importe ce qu'en pense la veuve noire, elle n'a plus aucun droit sur lui. Plus depuis qu'elle a choisi de le laisser pour mort sur ses propres terres à lui.

Un sourire tendre au bord des lèvres, bien loin de lui l'image du Lion sauvage, Oroszlàn caresse tendrement le poil de son petit pour le faire sécher plus vite. « Comment te sens-tu ? »

Oroszlàn sourit. Il choisit de croire les paroles de son fils – parce que c'est plus simple comme ça. « Oui, c'est ici qu'on habite. Tout ce territoire est ta maison. » Il souffle sur le poil duveteux du petit un air chaud. Il pense brièvement à Rowena et son coeur se serre.

Mais Oroszlàn secoue rapidement la tête. « Non. Nous commençons à être un bon petit groupe. Il y a plein de gens qui seront là pour toi. » Il frissonne. Plein de gens qui ne seront pas forcément ravi de savoir d'où vient l'enfant.

« Certains mieux que d'autres. » répond-il, évasif. Il fixe son fils, avant de le contourner pour le frotter et terminer de le sécher entièrement. Il ne voudrait pas qu'il tombe malade, il devine bien que son organisme est encore tout fragile.
Et il n'a personne sur qui compter si quelque chose tourne mal. Alors, il se fait la promesse de toujours veiller sur lui quoi qu'il arrive.