♠ Un grain de poussière au combat.

Oroszlàn n'a pas peur. Il sait qu'il n'est pas invincible. Il n'a pas peur pour elle non plus. Le comportement de la noire jusque là a instauré comme une barrière entre elle et lui. Comme si elle pouvait mourir sous ses yeux sans qu'il ne soit touché. Un élancement pique son coeur. Deviendrais-tu insensible, gamin ? Non. Non, le Lion n'est pas comme ça.
Il chasse toutes ces pensées de son crâne. « Bien. » répond-il seulement, campé sur ses membres, sans bien savoir pourquoi est-ce qu'il attend, lui aussi, qu'ils viennent à eux.

Elle n'a pas peur de la mort, elle n'a pas peur de quitter ce monde. Surtout depuis que Maxine torture son esprit. Elle n'aime pas cela, elle ne veut pas aimer. Elle préfère mourir. Enfin, c'est ce qu'elle pense spontanément sur le coup. Mais au fond, que veut-elle réellement.
Le regard sur le lion. Il ne part pas, il reste tout comme elle. Ils ont le temps de détaler à grande vitesse et fuir les prédateurs. Mais non, ils sont tous les deux immobiles comme étant deux suicidaires. Son visage se tend et elle commence par chercher quelque chose en tournant la tête de droite à gauche, réalisant également qu'ils sont en danger.

Il réalise lui aussi qu'il faudrait fuir.
Que s'il reste, peut-être survivra-t-il. Ou peut-être ne verra-t-il pas son fils grandir. Il donne alors un coup d'épaule à la jument pour la réveiller aussi. « Vite. » lâche-t-il d'un ton urgent, tournant dos aux attaquants, prêt à détaler.

Elle sent ce coup d'épaule qui la fait revenir à la raison. Elle se réveille et elle ne tarde pas à s'élancer. Elle ne connait pas ce bois, elle compte sur le dominant pour trouver un refuge car elle entend les loups derrière.

Il passe devant. Pas le choix, il connait mieux l'endroit qu'elle. Son corps musclé s'élance, ses sabots tambourinent le sol. Ils ont trop tardé. Il leur faut les semer, ils ne pourront se cacher nulle part. Priant pour qu'elle le suive – pourquoi le voudrait-il, en fait ? – il continue sa course folle, sans un seul regard en arrière, ses sabots dérapant habilement dans la neige déposée au sol, contournant arbres et fourrés blancs.

Elle le suit sans comprendre pour quelle raison elle galope derrière lui. Bref, elle n'a pas l'habitude de galoper sur la neige et oublie de se concentrer un minimum sur sa course. Son sabot se prend dans une racine ensevelie dans la neige et tombe alors par terre.
Son flanc gauche s'érafle et elle pense direct au poulain qui se développe à l'intérieur de son ventre. Elle devient une proie facile pour les loups.

Le Lion entend aisément le bruit d'une chute derrière-lui. Bien que pris dans sa fuite et que le corps ait été amorti par la couche de neige, il sait entendre ce genre de détails. Il se retourne, fait volte-face et revient vers elle en ayant à peine ralenti. Il s'arrête à côté dans un nuage de poudreuse et lui adresse un regard inquiet. « Relève-toi ! »
Alors c'est tout ? La fille de Rowena et Sweeney n'a donc rien d'autre dans le ventre, qu'une simple chute pourrait lui causer l'immobilisation et donc la mort ? Il surveille l'arrivée des loups, qu'ils ont un peu distancé entre temps.

Elle s'en fiche. Être la fille de Rowena et Sweeney ne veut pas dire qu'elle est faite de pierres et qu'elle est invincible. Non. Elle est comme tout le monde. Un vulgaire pion que les Dieux observent en ricanant devant ces nombreux imbéciles.
Elle se relève. Ce n'est pas une simple éraflure, elle pisse le sang. Super. Tous les prédateurs vont courir derrière son cul si elle laisse une trainée de sang. Elle pense aussi au petit. Merde. Elle s'en fiche de cet être bâtard. Ce petit qui est le fruit d'une abomination, comme Sweeney lui a bien fait comprendre.
Qu'il crève dans son ventre. D'ailleurs, pourquoi elle n'a encore rien fait pour tuer ce qui la lie à son géniteur ? Telle est la question. Certainement un bref instinct maternel. En tout cas, s'ils crèvent, les deux en même temps, cela fera bien chier son père. Bouge-toi, ce n'est pas ton heure. La voix insiste en répétant cette phrase comme une musique en boucle.
Et puis, elle s'élance au galop tandis que sa blessure lui tire. Elle n'est pas faite de sucre non plus. Elle gronde pour s'insulter elle-même et voit qu'elle ralentit, prise de vertige.

Le Lion n'est pas stupide. La blessure de la jument est grave. Il serre les dents. Merde ! Pourquoi a-t-il fallu qu'il tombe sur elle ? Mérite-t-elle qu'il se mette en danger pour la protéger ? Peut-être, peut-être pas. Il soupire, revient sur ses pas – puisqu'il est plus rapide qu'elle. « Pars devant. » Ce n'est pas une question, pas même un choix – mais un ordre.
Il reste campé sur ses membres durs comme de la glace. Il s'attend aux loups, il est prêt à leur faire face, à les ralentir le temps qu'elle prenne un peu d'avance.

C'est gentil et méprisant à la fois. Elle aurait bien pris de l'avance, mais elle a perdu beaucoup de sang. Elle non plus n'a pas jugé la gravité de sa blessure. Runaway se juge elle-même pour sa stupidité, pour cette fragilité qui l'enlace et cette faiblesse qui empare son corps. Elle se déteste encore plus et elle se ressent du dégoût.
Elle titube, elle ne voit plus rien, ou du moins elle ne voit pas claire. Il y a comme un rideau fin qui voile ses yeux. Les vertiges, qui la saisissent, sont forts et petit à petit elle s'écroule par terre. Elle commence à plonger, à perdre connaissance. Elle livre son combat, mais la bataille finit par avoir raison d'elle.

Décidément, il n'a vraiment pas de chance avec elle.
Ses yeux suivent sa silhouette qui s'écroule un peu plus loin. Le dominant sert les dents. Une proie des plus faciles, encore plus simple qu'attaquer un poulain ! Une jument blessée, rien de mieux. Au moins, tombée ainsi au sol, la neige soignera ses plaies. Le froid et l'eau qu'elle lui prodiguera permettra de faire cesser l'écoulement de sang. Il ne peut pas se permettre de s'approcher d'elle, au risque de voir la meute débarquer dans son dos.
Alors, adieu le Prince du Nord. Adieu de voir grandir son enfant. Il siffle, pour la maintenir un peu consciente, surveillant l'arrivée des loups, dont il entend les jappements et les pas, comme s'il faisait partie d'eux.

Entre conscience et inconscience, son esprit vague. Elle sent la présence du dominant à ses côtés. Elle l'aurait bien fait dégager, mais elle n'est pas apte à le faire. Et puis moins apte à se confronter à une meute toute entière seule et dans cet état. C'est impossible.
Laisse... Elle parvient à dire cela. L'égoïsme inné de la jument semble avoir perdu en éclat. Elle pense à la vie du lion. Il manquera à beaucoup de chevaux ; elle moins vu ses relations périlleuses. Le sang commence à arrêter de couler. Cependant le corbeau a perdu suffisamment de sang pour qu'elle plonge dans le monde des songes.

Il l'entend, mais n'en tient pas compte.
Il se tient droit et fier, ne laissant rien filtrer comme indice de sa légère appréhension. Il ne veut pas quitter ce monde si tôt. Il ne le quittera donc pas aujourd'hui.
La première bête se profile, il voit les fourrés s'écarter au passage de ceux qui le suivent. Ils ralentissent, crocs dehors, pour impressionner l'être qui se dresse entre leur proie et eux, certainement. Mais le doré ne bouge pas, stoïque, et se cabre avec un hennissement retentissant. Voyons qui du loup ou du Lion impose sa loi.

La neige anesthésie la douleur et coupe le sang pour ne plus qu'il coule. Inconsciente et en son for intérieur elle est heureuse. Au moins, elle ne se rend pas compte de sa position en tant que proie. De cette faiblesse qui l'accable.
Brûlante de fièvre, le corps immobile de Runaway est en sueur. Plongée dans une illusion, elle sanglote inconsciemment, poussant de temps en temps des petit cris.