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(oroszlàn)

Chaque gorgée lui semble acide. Chaque pas lui a semblé être une torture. Deux jours. Deux jours pour regagner le Nord. Deux jours qu'il n'a rien pu avaler, qu'il n'a pas dit un mot, sa mâchoire toujours paralysée. Mais comme si son cerveau s'était accoutumé à la douleur, il lui semble que ça passe, un peu. Il peut la bouger légèrement, de gauche à droite, même si les craquements que ça cause ne lui augurent rien de bon pour la suite. S'en remettra-t-il un jour ? Il se souvient que son père s'était vu déboîter la mâchoire aussi, lors du combat contre son plus bel ennemi de l'époque – Ramsès. Suit-il réellement les mêmes traces que le Roi Fou ? Pauvre enfant.
Il plonge sa tête dans l'eau jusqu'à moitié. Il ne parvient même pas à grimacer sous la morsure des particules mouillées et mordantes de froid. Une mâchoire de glace se referme sur son visage mais il ferme les yeux, se laissant aller. Guérir le mal par le mal. Son corps, encore légèrement amoché, couvert d'un sang séché depuis le combat, se laisse lentement tomber au bord du point d'eau. Il va rester un temps ici. Pour se reposer. Se remettre. Récupérer. Ruminer sa défaite. Trouver la force de la transformer en victoire.

Chaque être traversa le long fleuve d'épreuves que la vie proposa. Un chemin semé d'embûches pour la même destinations: les abysses du précipice. La Grise marchait. Ses pensées étaient envenimées par les images de Minuit. Il était parti et il avait laissé derrière lui une traînée sale qui meurtrit le cœur de Otsoa. Ce goût amer dans sa gorge resta pour lui faire rappeler l'injustice de la vie. Elle divaguait dans le torrent des souvenirs qui l'assiégèrent d'images de toute sorte. Son troupeau massacré par les hommes ses parents assassinés terriblement ainsi que Rishin capturé par des cordes. Une bombe à retardement qui prit en otage le cerveau de la Grise. Elle était dans le Nord ce nouveau territoire qui l'avait accueillie il y eut quelques temps maintenant. Ses pas se marièrent avec le sol et elle se dirigea d'un pas lourd vers le lac. Ses pensées corrosives l'attaquèrent et l'empêchèrent de sonder le dominant qui était dans les parages. Elle s'arrêta face à l'eau. Son regard jeté pour contempler son reflet. Otsoa s'abandonna.

Il sent immédiatement la présence de quelqu'un. Ses sens en alerte tendent ses muscles avec une vitesse qui lui donne le vertige. S'il pouvait vomir, notre dominant le ferait. La tête lui tourne, il la sort de l'eau brutalement, envoyant une gerbe étincelante autour de lui. Le regard vide et fou, la mâchoire douloureuse, il tourne sa carcasse dorée qui brille encore, malgré les blessures, vers une silhouette grise. Aslaug ? Robin ? Elune ? Non. Elles sont si nombreuses, ces ombres blanches, dans le Nord. Si nombreuses, à hanter son intenable esprit. Il sonde, de loin, la jument, sans dire mot – incapable. Il ne peut même pas hennir, il a l'impression que ses cordes vocales ont fondu. Plutôt, qu'elles sont devenues piquantes comme un buisson d'orties. Alors, il plonge de nouveau la tête dans l'eau.

Abandonnée à sa tristesse elle laissa ses sanglots prendre le dessus. Des larmes coulèrent le long de ses joues et s'échouèrent dans le lac. Son reflet se brisa comme une miroir en mille morceaux. Un bruit la fit déconnecter de ce reflet déformé. Ses yeux se figèrent sur le cheval. Sa robe doré luit à la lueur de la lune. Ce voile humide dans ses yeux l'empêcha de distinguer l'étranger. Elle avait pas le cœur ni la raison pour la mener jusqu'à lui. Elle resta en retrait un regard déboussolé fixant l'ombre équine. Puis sa tête disparut sous la surface du lac et un air de panique vint perturber encore plus Otsoa. Dans la précipitation la Grise s'avança vers lui. Elle sécha en reniflant ses dernières larmes qui mouraient le long de sa ganache. L'odeur vint piquer ses naseaux. C'était le dominant. Elle perdit ses moyens et le poussa violemment pour le sortir de son propre piège qu'il avait lui-même forgé.

Alors qu'il soulage ses blessures et son malaise, l'héritier est d'un seul coup vivement sorti de son petit cocon glacé. Poussé brusquement, il sursaute et se décale, sans même pouvoir grimacer sous le choc ni émettre un son autre qu'un grognement de surprise. Il tourne vers elle un regard brillant d'incompréhension. Il aimerait lui demander ce qu'elle fait, pourquoi est-ce qu'elle se montre agressive envers lui, sans comprendre que son comportement est trompeur et qu'on pourrait croire qu'il essaie de se noyer. Mais voyons, ne t'en fais pas, gamin, tu te noies déjà.

De l'incompréhension heurta le regard de la jeune Grise. Ses yeux restèrent figé dans cette confusion déroutante. Elle souffla et bougea pas d'un poil. Elle sentit ses membres trembler sous elle comme s'ils allaient flancher. Elle savait pas comment se comporter alors elle dit rien. Le silence comblait les deux chevaux aux prunelles perdues. Elle ouvrit la bouche pour articuler des excuses mais les mots brûlèrent sa gorge.

Elle ne dit rien non plus. Dans le crâne du Lion, le silence résonne encore et encore, comme s'il se cognait contre ses parois crâniennes. Ses iris déshabillent la grise, puis se détournent, fixant l'eau agitée par leurs mouvements, qui ne lui renvoie donc qu'un reflet vacillant, bancal, réel. Il ouvre la bouche dans un effort douloureux, mais ne parvient qu'à sortir un son incompréhensible, ne pouvant pas la bouger plus pour le moment. Cela doit bien se voir, de l'extérieur, qu'elle n'est plus droite.

Le Lion perdu qui tanguait sur son trône en pierre. Ses yeux suivirent le même chemin que ceux du Palomino. Ils se figèrent sur leur reflet brisé qu'il montrait la réalité des choses. Deux protagonistes qui se laissaient aller sous la douleur et se déchirer chaque jour. Elle manquait de courage comme tout le temps. Les lèvres du mâle bougèrent mais c'était un mot incompréhensible qui vibrait. Un mot dont la Grise sut pas définir. Elle aussi ça lui usait de parler. Elle se terra dans le silence de plomb. Les deux meurtris à la lueur de la nuit où les étoiles semblaient les juger dans le firmament. Elle leva les yeux aux cieux avant de frapper l'eau pour désintégrer son reflet. Otsoa se retourna vers Oroszlàn ses yeux fixés sur lui. Aucun mot voulait trahir leur mutisme mais une force inconnue prenait d'assaut ses prunelles. Battons-nous.

Par le regard de la jument, il se sent transmettre une force qu'il ne se connaissait plus. Une sorte de courage à l'état pur, comme une étoile filante. Un assaut venant de l'intérieur, mais pour une fois, il n'est pas néfaste, ni sombre. Il est brillant. Un firmament qui traverse son cerveau comme un tremblement de terre – de tête. Il s'ébroue, grimace de douleur mais il est revigoré.
Une étincelle vient de se rallumer dans ses deux grottes noires qui lui servent d'yeux.

L'étincelle se propageait. Cette rage de vaincre et de détermination contre cette force invisible. Les deux protagonistes livrèrent bataille contre leurs maux respectifs. Un sourire se dessina sur les lèvres de la Grise et son regard restait ancré dans celui du Palomino. Aucun mot juste ses yeux qui transmettaient le message tel un pigeon voyageur.

Il ne peut pas parler. N'en a pas l'envie, de toute façon. Aucun mot ne semble assez fort à cet instant. Mais le Lion finit par rompre le charme mystique et presque effrayant de cet instant, en se décalant juste assez pour s'arracher à l'observation de la grise. Chaque parcelle de son corps lui semble douloureuse et chaque effort, une montagne à franchir. Mais il marche encore un peu, jusqu'à s'écarter de l'eau. Il ne faudrait pas qu'il y tombe.
Il ne faudrait pas qu'il s'y noie. Lui aussi.

Ils étaient stoïques jusque là. Mais voilà que le Lion se mit en mouvement. La Grise le suit du regard. Il s'éloignait de l'eau. Du bassin qui tendait les bras pour accueillir de nouvelles âmes égarées. Un dernier regard à son reflet qui s'était recomposé alors que celui du Palomino s'effaçait. Elle s'écarta à son tour de ce liquide attirant pour pas céder et se prendre le piège que proposa le lac. Les mouvements de l'étalon étaient saccadés. Elle lui emboita le pas avant de s'arrêter.

« Oroszlàn ? » Clama-t'elle après un silence de fer. Elle détruisit son mutisme en prononçant le nom du Dominant. Ses oreilles pointées à l'avant elle attendit une réaction. Ses yeux s'étaient accroché au Lion du Nord. La rage de vaincre avait quitté ses prunelles sombres laissant place à la mélancolie quotidienne.

Son nom lui parait étranger. Qui es-tu, gamin ? Qui es-tu devenu ? Oroszlàn, tu seras le Lion du Nord. C'est ça qu'il est. Ce qu'il est vraiment. Oroszlàn ou un autre nom, peu importe. Mais c'est un Lion. Un prédateur. Celui qui vaincra, toujours. Avant d'être dévoré un jour par plus fort que lui. À l'intérieur de lui.
Il tourne un regard un peu vide vers la grise, pointant des oreilles interrogatrices vers elle, incapable de lui parler. Il entrouvre la bouche dans un effort douloureux, ses yeux se plissent, mais seul un son sans consonnes en sort et il la referme, frustré d'être ainsi handicapé.

Ce regard heurta celui de la Grise. Deux orbites où le néant était seul reflet. Aucune lueur vint perturber le vide de ces deux yeux. Elle eut un instant de hésitation. Devait-elle partir ? Devait-elle laisser le Lion du Nord combattre ses démons tout seul ? Elle ignorait sa lutte interne dont il participait. Une bataille contre lui-même. Un incendie qui le consumait. Elle regretta d'avoir prononcé son nom. Elle savait pas où se placer et comment réagir. Elle resta donc là les yeux ancrés dans les siens avec aucun mot suintant de sa bouche. Elle partagea avec lui sa mélancolie éternelle qui vint de prendre en embuscade son regard brun. Le soleil déclinait dans le ciel. Un joli spectacle mais aucun des deux en profitait. Ils étaient là à se juger dans le silence où le sifflement du vent nocturne harmonisa le tout.

L'étalon d'or incline la tête sur le côté. Une habitude que l'on pourrait croire héréditaire, puisqu'il la tient de son père, qui le tenait lui-même de sa mère. Il papillonne un peu des yeux, tente de rendre sa vision moins flou. Il ne dit rien, toujours muet, sa mâchoire comprimée. Il détourne enfin le regard pour observer le lac gelé, qui se pare déjà d'écharpes colorées, du rouge au violet.