In Mémoriam [L]

La jungle s'arrête brutalement, à flanc de falaise.
Derrière, une forêt tropicale dangereuse et inextricable.
Devant, un pont en corde et planches de bois, qui se balance, grince, craque.
Dessous,du vide. Beaucoup de vide.
Mais au loin, de l'autre côté... Je plisse les yeux. Une silhouette. Un cheval, enfin je crois. Je m'approche, posant un sabot prudent sur les planches. Ça tremble. Je ne suis pas de constitution légère. Encore quelques pas...oui, c'est un cheval, un mâle alezan, et l'air plutôt mal en point. J'avance encore, le pont usé par les ans tanguant de droite à gauche.
- Besoin d'aide ?

Et cette occupation apparaît presque immédiatement après. Il ne sait s'il est agacé par sa présence ou content de pouvoir faire une nouvelle rencontre. Il reste stoïque jusqu'à ce qu'elle arrive à sa hauteur. "Non merci, c'est gentil." Il l'observe, elle, cette masse imposante sur ce si petit pont tanguant. "Et vous ? Pas trop le mal de mer ?" Tout va bien, il réussit encore à faire de l'humour...finalement la mort ne sera peut-être pas présente aujourd"hui.

- J'ai toujours aimé l'Océan, ce n'est pas un petit roulis qui va me rendre malade, répondis-je simplement, avec un petit sourire en coin.
Le pont n'est pas large, alors à reculons je retourne de mon côté de la falaise, et d'un signe de tête invite l'alezan à me rejoindre sur la terre ferme.

Cette réflexion m'arrache un sourire.
- La fragilité est rarement une illusion, tandis que la force ou le courage ne sont que des mirages, de belles paroles dénuées de toute réalité, répondis-je, m'amusant de ma rime.
Je l'aime bien, celui là. Il me met de bonne humeur, et Dieu sait comme je peux être volubile lorsque je suis de bonne humeur ! C'est bien la première fois depuis des années.

A cette question, je me crispe, comme toujours lorsque l'on me demande de parler de moi. Mais mon instinct me chuchote que je peux faire confiance à Lestrange.
- Pandore, lâchai-je dans un souffle. Je m’appelle Pandore.

- Je l'ai découvert par pur hasard, répondis-je en haussant les épaules. C'est un bel endroit. Qu'y a t-il de l'autre côté ? Dis-je en désignant le bord opposé, qui disparaît presque entièrement dans une chape de brume.

Un sourire fugitif éclaire mon visage.
- Intéressant, soufflai-je.
D'un petit mouvement de tête, je fais signe à Lestrange de me suivre.
- Faisons un tour. C'est toujours plus intéressant de discuter en marchant, c'est comme si les jambes déliaient les langues, vous ne trouvez pas ?

Nous marchons tranquillement, je cale mon rythme sur celui de l'alezan. Puis spontanément, ma question fuse ;
- Qui êtes vous, Lestrange ?
Cette interrogation, toute simple en apparence, est pourtant d'une grande complexité.
Moi même, je ne serai dire qui je suis.