tiède traverse allure

Luce s'était laissé prendre par la pluie, et, pas vraiment débrouillarde, errait depuis un certain temps, ne parvenant pas à trouver un arbre apte à l'abriter. L'eau n'était pas glacée, mais ses crins dégoulinaient sur son corps trempée, et les gouttes, de plus en plus denses, s'écrasaient désagréablement sur son corps courbé. La tête basse, les yeux à demi fermés pour éviter la pluie, elle serra les dents et trottina un peu plus vite, sans prendre garde à la forme sombre qui fonçait droit sur elle.

Son nom résonne soudain sur sa droite, une voix qu'elle connaît, qui lui soulève le coeur de bonheur. Surprise toutefois, un sursaut agite son corps tandis qu'elle tourne la tête vers Redjim, très proche, trop proche. Après une demi-seconde d'agitation, Luce se jette à son cou, l'entourant chaleureusement de son encolure mouillée Red ! s'exclame-t-elle, vraiment très heureuse de le revoir. Il avait disparu, elle s'était sentie abandonnée, puis, ne le voyait pas revenir parmi ceux capturés par les humains, l'avait cru mort.

Luce remarqua ses beaux muscles tout frais, c'était pas désagréable didon Il parle dans son dos, son souffle chatouillant ses reines de façon un peu étrange, un peu nouvelle. Tu m'a manqué, tu m'a vraiment trop manqué, dit-elle, deux larmes de joie se mêlant aux gouttes de pluie qui sillonnent son visage. Elle profite encore un peu des biceps, puis recule à contre coeur, ses grands yeux noirs le dévisageant malgré la pluie. Il n'est plus pareil, elle le remarque tout de suite, et son coeur se serre légèrement. Il a l'air d'avoir grandi, il a l'air ... d'être un adulte, et soudain, le cercle de sa solitude se resserre sur la jument baie. Qu'est-ce que, où... t'étais où ? J'ai cru que tu m'avais abandonnée et tout finit-elle par articulier.

La guerre... quoi ? Elle écarquille les yeux, secouant la tête pour se débarrasser des gouttes d'eau qui s'agglutinent sur ses cils. La guerre ? Quelle guerre ? reprend-t-elle, l'inquiétude altérant sa voix. Immédiatement, elle repère alors les drôles de marques qui zèbrent le corps de l'étalon, et son coeur se serre un peu plus : quelqu'un a fait du mal à Redjim. Les hommes, semblent-ils. La jument baie pince les naseaux, passablement agacée par ces êtes qui se sont pris pour des dieux, à changer le cours de la vie de ceux qu'ils avaient capturés. Abandonné ? Elle le regarde d'abord sans comprendre, puis secoue la tête. Je ... j'ai cru que tu étais mort, quand je ne t'ai pas vu revenir avec les autres. Ils ont ... Ils ont dit que certains étaient morts là-bas, ajouta-t-elle d'un ton plus bas, frissonnant d'effroi.

Elle déglutit, le regardant avec attention. Pourquoi était-il si glauque, tout à coup ? Mais elle s'imagine sans peine le chaos dans lequel il a dû se trouver. Quelle horreur pour un cheval né en liberté. Mais non, tu n'es pas mort, regarde, fait Luce en secouant la tête, avant de poser ses naseaux sur sa ganache. Tu n'es pas en fantôme où je ne ... pourrais pas te toucher, finit-elle, son museau dérivant sur son encolure, dans une caresse aussi légère qu'un papillon. Elle l'avait fait innocemment bien sûr, pourtant, lorsqu'elle acheva sa phrase, elle sentit que quelque chose était différent, pas en accord avec son attention première. Elle en aurait presque rougit, si le froid de la pluie n'avait atténué le feu de ses joues.

Et puis, Redjim achève le geste qu'elle a esquissé, précipitant les choses, précipitant Luce, et son coeur, qui s'affole... Mais pour une fois, elle ne joue pas la sainte nitouche, et accueille la bouche de son plus cher ami avec beaucoup de douceur, mais d'hésitation et de crainte, aussi. Contre toute attente, il est doux, et son baiser, s'il surprend d'abord la petite baie, la rassérène bien vite. Un peu timide, un peu gauche au début, elle tente de se calquer sur les gestes de l'étalon, fermant ses yeux, se concentrant sur ce qui se passe là, entre eux, entre leurs deux bouches mêlées Elle fait un pas vers lui, son poitrail étroit se moulant sur le sien, bien plus large et musculeux, ce qui lui fait pencher la tête en arrière et lever un peu plus le museau vers lui. C'est étrange, ce qu'il se passe là, mais ses pensées se sont gelées, laissant son corps tout entier à ses sensations.

Ses lèvres s'étirent contre les siennes, et elle devine son sourire contre sa bouche, s'interroge quant à son origine, des milles doutes l'assaillent : est-ce qu'elle embrasse mal ? est-ce qu'il faisait juste ça pour rigoler, et qu'elle est bêtement tombée dans son piège ? Gênée soudain, elle ralentit ses réponses et entrouvre les yeux. Mais Redjim fond de nouveau sur sa bouche, un peu plus fort, et mordille, mord sa lèvre. Un léger sursaut agite son corps, tandis que le goût métallique du sang se mêle à leurs baisers, à son goût à lui. Elle ronfle des naseaux, enivrée par ce chavirant tournis que provoque cet instant qu'elle attend depuis trop, trop longtemps. Luce jamais touchée, jamais embrassée, jamais regardée, jamais aimée.
Est-ce qu'Osna a vécu la même chose ? Et sa mère, a-t-elle ressenti la même chose que ce que Luce ressent en ce moment même ? Redjim la pousse, elle est contrainte de reculer, et sa croupe ronde heurte l'arbre derrière elle, l'acculant. Pourtant, ce n'est pas désagréable, et des frissons étranges chatouillent le bas-ventre de la petite baie. Immédiatement, elle s'interroge sur les réactions de son corps, si pure qu'elle ignore même l'existence de l'excitation sexuelle.
Elle n'en peut plus soudain, recule, pour reprendre son souffle, pour remettre de l'ordre dans ses idées, pour atténuer ce vertige dans lequel Redjim l'a plongée. Elle relève son regard embrumé - de désir, mais elle l'ignore - vers lui, l'air bien plus sensuelle qu'elle ne l'avait jamais été.