aerial anchor

Red marche entre les arbres, un rare sourire aux lèvres. Ses yeux aux airs pensifs s'oublient sur le sol sans rien voir de ce qui l'entoure. Pas besoin de voir. Il aime déjà cette forêt. Il aime son ambiance, son silence, et ses promesses. Aujourd'hui, Red est de bonne humeur. Depuis son retour dans le royaume du nord, il a enfin une petite bonne nouvelle dans un creux de son âme. Il la caresse du bout de ses pensées, imaginant que cette après-midi serait enfin paisible pour son esprit.

Et elle, qui se sent si lourde et si fatiguée se mouve avec difficulté à travers ce paysage avec lequel elle a de plus en plus de mal, qu'elle commence à considérer comme sa prison glacée, malgré toutes les promesses et le soutien qu'elle y trouve. Robin s'arrête pour inspirer un instant, essoufflée sans même faire d'effort physique, épuisée de traîner ce poids derrière elle, son corps désormais gonflé et tendre. Elle lève son regard doré et trouve une silhouette dans la blancheur de la taïga.

Il s'arrête, toujours pensif. Quelque chose le déconcentre. Quelque chose qui gratte aux portes de ses sens. Quelque chose de... terrible ? Il cligne des yeux et redresse la tête, enfin sorti de ses songes. Une odeur. Une odeur terrible. Un nœud lui tord déjà les tripes, sa gorge s'emmêle avec l'air qui titube soudain dans ses poumons. Il fait soudain très froid et en baissant le regard il surprend ses genoux à trembler un peu. Il ne s'attarde pas dessus, pris d'un sentiment de détresse, qui rend ses gestes hâtifs. Vite, craignant ce qu'il peut découvrir, il jette un coup d’œil alentour... et se fige. Là-bas... là-bas, une vision d'horreur.

Immobile, elle plisse ses yeux, et ne reconnait pas la silhouette dorée, trop lointaine et déformée par la clarté de la neige. Croyant peut-être voir Oroszlàn, Robin commence à s'aventurer vers lui, le trouvant drôlement sombre, drôlement épais ... jusqu'à devoir se rendre à l'évidence que ce n'était aucunement le conseiller des Glaces, mais son fils. Un frisson horripilant courut le long de son échine, et par réflexe sa respiration se heurta, tentant de rentrer son ventre, de masquer la rondeur évidente qu'elle refermait. Sans savoir comment il allait réagir ni ce qu'elle devait faire, la petite grise resta plantée là où elle était, des souvenirs aussi amers que doux lui revenant en vagues.

Le monstre est blanc, sur fond blanc. Il perd son souffle, l'oublie, terrassé par cette image qui le tétanise. Il est effrayé. Une jument de nacre, au ventre assassin. Assassin, assassin de son esprit, qui le tue, le brûle. Débordé, brûlé. Comment décrire cette sensation ? Il allait bien, et soudain il trébuche au bord du vide, et en-dessous l'enfer lui tend les bras. Elle est là, simplement pourtant. Ses quelques pas vers lui le font trembler plus violemment, mais même lorsqu'elle s'arrête il se trouve suffoquée de panique. Il l'avait tellement oubliée, il avait fait tant d'efforts pour ne pas se souvenir... ! Et elle, apparition maudite qui se présente à lui alors qu'elle ne devrait pas exister... !
À lui, aucune douceur ne vint en mémoire. Rien en fait, ni son, ni image, ni morale, juste un vague concept qu'il tente d'étouffer, son odeur inoubliable qui a su faire le lien, et un malaise infini, une peine immense, une détresse, un désespoir. Mais les souvenirs affluent, grattent à la porte, ignobles petits spectres, et il voudrait mourir plutôt que de les laisser entrer.
" VA T'EN ! "
Lui crie-t-il alors.

Ils se toisent, et il se passe une seconde, puis deux. Un petit sourire se dessine sur les lèvres de Robin. Elle est presque contente de le revoir. Pendant un instant, pendant le silence, et l'immobilité de l'étalon balayent sa terreur, et réveillent quelque chose au coin de son cœur, une chaleur indescriptible, peut-être l'avait-elle déja ressenti, là-bas chez les humains ? Peut-être était-il revenu la chercher, elle et son enfant ? Peut-être allait-il s'occuper d'eux ? Peut-être allait-il l'aimer ?
VA T'EN !
Son cœur se brise. Audiblement. Une fois de plus. Son sourire tombe, elle se fige, toise ses traits pleins de colère, et n'arrive pas à croire que toute cette haine est pour elle. Elle semble s'affaisser dans la neige, déconfite, atterrée, brisée, incrédule. Elle ne trouve pas la force de dire autre chose de sa voix faible que : ... Quoi ?

Voilà qu'il vacille. Est-il devenu feuille d'automne, pour trembler si facilement sous chaque revirement tel une simple brise ? La voix brisée le surprend. La forme blanche est associée à un souvenir si terrible qu'il en avait peur, atrocement peur. Mais elle parle, elle n'attaque pas, elle ne tue pas, elle ne s'approche même pas. Elle parle, et le ton de sa voix le brise à son tour. Et ce sourire, qu'est-ce que c'est ? Il n'arrive pas à comprendre. " Va t'en... " répète-t-il à bout de souffle, à bout d'idée, car il doit répondre, se défendre d'elle quand même. Si la terreur subsiste, elle est déjà moins maladive, moins viscérale. Un peu de sa raison arrive à refaire surface, repousser la marée de sa terreur pour quémander sa place au-dessus des flots noirs.
Et puis un souvenir : la neige dans laquelle il se jette. Une neige brûlante... une neige dans laquelle il craint de se noyer, de périr. Il avait les sens si éveillés et la raison si éteinte... La sensation subsiste. Mais sans contexte, sans explication, et il ne veut pas savoir. Il fuit ce souvenir, serrant les dents, désespérément.
Il redresse son regard vacillant dans celui de la jument. Elle a deux yeux. Derrière ces yeux, il y a une âme. Elle est une personne. Quelqu'un. Deux yeux d'ambre. Mais il ne veut pas la rencontrer. Pourtant il reste là, gelé, plongé dans cette confrontation d'un autre monde.
Un sanglot l'étouffe. C'est quoi, ça... ? Cela fait si longtemps qu'il n'a pas pleuré. Mais il faut croire que c'est tout ce qui lui vient.

Elle est glacée, frigorifiée, transformée en pierre, incapable de bouger ou de détourner son regard de lui, alors même qu'il répète les mots qui la tuent. Elle noie alors les souvenirs dont elle se réplongeait quelques instants plus tot, qui redeviennent insupportables. Et elle ne sait pas quoi faire, si elle doit dire quelque chose, se rapprocher, s'éloigner, lui hurler à la figure, lui parler de la petite chose brune qui était née dans cette même neige quelques jours plus tôt, ou partir et l'oublier, le damner, le haïr. Mais au fond elle sait que son petit cœur a toujours été incapable de ça.
Alors elle s'approche, avec précaution, de peur qu'il l'attaque ou la chasse, et voit ses larmes, entend ses sanglots. Robin s'approche de Redjim jusqu'à discerner clairement ses traits, et pour la première fois, elle se demande ce qui lui était arrivé après leur encontre, après son départ, après la migration, alors qu'ils étaient tous partis en le laissant derrière eux. Presque comme pour répondre à son propre fil de pensée, elle murmure : J'ai pensé à toi ... Tout au long de la longue migration, se traînant derrière Oroszlàn, les yeux au sol, la petite grise avait songé à Redjim, et de ce qu'il lui avait fait, de ce qu'ils avaient fait. Sans jamais vraiment avoir de réponse.
Elle le toise. Se demande pourquoi il sanglote, lui aussi.

/s'en va/

La peine l'emporte sur la peur. Une tristesse sans nom, sans explication. Elle est juste là, immense, et il ne peut rien faire que la ressentir, avec douleur. Les larmes lui brouillent la vue. Avec soulagement il constate que cela lui épargne ainsi la vue du monstre momentanément. Mais elle ne s'en va pas... La forme blanche avance vers lui. Et même, elle lui parle, encore. Son cœur a juste le temps d'exploser d'une nouvelle panique que la colère envahit cette fois Redemption. Il renifle et tente de ravaler la boule qui lui noie la gorge. " Abgh... " tente-t-il, incapable d'articuler un mot, embourbé dans son chagrin. Il doit évacuer un nouveau sanglot pour se sentir la force de lui répondre. " Je te connais pas ! " lui crie-t-il cette fois. Et c'est vrai, il ne sait pas qui c'est. Il ne sait plus qui c'est. Pourtant sa réaction démontre bien le contraire. Les sentiments horribles qui l'assaillent sont liés à elle. C'est pour ça qu'il ne doit pas se souvenir. Qu'il la déteste, en a peur, et veut la fuir. J'ai pensé à toi sonne comme une menace obscure à ses oreilles.
Et comme toujours dans les moments où il perd pied dans ses émotions, il n'arrive pas à réfléchir. Il n'arrive pas à envisager les choses sous un angle différent. À se mettre à sa place, à la considérer pleinement comme quelqu'un d'autre, à imaginer ses émotions à elle. À imaginer qu'il puisse lui faire du mal.

Elle le fixe longtemps, pendant que tous les sentiments du monde semblent défiler sur son visage doré, beaucoup plus marqué que la dernière fois qu'elle l'avait scruté. Son cœur plonge de nouveau, et sa lèvre inférieure tremble, et elle se sent soudainement terriblement attachée à lui, d'une force qu'elle ne peut pas expliquer, certainement pas lorsqu'il lui hurle de nouveau dessus. Pour tout encaissement, Robin cille, une larme s'échappant de ses paupières moites pour rouler le long d'une ganache claire.
Son instinct de gamine naïve voulait lui hurler dessus à son tour, lui dire que si, et que elle, elle le connaissait. Mais sa raison la fait taire. Et à vrai dire, non, ils ne se connaissent pas. Tout ce qu'ils avaient en commun était Oroszlàn, et l'instant furtif partagé chez les humains. Ah oui, et une fille aussi.
Robin ne bouge pas, à moitié parce-que cela lui demanderait une force monstre, à moitié parce-qu'elle n'en a pas envie. Elle a envie qu'il revienne, qu'il redevienne lui même, et l'étalon tendre qui avait pourtant commis l'irréparable. Ou peut-être avaient-ils été deux ? Avec le temps elle avait arrêté de lui en vouloir, et de se souvenir de la douleur. Désormais elle ne se rappelait que de sa douceur.
Mais elle n'avait pas les clés nécessaires pour qu'il se retrouve, pour le raisonner, même si le regarder sangloter devant elle la tue, et même si elle commence doucement à l'imiter. Alors elle reste elle-même, patiente, enfante, naïve. Mais si Red ... murmure-t-elle, car elle ne sait que dire d'autre.

Il guette, petit animal furieux et acculé. Il agresse pour se défendre. Bientôt, il devra choisir entre attaquer vraiment ou fuir.
La fatigue qui l'accable toujours lors de ses violents accès d'humeur pointe déjà son nez. Il n'arrivera pas à se sortir de cette situation... Il ne s'en sent pas la force. Surtout qu'il se retrouve encore plus démuni quand elle commence à pleurer doucement. Bien plus doucement que lui, mais ça fait écho. Ça les relie. Et elle prononce son nom... Elle ne devrait pas... Il ne faut pas apporter de preuves. Il n'a pas l'énergie pour les digérer. La réalité qu'elle lui impose, leurs souvenirs, ses émotions à elle... Non, il ne peut pas. Non !!
Son esprit vacille toujours entre peur, colère et tristesse, trébuche, et soudain le voilà qui s'élance en avant. L'air d'abord hagard, vite remplacé par la colère. Il fonce sur elle, avec l'intention de lui faire du mal. Pour la repousser. La faire taire, lui faire comprendre qu'il ne peut plus. Sa mâchoire se desserre, il est prêt à se saisir de son cou lorsqu'il lui rentrera dedans. Et au dernier moment... il l'esquive. Il ne peut pas. C'est comme la dernière fois. Il n'avait pas pu lui faire sciemment de mal. Son corps en mouvement la frôle, sans qu'il ne ralentisse. Là, comme au ralentit, ses lèvres effleurent sa gorge. Une inspiration. L'odeur de Robin emplit ses naseaux. Électrisé. Suspendu...
Enfin, il la dépasse en trombe. Dans la course, une larme un peu trop lourde se décroche de sa joue.
Et il disparaît entre les arbres, plus chamboulé que jamais.

Robin veut ouvrir de nouveau la bouche, le toucher, l'empêcher de fuir, mais il est trop vif, et elle a trop peur de lui. Dans un mouvement brusque Redjim bondit vers elle, et la grise n'a pas le temps de se demander si c'est pour l'embrasser ou la tuer qu'il s'écarte de nouveau, non sans la frôler et lui arracher tous les frissons possibles.
Et puis il disparaît, et elle se tourne mollement pour le suivre des yeux, le regarder s'éloigner de nouveau d'elle, de sa vie, de celle de leur fille. Ses yeux s'humidifient de nouveau, et Robin se retourne, prenant un chemin opposé à celui du doré, laissant pour seule trace de leur retrouvailles leurs empreintes dans la neige.

out mais il nous en refaudra un vite

oh oui