mastering dilution

CINEÀD.

La sirène déambule dans les galeries. Sans bruit, comme si même son ombre ne se projetait pas sur les murs, soumise elle aussi à un apprentissage strict. Son odeur est dissimulée par la poussière épaisse qui s'élève dans les couloirs étroits, son poil clair parsemé d'étoiles ambrées. Ses petits yeux ressemblent à ceux d'une vipère et détaillent tout, analysant chaque sol, chaque plafond, chaque ombre traitre, chaque odeur révélatrice. En réalité, comme une prédatrice, elle suit une piste toute fraiche : celle qui a soulevé cette poussière devant elle et qui la camoufle par la même occasion. Celle qui produit cette odeur légèrement camphrée, et qui produit cette tension palpable. Des sentiments négatifs – de la colère, de la honte (?), de l'incompréhension, de la peur peut-être même. Tant de choses qu'elle aime, qu'elle apprécie, qui l'attirent. Plus silencieuse qu'une ombre, elle se rapproche de lui, n'hésitant à aucune intersection.

Il s'est arrêté. Si elle avait réussi peu avant à se rapprocher suffisamment pour entendre ses foulées, elle ne les entend plus. Donc il s'est arrêté. Non, elle ne peut pas penser que ses sens puissent dysfonctionner. Ce n'est pas dans les cordes de ce qu'elle a appris.
Pourtant, la sirène continue, silencieuse. Elle tourne parfaitement à l'angle suivant et le voit, tout figé, immobile. D'ici déjà, elle sent ses tourments qui lui tournent autour, façon vautours. Un sourire curieux se peint sur ses lèvres grises. Elle a un regard de prédateur, alors qu'il se retourne, d'un bond.
Intriguée d'avoir été soudainement démasquée, Cineàd n'a pourtant pas bouger d'un poil. Son corps épais et gris est couvert de cette poussière lourde et étouffante. Elle n'en semble pourtant nullement gênée, comme habituée à tout ce qui est trop sec – le climat comme les voix. Elle ne tient aucunement compte de sa posture défensive et s'avance, gracieuse comme une princesse, un air naïf et innocent sur le visage. « Excusez-moi, je ne voulais pas vous déranger.. Je crois que je me suis perdue... » murmure-t-elle en s'arrêtant, baissant les yeux, honteuse.

Raté ? Qu'est-ce qui est raté ? Elle perçoit tout, note tout. Contrairement à ce qu'elle laisse penser, à jouer la jeune jument effarouchée, perdue, effrayée. Devant son comportement agressif, elle baisse les yeux et finit par s'arrêter. Elle regarde le sol, à droite, à gauche ; partout sauf son regard. Elle a déjà eu le temps de détailler son corps musclé, sa robe dorée, ses muscles noueux et tendus. Elle a vu sa mâchoire serrée, elle sent sa colère jusqu'ici, la frapper comme s'il s'agissait d'un missile.
Mais elle ne dit rien de tout ce qu'elle prend, de tout ce qu'elle comprend. Elle n'a pas le droit. Elle ne devrait même pas voir et saisir tout cela. Pourtant, c'est le triste fardeau qu'il lui a été donné par un apprentissage forcé. Cineàd s'est toujours sentie avantagée de cette capacité. Elle hésite, fait un pas, recule de deux. Sa queue fouille l'air derrière-elle, elle est la parfaite ingénue, l'hésitation en chair et en os. Lorsqu'il parle de nouveau enfin, elle relève timidement les yeux vers lui. « Mais.. Si, moi, je me suis perdue.. J'étais... quelque part dans une forêt, je pensais juste à me mettre à l'abri dans une grotte, mais en entrant, j'y ai vu beaucoup de couloirs. Je les ai suivis et depuis, voilà des heures que j'essaie de retrouver mon chemin. Je crois que je tourne en rond. » mime-t-elle à la perfection un désespoir pudique. Comme si elle avait peur de l'étalon, peur de son comportement si hostile à son égard. Elle croise de nouveau le regard de l'inconnu. Qu'as-tu fuis, garçon ? On dirait que tu cours depuis des jours et des jours. Peut-être as-tu fuis toute ta vie entière. « Je suis désolée, j-je.. vais vous laisser tranquille.. Je vais me débrouiller, oui, voilà... » Sa voix est incertaine, tout dans son timbre joue parfaitement la comédie de la peur, de la crainte, de la soumission. Elle se détourne légèrement, hésite de nouveau, comme une funambule. Perdue. Et pourtant, avec une jouissance cruelle, elle saisit qu'elle a trouvé exactement ce qu'il lui fallait : une âme plus perdue que la comédie qu'elle joue elle-même.

Elle n'a pas compris – du moins le mime-t-elle très bien – et arrondit la bouche, prête à poser une nouvelle question avant de finalement se raviser et garder le silence. Elle lui jette un coup d'oeil hésitant, recule d'un pas puis fait demi-tour, cherchant son chemin. Elle hésite au croisement, déjà, fait mine d'aller à gauche, puis à droite, puis finalement s'immobilise au centre. Elle pousse un profond soupir en baissant la tête, oreilles courbées.

Pleurer ? Un sourire carnassier s'affiche sur les lèvres de la grullo, qu'il ne peut pas voir, comme elle se tient de dos. S'il savait. Elle n'a jamais pleuré. Pas une seule fois. Jamais. Un coeur non pas de pierre, mais de métal. De fer forgé. Pas de coeur du tout, peut-être. Elle hausse les épaules, hésite encore, et tourne un visage qui a perdu de son amusement, pour retrouver son air innocent, triste presque. « N-Non mais.. je veux juste trouver la sortie... »

Saisissant sa chance, elle le suit sans broncher. Dans l'ombre de ses pas, la sirène offre à son dos un sourire carnivore et satisfait. Encore une fois, elle a réussi. Le Maître ne doutait jamais d'elle. À tel point qu'il ne se doutait pas non plus qu'un jour, elle le dépasse. Elle observe les muscles du doré, observe son allure prestigieuse. Il dégage quelque chose qui l'attire indéniablement. Ses dents blanches se découvrent un peu plus, avant que son visage ne reprenne un aspect triste et intimidé. « Vous connaissez les galeries par coeur ? » demande-t-elle d'une petite voix.

Elle lui fait confiance – ou plutôt, son jeu de comédie lui fait confiance, parfaitement. Elle, ne fera jamais confiance à quelqu'un d'autre qu'elle-même. Elle hoche la tête derrière, suivant docilement. « De quel territoire êtes-vous, si vous n'allez pas aux Glaces, donc ? » Toujours une voix fluette et douce.