‹ le vent dans les saules ›

OROSZLÀN.

À moitié somnolant, le Lion s'est laissé distraire par la fatigue envahissante et croissante de jours en jours. Il plane dans un demi-sommeil, anesthésié par les pâles lueurs d'un soleil hivernal qui perce entre les longues feuilles et vient caresser sa robe engourdie par le froid.

Il se laisse presque engourdir totalement par ce sommeil sans nom qui l'appelle si intensément. Qui l'appelle tellement fort que le Lion est effrayé de s'y laisser glisser. Peut-être qu'il ne s'en réveillerait jamais. Il secoue la tête pour essayer de ne pas sombrer, quand une odeur familière lui parvient. Ses oreilles se dressent immédiatement. Il étudie les environs mais ne voit rien. Est-ce encore un tour de son imagination ? Tour cruel. Il aimerait tant revoir son frère. Qu'ils puissent tout se pardonner, l'un et l'autre. Mais qu'y a-t-il à pardonner, au fond ? Il soupire doucement, observant les feuilles qui continuent leur course jusqu'au sol.

Le Lion entend soudainement une toux rauque lui parvenir de sous un saule. Partagé entre l'intuition que c'est la réalité et le doute que son olfaction lui joue des tours, il lève sa carcasse dorée mais poussiéreuse à être restée trop longtemps au sol. Le pas lourd, le coeur bancal, il se dirige vers la source du bruit. « Naska ? » appelle-t-il d'une voix légèrement enrouée.

Aucune réponse. Donc c'est bien une hallucination. Oroszlàn fixe le saule, hésitant encore à aller voir derrière ses feuilles basses et longues qui trainent au sol. Mais finalement, il ne se sent pas de taille à affronter une nouvelle déception. Alors, il reste planté là, et laisse tomber ses oreilles de chaque côté de son visage sombre.

Alors qu'il s'apprête à se détourner, le Lion perçoit une toux rauque. Cette fois, il n'a pas rêvé. Il fait volte-face et part en trottinant vers le saule qu'il guettait peu avant. Sans hésitation, il laisse les longues feuilles s'écarter à son passage. Le spectacle qu'il découvre derrière lui fend le crâne. Non, pas lui, pas lui aussi, pas encore ! « Naska.. » Son frère remue étrangement et le coeur le l'ancien Roi se serre douloureusement. Il s'approche, sans tenir compte des tensions qui habitaient leur relation, il y a des mois. « Ça va aller, je suis là.. Tu.. tu veux de l'eau ? » Dépassé par la situation, il ne sait pas quoi faire, ne sait même pas si l'alezan l'entend.

Immédiatement, le Lion disparait de nouveau en tournant les talons. Il trottine quelques minutes avant de trouver un petit étang et d'en ramasser un peu d'eau à l'aide d'une grande feuille. Il la ramène de ce pas à son frère, la déposant devant lui. « Voici. » Il reste debout au-dessus de l'alezan, le couvant d'un oeil inquiet.

Il n'y a rien à dire de plus. Le doré regarde son frère – et ce qu'il est devenu. « Où étais-tu ? » demande-t-il sans reproche, sans aucune animosité. Le temps n'est plus aux disputes, mais aux retrouvailles. Avant de nouveaux départs.

Un soupire s'arrache au corps marbré de cicatrices de l'ancien Roi du Nord. Il se rapproche de son frère – demi-frère, en réalité – et s'allonge près de lui. « Que t'est-il arrivé ? »