encore un jour

Elle a toujours eu du mal, avec le froid. Son corps, si fin qu'on le penserait faible, a vite commencé à tressaillir, sa peau à refroidir, son poil à se hérisser et ses épaules et ses mâchoires à se crisper. Pourtant, elle ne pouvait se détacher de ce que voyaient ses yeux. Elle voudrait bien, pour cette nuit, s'élancer dans le ciel et bondir d'étoile en étoile, se blottir dans les aurores boréales. La beauté du Nord fait larmoyer ses yeux autant que le vent furieux.

Du coin de l’œil, elle voit cette silhouette, près du bord, absorbée par le vaste territoire qui s'étend sous eux, faiblement éclairé par les astres. Elle le regarde quelques instants, hésitant à le rejoindre, à faire le premier pas; elle a toujours eu du mal. Elle a toujours craint ce que pourraient penser d'elle, malgré ses efforts pour s'en foutre, malgré ce qu'elle veut faire croire, et ça l'énerve. Il ne la voit pas, tant mieux. Elle pourrait s'esquiver en douce ... Pourtant, il n'y a personne alentour. Les gens sont moins agressifs et sûrs d'eux quand ils sont seuls, souvent. Alors Ali décide à lents pas, de venir à lui. Peut-être connaît-il un endroit où s'abriter pour la nuit. Elle prend une grande inspiration, la respiration tremblante, avant de prendre la parole. Salut. J'te dérange pas ? Sa voix est basse et douce, elle ne cherche pas les ennuis, pas ce soir. Elle lui tend un sourire qu'elle essaie de faire naturel.

L'inconnu paraît surpris de la voir. Il devait être profondément plongé dans les méandres de sa pensée, comme elle l'est souvent. Elle a toujours été rêveuse, mais pas forcément dans le sens fabuleux du terme. Son sourire s'atténue un peu, sous la concentration. Elle essaie de déchiffrer les paroles confuses du mâle. Elle aurait sûrement dû continuer sa route sans se faire repérer, elle a l'air de le déranger, ce qu'elle ne supporte pas. C'est moi qui suis venue, tu me déranges pas. Ses yeux restent accrochés dans les siens. En fait, je voulais te demander si tu savais pas où y aurait un abri ou quelque chose, je viens d'arriver et j'ai pas d'endroit où dormir. Le froid brûle la peau délicate de ses lèvres et de ses naseaux et mord chaque parcelle de sa peau frissonnante, et ses muscles crispés commencent à devenir douloureux tant ils sont tendus.

Ali décide d'ignorer son acquiescement, et se concentre plutôt sur ce qu'il dit ensuite. Toute la brume de ses pensées semble s'être évaporée du regard de l'inconnu. Elle a toujours du mal à parler en toute aise avec les inconnus, mais a l'habitude de demander sa route. Si tu veux, ouais ... C'est une façon de dire oui quand on a une grande fierté. Elle n'a pas envie de couper tout de suite la communication, elle a sûrement besoin d'autres renseignements. Partout des effluves équins s'échappent des terres qu'elle vient de commencer à fouler, beaucoup de ses congénères doivent vivre ici. Et Ali aime apprendre, connaître les choses, ce qu'il se passe autour d'elle. Elle lui fait comprendre d'un regard qu'elle est prête à partir. Je sais pas si ça peut te servir mais moi c'est Ali. Parler lui ferait sûrement penser à autre chose qu'au froid qui griffe et mord sa peau, et au vent qui la brûle.

L'énergie soudaine de l'inconnu - Redjim - laisse un sourire satisfait sur les lèvres d'Ali. Elle préfère ce soir se concentrer sur l'enthousiasme apparent qu'il lui offre plutôt que ce qui se cache derrière. De toute manière, jamais elle n'a l'envie ni le besoin de s'intéresser au chagrin des autres, mieux vaut s'occuper de ses propres problèmes, et tout se passe normalement très bien pour tout le monde. Il démarre en trombe, et elle s'efforce de ne pas trop s'enfoncer dans la neige pour tenir le rythme. Je suis arrivée là par hasard, j'ai l'habitude de voyager. Enfin je suis jamais restée très longtemps au même endroit. Elle ne pense pas en dire plus pour l'instant, elle trouve ça déjà bien, à ce mâle des neiges qu'elle vient de rencontrer. De grandes volutes blafardes s'échappent de ses naseaux au fur et à mesure que son souffle se réchauffe sous l'effort. Et toi ? Tu connais le coin, alors ?

La voyageuse écoute attentivement Redjim, ravie d'apprendre des choses sur ce pays. Alors ici, les rois subsistent encore ? Ça faisait longtemps qu'elle avait vu ça. Au long de ses voyages, elle rencontrait plutôt de petits groupes soudés ou éphémères, au pouvoir réparti dans les mains de chacun. Il lui était déjà arrivé de rencontrer des hardes sous la direction d'un chef, mais que les membres choisissaient à leur guise, au fil de leurs besoins, qu'ils pouvaient destituer comme bon leur semblait. De ce qu'elle a déjà vu et appris, la monarchie est rare. Alors, les questions lui viennent, mais elle tâche de les garder pour elle, pour l'instant. D'abord répondre aux siennes. Je suis à la recherche d'idées, de flux de pensées, de cultures, j'accumule les visions du monde, de la vie, et de tous les grands sujets. J'aime me nourrir de ce savoir. C'est ce dont elle est toujours en manque. Elle est loin d'être la plus savante, car les grands savants ne s'imaginent pas ne pas savoir de choses, alors ils ne découvrent pas et ne philosophent pas. Et les ignorants ignorent leur ignorance, alors il ne cherchent pas non plus. Elle est entre les deux, et vogue au gré des cultures qui la construisent.
Des monarchies, ici, alors ? En passe de devenir libres ? Il faut qu'elle apprenne et qu'elle observe. Et la paix est-elle maintenue, par ces 4 monarchies ? Ça doit être très conflictuel, non ? Les monarques cherchent toujours la guerre pour flatter leur égo.

(estoy aqui azy comment tu te fous de mon perso pff)

La nomade écoute Redjim, ses yeux cernés fixés sur la neige scintillante à ses pieds. Ses premiers mots lui arrachent un sourire. C'est souvent comme ça ... Diviser pour mieux régner, etc, murmure-t-elle, presque inaudible avec le grand vent nordique. Elle déteste ce proverbe malsain. Elle soupire, et des volutes s'échappent de ses naseaux. Le froid qui la mord de partout l'empêche de se concentrer, ses oreilles et ses naseaux s'engourdissent. Elle jette un coup d’œil alentour, dans l'espoir de repérer un quelconque abri. Mais elle ne voit que la neige, les roches noires et le ciel étoilé. J'aime bien cette façon de penser, répond-elle. C'est encore loin ? Elle n'en dit pas plus. Elle ne voudrait pas lui avouer à quel point elle supporte mal le froid, à quel point elle a une faiblesse.

¬¬

Il lui sourit, et elle sourit aussi. J'aimerais bien. Ali regarde la pente qui s'étend devant eux. Elle lui fait signe d'y aller, afin qu'elle puisse calquer ses gestes sur les siens. Elle sent dans la voix de Redjim une certaine impatience, et se demande alors ce qui les attend.