La belle aux bois dormants #P

Elle s'est finalement endormie. Son sommeil était troublé ces temps-ci et elle ne parvenait plus à dormir confortablement, comme avant. Avant qu'elle se mettre à réfléchir. Le son des vaguelettes l'a apaisée et l'a bercée jusqu'à ce que Morphée vienne la prendre dans ses bras. Peut-être que c'était ce qu'elle avait besoin, d'être enlacée. Son petit coeur souffrait depuis qu'elle avait encore fait une erreur. Un faux pas. Une mauvaise réaction. À quoi s'attendait-elle au fond?
Elle avait beau essayer de stopper ses sentiments, elle en était incapable.
C'est donc allongée sur la plage qu'elle est plongée dans un profond sommeil..

lövojka


Elle l'observe depuis un moment maintenant. Elle l'a vue arriver, elle l'a vue attendre – mais attendre quoi ? Le sommeil, l'amour, le temps. Peu importe. À présent, elle dort. Lov ne s'avance pas tout de suite. Elle sait son fils en vie.
Elle sait aussi que c'est grâce à la rouquine. Elle sait que sinon, il serait mort. Elle ne sait pas ce qu'elle souhaitait, au fond. Pourtant, elle ne peut ignorer le soulagement certain qui coule dans ses veines. Mais elle s'imagine aussi très facilement la colère que Phoenix doit diriger vers elle. À raison, vous me direz. Silencieuse, effacée, la silver se tient droite, sans un mot, sans un souffle.

Elle ne rêve pas, contrairement à ce qu'on aurait pu penser. Enfin, si elle rêve, comme nous tous quand nous pensons que non, sauf qu'elle ne s'en rappellera pas. Pas un cauchemar ni un songe merveilleux, juste du noir. L'eau monte, silencieuse mais dangereuse, et vint lécher aux genoux. Elle ne s'en rend pratiquement pas compte. Comme si rien ne pouvait la réveiller.

La voyant dans un sommeil profond, semblable à ceux de Lov qui, comme la rouquine, ne dort pas bien depuis.. depuis toujours, en fait, s'écroule toujours d'une fatigue terrible et meurtrière pendant des heures de récupération obligatoire ; elle s'avance vers elle. Toujours avec cette ambiance froide autour d'elle, cette aura à la fois dérangeante et fascinante, cette force noire et maladroite. Elle s'arrête à quelques mètres de la jument et sans rien dire, sans la réveiller non plus, la silver se tourne vers l'océan, qu'elle observe sans émotion visible.

Son sommeil est bien vite troublé. Mais cette fois, ce n'est pas à cause de rêves étranges ou de pensées incessantes, c'est à cause de bruit de pas. Un bruit de pas qui résonne dans sa tête, s’immisçant dans son esprit pour finalement la réveiller. Elle ouvre doucement les yeux sans toutefois se lever ou redresser la tête. L'odeur de Lov est partout et elle voit ses jambes près d'elle. Super, c'est ça qui va venir lui changer les idées. «Tu es là.», affirme-t-elle d,une voix neutre, sans hostilité ou chaleur. Son visage ne trahit rien et elle ne sent même pas la haine l'envahir. Elle est encore un peu trop endormie pour ça. Elle reste dans cette position, les yeux levés vers la jument près d'elle.

Lov trouve cela étrange. Qu'elle reste couchée devant elle, dans cette position de soumission voire même de faiblesse, de danger. Sûrement tout le monde n'a-t-il pas été éduqué comme elle.
Rectification.
Sûrement les autres ont-ils justement été éduqués, eux. Et non livrés à eux-mêmes dès les premières minutes de leur vie, voyant tout le paysage alentours comme un ennemi potentiel. C'est comme ça qu'elle a évolué. Ils sont tous tes ennemis. « En effet. » répond-elle sur le même ton, sauf que chez elle, il est habituel. Sans émotion, sans animosité ni douceur. Sans rien, en fait. Elle détourne son regard de l'océan pour le river droit sur Phoenix. « Mais la plage est vaste. Je peux aller plus loin. »

Le pire c'est qu'elle se sait vulnérable. Mais elle se dit que de toute façon, si elle est debout ou non, si elle se fait attaquer elle n'aura peut-être même pas la force de se battre, tout juste celle de fuir tant bien que mal. Alors elle reste là, sans bouger. Elle n'a pas envie de se déplacer parce que quelqu'un la voit. Mais, Lov, sache qu'elle ne se soumettra jamais.
Autrefois, un tel regard aurait pu l'effrayer ou juste l'intriguer. Mais aujourd'hui est un jour différent. C'est pourquoi elle soutient son regard sans fléchir. «Le monde est vaste et pourtant nous ne sommes pas toujours en train de nous disperser juste par crainte de déranger quelqu'un.»

Par crainte ? Lov ne craint rien.
Ni les autres, ni même de les déranger. Pourtant, elle ne dit rien. Peut-être parce que la réponse de Phoenix est plutôt positive. Elle accepte sa présence, ce qui l'étonne. Dans les rôles inverses, sûrement Lov l'aurait-elle déjà attaquée, battue, chassée. Sûrement aussi sont-elles assez différentes pour que Lov se rende compte que son comportement impulsif n'est pas toujours le plus approprié. « C'est vrai. » fait-elle seulement, en regardant de nouveau les vagues qui viennent lécher le sables, jusqu'à ses lourds sabots. Que doit-elle dire, à présent ? Demander des nouvelles de son fils ? En quoi cela la concerne-t-il, aujourd'hui qu'elle est tout sauf une mère digne ?

Elle savait trop bien que Lov ne craignait rien. C'était un comportement imprudent surtout. Mais bon, ce qui surprend Phoenix, c'est qu'elle se contente d'approuver sans répliquer. Et qu'elle ne sache pas quoi dire, tout comme elle. Elle poussa un petit soupir et se releva. Elle avait dormi c'était déjà ça. Probablement que si elle n'avait pas été plongée dans ce sommeil elle aurait fini par s'évanouir ou un truc du genre.
Elle se secoua légèrement pour faire tomber la poussière qui s'était accrochée à sa robe rousse. Elle se plaça aux côtés de la jument, sans méfiance malgré ce qu'elle avait fait. Qu'elle l'attaque s'il le fallait. La rouquine savait que la soeur de Ghanan était imprévisible, mais aujourd'hui elle s'en foutait pas mal. Elle avait d'autres soucis.
Silence.

Et c'est par l'indifférence de la rouquine que Lov sait qu'elle ne va pas bien. Si elle n'avait pas de problèmes, sans doute lui en chercherait-elle, surtout qu'elle aurait de quoi. Là est la nature de toute créature vivante sachant penser. Se créer des ennuis est la meilleure façon d'avoir une vie, sans doute. Pourtant, Phoenix semble à des kilomètres d'elle. Et cela intrigue un peu la silver, qui tourne la tête vers elle. « Ça ne semble pas aller. » commente-t-elle seulement. Peu importe si Phoenix l'envoie valser, peu importe si elle ne lui répond pas.

Loin, très loin en effet. Loin dans ses pensées, loin dans son coeur, mais près de la jument dont elle se serait méfié dans ses bonnes journées. Ces temps-ci, c'était comme si sa bulle se formait en un claquement de doigt. Elle qui d'habitude ne pensait jamais à ce genre de chose, éprouvait une grande joie de vivre et montrait sa fougue à tous n'était plus que l'ombre d'elle-même. Ça va passer, se disait-elle toujours.
Lorsque Lövojka parla enfin sans lui poser de questions, la bulle se brisa et elle revint sur terre. Elle soupira et baissa les yeux, regardant le sol devant ses sabots. «Ça parait tant que ça?», lui demanda-t-elle.

Lov l'observe. Avec les sens aiguisés d'une lionne (ou d'une hyène plutôt, peut-être), ressentant ses émotions comme si elles étaient siennes. C'est agréable et dérangeant à la fois. Agréable parce qu'elle se protège tellement qu'il lui semblait ne plus être capable de ressentir des émotions. Pourtant là, elle les ressent. Des regrets ou des remords, une déception, une mélancolie particulière. Celle de la perte d'un être cher, mais pas par la mort. Par les erreurs. Sa gorge se serre légèrement, comme si la souffrance de Phoenix faisait, au fond, un drôle d'écho à la sienne, cachée, tapie, soumise. « Pas pour tout le monde, ne t'en fais pas. » Elle ne la pousse pas à parler, ne la force pas à se dévoiler. Après tout, ça serait bien culotté de sa part. Mais elle la fixe toujours, comme pour le lui suggérer, sans elle-même savoir pourquoi est-ce qu'elle s'intéresse à la vie de quelqu'un d'autre.

Comme si les flammes qui brûlaient toujours en elle, lui donnant son caractère, n'étaient plus que braise chaude. Si de l'eau avait calmé ce feu, elle n'était pas sortie des yeux de Phoenix. Non, Phoenix ne pleure pas, elle ne pleure jamais. C'est à peine si elle montre ces émotions. Elle tentait tant bien que mal de les dissimuler. Mais, oh quelle surprise, elle a échoué ce coup-ci. Mais au moins, la réplique de la jument à la robe de terre et aux crins de neige a pour effet de l'amuser légèrement, alors que ce n'était sans aucun doute pas voulu. «Wow, trop de modestie en toi!», dit-elle en riant un peu avant de reprendre son sérieux. Si elle ne portait pas spécialement Lov dans son coeur, pas comme son frère du moins, elle l'intriguait beaucoup. Et cette fois, elle se demandait comment elle avait pu savoir ce qu'elle ressentait.
Nouveau soupir. Avec elle à ses côtés, la rouquine ne cherche même plus à se cacher. «On dirait parfois que tu me connais plus que tu ne me connais en réalité.», admit-elle simplement.

Lov encaisse la pique amusée sans rien dire. En temps normal, sans doute l'aurait-elle reprise pour ce genre de parole, parce que ça lui déplait. Mais, comme je disais avant... le feu s'est tapi. Il s'est caché, peut-être pour mieux se révéler plus tard. Alors, elle reste stoïque, impassible, presque comme si elle n'avait rien entendu. Elle voit les changements ébranler Phoenix. Passer du rire aux larmes – si ce n'est qu'elle ne pleure pas. Tiens, d'ailleurs, Lov ne se souvient pas avoir déjà pleuré dans sa vie non plus. Un soupir vient trahir le silence, Phoenix semble de nouveau plongée dans ses tracas, qui même avec un peu de légèreté, lui reviennent en pleine figure. C'est bien la preuve pour la lionne qu'ils sont importants, qu'ils la hantent, qu'ils se servent de ses failles pour s'y incruster. Elle voudrait faire la forte. Dire que pour elle, jamais ils n'ont réussi, que ce que son père appelait « ses démons », n'a jamais franchi l'armure qu'elle s'est construite.
Pourtant, elle n'a pas passé des mois entiers dans les galeries pour rien. Elle hausse les épaules, détournant le regard, lui répondant en observant les vagues monotones. « Je ne prétends pas te connaître. Cela serait déplacé, parce qu'on ne se connait pas vraiment. » affirme-t-elle d'une voix lourde, comme chargée d'une émotion à mi-chemin entre remords et indifférence. Ses yeux noirs viennent se visser aux siens, enfin. « Je ressens, c'est tout. » Elle a toujours été comme ça. À ressentir et absorber les émotions alentours. Comme une éponge. Comme si c'était pour combler le vide que l'absence d'émotions créait chez elle.

Le visage de la silver reste de marbre devant sa courte plaisanterie, ce qui la déprime un peu plus encore. Une seule question se pose à cet instant. Est-ce que la soeur de Ghanan a déjà rit? Étrange Lov, toujours un mystère vivant. Mais elle a raison. Elle ne se connaissent pas. Enfin, si un peu, mais pas entièrement. C,était pas comme si elles étaient les meilleures amies du monde aussi. «C'est vrai.», admette-t-elle, sans toutefois dire «tu as raison». Elle a encore trop de fierté pour ça. La rouquine retient un léger frisson lorsque les yeux de la jument chocolat fixent les siens. «Alors dis-moi, que ressens-tu?», demande-t-elle.