white rabbit

Elle est là, appuyée nonchalamment contre un saule pleureur. Ses jambes tremblent et menacent de céder à chaque seconde. Elle se sent faible, fiévreuse. Après avoir passé quelques jours sans se sentir mal, voilà qu'elle semble faire une rechute. Ses naseaux sont grands ouverts, comme pour capter un maximum d'oxygène. Ses flancs se soulèvent à des intervalles irréguliers et une fine couche de transpiration recouvre déjà sa robe noire, lui donnant un aspect brillant. Du sang suinte toujours de ses blessures. Elles ont commencé à coaguler mais l'infection est toujours présente. Le regard de Syliah se pose finalement sur la petite rivière qui passe juste devant elle. Sa gorge est sèche, mais elle n'ose pas se détacher de l'arbre pour s'en approcher.

Ses oreilles se plaquent immédiatement contre sa nuque, lorsqu'elle entend des brindilles craquer sous le poids d'un animal. Maudites soit ses blessures ; ça la rend bien trop visible aux yeux des autres. Elle n'est toujours pas libre finalement. Car maintenant qu'il n'y a plus quatre mur tout autour d'elle, ce sont ses blessures qui l'empêche de vivre sa vie comme elle l'entend. « Non. » réplique-t-elle, sans détour. Parler lui était presque devenu étrange. Elle avait gardé le silence durant tellement de temps... « Je n'ai pas besoin de toi. » Elle n'hésita pas à plonger ses yeux dans les siens. Il avait cette lueur dans les yeux qu'elle ne parvenait pas à identifier et il fallait l'avouer ; ça l'agaçait.

Son sourire l'agace. Il l'agace. Elle grince des dents, pour le lui en faire part. Il mériterait bien un petit coup bien placé, histoire de le faire redescendre un peu et effacer cet air condescendant qu'il affichait sans aucune crainte. Malgré son apparente fragilité, Syliah était une guerrière. Une sans peur. Elle se redresse, quittant enfin l'arbre centenaire qui lui servait jusqu'alors de soutient. Si elle gagne quelques centimètres de plus, ce n'est bien évidemment pas assez pour rivaliser avec l'étalon à la robe dorée, mais elle s'en contre-fout. Elle le fixe avec autant de mépris qu'il est possible. « Une éternité. » répond la noiraude en un souffle, en faisant un pas vers lui. Puis elle l'observe du coin de l’œil, alors qu'il s'agite en jetant de plus en plus régulièrement des coups d’œil à l'étendue d'eau. Elle comprend aussitôt où il veut en venir. « Pourquoi jouer le bon samaritain ? » demande-t-elle alors, légèrement moqueuse sur les bords, pour cacher l'amertume qui enserre vivement son cœur meurtri.

Peut-on seulement faire confiance à de parfaits inconnus ? C'était cette question la, qu'il fallait se poser. Syliah n'avait pas apprit à faire confiance aux autres. Elle n'avait pas réellement apprit à ne serait-ce qu'interagir avec eux. Elle avait toujours été seule, dans cet enfer, enfermée dans cette sordide prison. Et elle n'avait aucun souvenir de sa naissance, de ses parents, ou de tout autre élément de son enfance. Dans son esprit, seule la prison existait. La prison, la douleur, le silence et la solitude. « Mon sang ne coule pas par ta faute, je ne vois pas pourquoi tu l'aurais sur la conscience. » lâche-t-elle, amère. Woh. C'est qu'elle commençait à réussir à aligner plus de six mots à la suite ! A croire qu'elle serait un jour capable de sociabiliser. « Je suis bien où je suis. » Il était vrai qu'elle y mettait de la mauvaise volonté, mais elle ne mentait pas réellement. Elle se sentait bien, en sécurité à l'ombre du vieux saule pleureur. Au moins, elle était sûre de ne pas embrasser le sol au moindre faux mouvement qu'elle aurait le malheur de faire. Et puis, ça lui faisait aussi mal aux fesses de devoir avouer sa faiblesse.

Un rire franc monte dans sa gorge. Il ne veut pas la laisser crever... Comme c'est mignon. Qui s'en préoccupe réellement ? Enfoncer sa réputation ? Pauvre chouchou. Elle a presque de la peine pour lui. « Moooh, le preux chevalier voudrait accourir au secours d'une princesse en détresse... Comme c'est charmant. Et presque touchant. » souffle-t-elle d'une voix caressante. Syliah se décale légèrement de l'arbre et avance d'un pas. Puis d'un deuxième. Elle se rapproche du chevalier à l'armure dorée et, une fois à côté de lui, elle encre ses yeux dans les siens. « L'agonie fait déjà partie de mon quotidien, chéri. » Un sourire narquois se dessine sur ses lèvres alors qu'elle le dépasse pour entrer dans l'eau, non sans lui fouetter le bout du nez avec sa queue au passage.

S'il savait à quel point il se trompait sur son compte. S'il savait, à quel point les ténèbres avaient prit possession de son âme. L'eau lui arrive au poitrail lorsqu'elle se retourne pour l'observer. Elle manque d'ailleurs de se cogner contre lui en effectuant sa manœuvre, tant ils sont proches l'un de l'autre. Le bout de son nez est à quelques centimètres à peine et l'envie de lui arracher cette peau si douce, si fragile, lui tenaille violemment l'esprit. Il la titille. Il la pousse à réagir à l'inverse de ce qu'elle voudrait faire. Elle grince des dents et pince les naseaux pour ne pas mettre à exécution ses envies. « Il a échoué à sa mission, j'imagine. » répond-t-elle de sa voix doucereuse. Autrement, pourquoi voudrait-il sauver une inconnue et surtout sa réputation déjà visiblement bien entachée ? Ses prunelles dépareillées viennent alors rencontrer les siennes. Une lueur sombre les traverse en un éclair. « Dixit le mâle salvateur en manque de reconnaissance. »

Elle l'écoute attentivement. Son regard ne le quitte pas une seule seconde. Le brave chevalier serait-il l'ombre de lui même ?Serait-il la menace, l'ombre elle-même ? Les prunelles de la noiraude vagabondent sur son corps musculeux, à la recherche de cicatrices ou autres preuves qu'auraient laissé les ténèbres sur sa peau. Un instant, une question brûle ses lèvres. Mais elle la garde pour elle, précieusement. « Je ne te retiens pas. », lâche-t-elle en un souffle, en reculant d'un pas pour mettre de la distance entre eux. Son mouvement, rapide et brusque, provoque de petites vaguelettes à la surface de l'eau.