pour oublier ta main

Vinushka
Le sol surplombé par une mousse dense tient le rôle d'un matelas bien molletonné. Qu'il est agréable de marcher là-dessus, pense l'étrangère. Le son de chacun de ses pas est comme absorbé par le décor ; à croire qu'on ne peut que faiblement entendre l'arrivée de qui que ce soit. Alors qu'elle se promène, Vinushka surprend un étalon au loin. Elle marque l'arrêt et l'observe, lui qui contemple déjà la traversée du bois par quelques biches.

Elle n'apprécie pas le regard qu'elle croise. Elle garde le sien plongé dans celui de l'étranger, comme pour l'affronter. Elle sait que ce territoire ne leur appartient pas, du moins pas pour l'instant, mais elle se sent chez elle. Maintenant sa position sans un bruit, un tas de questions s'immisce dans l'esprit de la brunette. Qu'est-ce que cet étranger est capable de faire ? de lui faire ?

Elle avait horreur qu'on lui parle sur ce ton. Surtout venant d'un inconnu, ses frères à la limite ça pouvait passer. Ses oreilles se couchèrent sur sa nuque, son regard s'obscurcit. Il était qui celui-là pour l'accoster de la sorte ? Lui avait-elle fait quelque chose de mal ? Ses pensées se bousculèrent et l'envie de lui faire regretter ses paroles la prit aux tripes. Vinushka n'attendit pas plus : elle fonça droit sur l'étalon, tête basse, à travers le bois.

Pour une fois qu'elle n'agit pas sous l'effet d'une vision. Pour une fois qu'elle a ses propres raisons. Vinushka observe l'étalon sur lequel elle vient de se jeter. Elle est un poil essoufflée, elle le toise de son regard luisant. "Je voulais te donner une bonne raison de me lancer ce regard désobligeant." rétorque-t-elle en se redressant, comme si tout redevenait à la normale.

Non mais sérieusement. Comment il cause celui-ci. Comment il lui crache dessus, aussi. Elle le regarde avec des yeux ronds, remplis de colère. Son sang ne fait qu'un tour. Il a assez parlé ; il faut le faire taire. La baie se cabre à demi et envoie ses antérieurs fouetter le poitrail de l'étalon. En retombant sur ses pieds, elle rétorque à son tour, sèchement. "Si tu n'es pas satisfait de ces gens, dégage. Quitte ces terres." Elle avait envie de lui cracher dessus aussi, mais c'était une princesse.
Et les princesses ça ne crache pas. ou ça ne sait pas cracher.