Ma jolie fleur.

Ils avaient quitté les vieilles terres de GS - ou du moins ce qu'il en restait. Ils étaient parti, ensembles, sans se retourner. Pour un meilleur avenir. Ils étaient tous du voyage, qu'ils soient jeunes ou vieux, sains ou malades, mâles ou femelles, parents ou non... D'ailleurs, Myosotis était rassurée ; elle n'était pas la seule future mère, bien loin de là. De nombreuses juments arboraient un ventre rond ; signe de vie. Et cette perspective l'enchantait. Son enfant pourra se faire un grand nombre d'amis.

Les jours s'enchaînaient avec une vitesse folle. Le voyage n'était pas facile à cause du manque de nourriture et d'eau mais personne ne s'en plaignait. Porter un enfant dans ces conditions était difficile... Mais ce n'était pas suffisant pour briser la bonne humeur et joie de notre jolie demoiselle dorée. Elle se sentait revivre en sentant la vie entre ses flancs. C'était le cycle naturel, les femelles avaient été ainsi faites ; pour recevoir la vie et l'abriter jusqu'au moment idéal. Et ce rôle là, Myosotis le prenait très à cœur.

La dorée le savait ; sa gestation était sur le point de prendre fin. Une boule d'angoisse était montée dans sa gorge. Le voyage n'avait pas encore prit fin. Et pourtant, elle le sentait ; bientôt, son enfant viendrait au monde. Ses flancs étaient devenus lourds, douloureux. Chaque mouvement du petit la mettait au supplice. Elle ne pouvait plus avancer... Alors elle avait choisit de se mettre en retrait du groupe. Le grand jour était enfin arrivé.

La dorée s'arrête lorsqu'un énième coup lui coupe la respiration. Les contractions sont de plus en plus rapprochées et douloureuses. Myosotis le sait ; elle n'ira pas plus loin. Sans doute que n'importe quelle compagne aurait pensé à son compagnon dans ce genre de moment. N'importe quelle compagne aurait cherché ou au moins attendu son compagnon. Mais, tristement, les pensées de la petite fleur bleue n'étaient pas tournées vers Sueño. Sans doute la faute à l'habitude, elle qui avait toujours donné la vie en étant seule.

Pourtant, aujourd'hui, elle n'est pas seule. L'espagnol est arrivé, à pas de loup, jusqu'à elle. Un léger sourire naît sur les lèvres de la dorée. Elle n'est pas seule. Une douce chaleur se répand dans chaque parcelle de son corps. Elle n'est plus seule. Ses prunelles bleues glissent sur son compagnon et elle est surprise de ne pas apercevoir cette étincelle au fond de ses jolis yeux ambrés. Besoin d'aide ? Pourquoi prend t'il ainsi ses distances... ? Le cœur de Myosotis se serre. Avait-il changé d'avis... ? L'abandonnait-il finalement ? Malgré cette crainte, la dorée ne se défait pas de son habituelle douceur. « J'aimerai beaucoup que tu restes à mes côtés, oui. » Et elle ose venir glisser ses naseaux sous les ganaches de Sueño, tendrement.

A peine ses naseaux eurent le temps de toucher l'étalon qu'il se recula brusquement. Les mots qu'il prononce par la suite ricochent sur Myosotis sans qu'elle en saisisse le moindre sens.

Le passé la rattrape, indéniablement. Son cœur se serre si fort que durant une poignée de minutes, elle a l'impression qu'elle est entrain de faire une crise cardiaque. Son souffle se fait plus court, sifflant. Pourquoi le Destin avait-il décidé de la mettre autant au supplice ?

La dorée se laisse envahir par la peur. Une nouvelle douleur, fulgurante, la traverse. Elle se laisse alors tomber à genoux avant de céder pour de bon. Désormais couchée de tout son long, elle tente de retrouver son souffle alors que le poulain s'engage.

C'est à peine si elle entend son nom. La peur s'est totalement emparée d'elle, l'empêchant de garder les pieds sur terre. Myosotis a de l'expérience dans ce domaine qu'est la maternité. Elle sait donc qu'il faut qu'elle réunisse toutes ses forces pour pousser afin d'aider son petit à naître. Mais le souffle lui manque et ses efforts sont vains. Elle ne fait que s'épuiser inutilement.

Et, bien évidemment, c'est à ce moment précis que le Destin décide de poursuivre ses facéties... Un lion des montagnes arrive à toute allure. Sans doute alléché par l'odeur du sang et la proie idéale que représente une mère entrain de donner la vie. Rapidement, Myosotis sent les longs crocs acérés de son bourreau se planter dans son encolure, alors que ses griffes redoutables déchirent sans aucune difficulté la peau de son épaule et de ses flancs. Le sang se répand rapidement jusqu'au sol.

Voilà donc la mort qu'elle méritait ?

La dorée abandonne le combat. Elle n'a plus la force de résister aux assauts du félin. La douleur, petit à petit, s'efface. Myosotis ferme les yeux. Le poids du félin n'est plus présent mais ses plaies saignent avec abondance. Son souffle s'est apaisé, lentement. Ses flancs se soulèvent avec difficultés et irrégulièrement. La mise-bas à débuté depuis trop longtemps. Elle sait qu'elle doit tout faire pour donner naissance à leur petit, autrement il mourra. Alors la dorée regroupe ses dernières forces et libère enfin leur poulain.

Cette fois-ci, elle entend son nom franchir les lèvres de Sueño. Elle ouvre les yeux pour le contempler un instant et un mince sourire étire alors ses lèvres. Un sourire plein de douceur. Plein d'amour. Elle avait accompli son rôle. Elle avait donné naissance à son enfant. Leur enfant...

La dorée ferme de nouveau les yeux. Elle a juste besoin de repos.


Je prends une grande inspiration et l'air me brûle presque la gorge. J'ouvre les yeux sur le monde sans trop comprendre ce qu'il se passe. D'ailleurs, qu'est-ce qu'il se passe ? Je sens plusieurs odeurs. Certaines sont agréables, d'autres moins. Je sens quelque chose de chaud qui parcourt mon corps. Ça chatouille ! Je me tortille comme je peux, désireuse d'échapper à cette attaque. Puis finalement je m'immobilise. J'observe le monde qui m'entoure. Le soleil m'aveugle et je ferme les yeux à mi-clos. Puis j'entends une voix, forte et rauque. Absinthe. Est-ce mon nom ?

Je sens plusieurs petites pressions successives sur mon corps. J'entends de nouveau ce mot. Absinthe. Mon nom, certainement. Il est suivi d'autres mots et je n'arrive pas vraiment à comprendre le message qu'il veut faire passer. Méchante bête. Je comprends pas. Pourtant, j'essaie de me lever. Je vacille, mon équilibre n'étant pas encore acquis. Normal, pour une nouvelle-née. J'essaie de faire un pas mais je retombe. Outch, ça fait mal. Alors je reste blottie contre maman, parce qu'au moins, elle me demande pas la lune, elle.


La dorée ne répond pas. Ses blessures saignent toujours. Elle ouvre légèrement les yeux mais ne voit pas grand chose. Sa vision est floue. Elle ne peut pas repartir. Son corps est au bout de ses limites.