\ fléau.

/ ORION

Il suit le troupeau. Il se fond entre les silhouettes. Certains le saluent, d'autres se demandent sûrement de qui il est le petit. Il prend plaisir à passer inaperçu, flirtant avec le danger d'être rejeté. Peut-être qu'ils le tueraient s'ils apprenaient qu'il n'a rien à faire avec eux ? Ou peut-être voudraient-ils s'occuper de lui ?
Orion n'a pas besoin qu'on s'occupe de lui. Il déambule, remontant le troupeau, étudiant les gens. Il n'en a jamais vu autant. À part papa, il n'en avait jamais vu d'autres, en fait. Ils vivaient si reclus, si exilés. Parias. Son petit corps fin et doré sillonne, ses yeux clairs espionnent. Il attend de croiser un regard qui le fera ralentir.

L'enfant continue. Il marche, se fond dans le décor qu'est le troupeau, bien que plus petit mais plus haut que les autres poulains. Son regard en croise un autre et il ralentit, laissant quelques adultes le dépasser. Il s'extrait gracieusement du troupeau. La jeune pouliche vers qui il se dirige a capté son attention. À la fois adroit et malgré lui encore enfantin, il trottine jusqu'à elle, ne détachant pas ses yeux clairs de ceux, plus sombres, de la rouquine. Il s'arrête alors près d'elle, presque trop près, et ne dit rien, l'observant simplement. Légèrement dérangeant.

(il la voit rousse, faut pas chercher )

L'enfant entend le flot de paroles qui sort de la bouche de la petite dorée. Ça l'agresse presque. Ses oreilles oscillent et se remettent droites. Il n'a pas encore ouvert la sienne, de bouche, et garde sa posture droite, taillé comme un I. Il n'a pas l'habitude de rencontrer du monde et niveau parole, c'est pas encore trop ça. Il garde le silence la plupart du temps, pourtant il décide de faire un effort. Visiblement, la pouliche a mis tout son énergie pour se présenter, il ne va pas l'ignorer. C'est pas dans les règles qu'on lui a inculquées. Orion, répond-il seulement, d'une voix à la fois dure et cristalline, claire.

Mais l'enfant, lui, n'a pas l'habitude de parler, au contraire de la jeune palomino, visiblement. Il observe ses poils dorés, ses yeux bleus comme les siens. Il laisse ses iris l'examiner, sans se demander si c'est gênant ou non. Il la détaille, note tout dans sa tête, comme une machine. Enfin, il remonte à son visage, retrouve son regard. Ils sont toujours très près, trop peut-être, mais Orion ne connait pas les règles de bienséances qui siègent au sein d'un troupeau. Peut-être cela est déplacé, pour lui c'est juste une manière de pouvoir reconnaître son odeur une autre fois. Non. Encore une fois, il a fait l'effort de parler. Quelque chose le motive, face à l'énergie de cette petite qui doit être à peine plus jeune que lui. Il lui retourne la question d'un signe de tête, même s'il connait la réponse, parce qu'il l'a devinée.

Elle parle beaucoup trop mais ce n'est pas grave. Orion écoute mais Orion filtre, aussi. Il ne retient que les noms, pour s'en souvenir un jour. Ça pourrait lui servir. Puisqu'elle semble si ouverte, il va la tester. De son sérieux inébranlable, il la poignarde de ses yeux glacés. Non. Ma mère est morte à ma naissance et mon père m'a laissé ici il n'y a pas longtemps. Il compte étudier la réaction de la petite, petit soit-il lui aussi, sa voix n'ayant ni flanché ni montré la moindre émotion. Barrière émotionnelle érigée depuis toujours, par l'apprentissage avec son père. Lorsqu'elle vient lui lécher les naseaux, il sourit. Il n'a pas vraiment de réaction, si ce n'est que d'afficher ce sourire bancal. Ses iris viennent s'allumer soudainement et il détourne le regard, faisant de nouveau un pas comme pour la provoquer un peu, la piéger à son propre jeu. Son pas le rapproche encore d'elle, encore plus, et son poitrail vient coller le sien. Là, la dépassant légèrement, il la regarde de nouveau, comme satisfait. Tes yeux sont bleus. Comme les miens. Peut-être moins froids, aussi.

L'enfant hausse simplement les épaules. Il ne sait pas pourquoi il ne l'a pas gardé avec lui. Il n'a pas eu le droit de poser la question. C'était très strict, avec son père. Une éducation de fer. Mais il en est fier. Elle répond à sa provocation. Elle n'a pas reculé, il ne lui fait pas peur. Orion pense qu'il ne faut trouver aucune gloire à effrayer les autres, de toute façon. Il a beau être un peu étrange, ce n'est pas un terroriste non plus. Il reste collé à elle, sans détacher son regard du sien. À ses mots, seules ses lèvres s'étirent, finement, jusqu'à la commissure pourtant. Un sourire un peu allumé. Je ne sais pas. Peut-être vais-je te prendre en otage et te séquestrer. Tu ne connais rien de moi. Malgré son sourire et sa voix cristalline, son ton est si froid et grave qu'on pourrait le penser sérieux.

Pourtant, Orion a appris la méfiance. Il la connait par coeur. Mais à cet instant, il n'y pense pas. Il n'a pas envie d'y penser, ni de songer à toutes les règles qu'il est déjà en train de franchir. Après tout, même si c'est son père qui les lui a dictées, pourquoi devrait-il les suivre ? Il est libre. Libre de faire ce qu'il veut et surtout, de devenir qui il veut, ici où personne ne le connait. Elle raffermit le contact, elle lui tient tête ; ça lui plait beaucoup. Il remarque le changement dans ses yeux, peut-être le même est-il en train de se produire dans les siens, clairvoyants comme de l'eau de source, où s'incrustent quelques cristaux houleux. Il tend vivement l'encolure, la coinçant légèrement entre son corps et son cou fin. Il approche à son tour ses lèvres des oreilles de la palomino. J'aimerais vraiment voir ça. Sa voix claire s'est faite plus gutturale, plus sombre, plus vibrante.

Et il faut dire qu'elle sait comment s'y prendre pour attiser l'intérêt et la curiosité de l'enfant, qui habituellement, n'est pas surpris de grand chose. Là, il est surpris. De voir qu'un autre de son âge ne ressemble pas aux autres. Il est satisfait, comme une nouvelle trouvaille, une nouvelle découverte, un scientifique qui déniche une nouvelle espèce. Il lui lance alors un sourire acéré, à la fois sympathique et effrayant, impatient. Il s'incline alors pour la contourner, prenant bien soin de laisser ses flancs encore maigres coller à ceux de la petite dorée. Lorsque sa tête arrive près de sa croupe, il la tourne, juste pour la chercher du regard. J'ai hâte, susurre-t-il, à peine audible. Sûrement aura-t-elle lu sur ses lèvres. Il se remet en marche, parallèle au troupeau sans entrer à l'intérieur. Personne ne fait attention à lui, peut-être est-ce parce qu'il ne fait attention à personne et que pour le moment, son attention est, elle, focalisée sur Absinthe, qui a bien changé de comportement par rapport au début de leur rencontre. Il s'arrête de nouveau, tourne la tête encore, la regarde toujours. Il ne dit rien mais ses yeux demandent : tu viens ?