Juste un reste du passé.

J'ai peur de cette flamme, qui avant toi m'a brûlée.
Tes yeux me désarment, je n'ose plus les affronter.
Mes rêves se fanent, seul le temps pourra m'aider.
Mais quand tu t'éloignes, j'ai finalement envie de te voir rester.

Des brides de souvenirs lui reviennent en tête avec douleur et l'unique larme cède rapidement sa place aux sanglots. Une cascade de gouttelettes salées déferle le long de ses joues avant de plonger dans le lac. Ses crins sombres viennent recouvrir ses yeux si clairs, collant contre son visage humide.
La peur et la douleur s'insinuent lentement en elle, transformant ses jolis yeux bleus. Ils s'obscurcissent, perdent de leur éclat. La respiration de la dorée est haletante et rauque. Ses flancs se soulèvent rapidement. Elle a l'impression d'être prise à la gorge, de ne plus pouvoir respirer.
Myosotis a beau secouer la tête et fermer les yeux, Kieser ne quitte plus ses pensées. Il prend un malin plaisir à la torturer, même de loin, même des années après qu'elle l'ai fuit. Elle parvient encore à sentir son odeur, à entendre sa voix... Et à sentir son corps. Elle se souvient de ses dents arrachant la peau de son garrot, de ses sabots qui la martelait de coups, de sa langue qui s'invitait contre son gré sur des parties intimes de son corps...
Elle se souvenait de chaque détail de ces nuits où il avait fait d'elle sa courtisane. Sa chaleur, sa violence, ses grondements de plaisir. Un frisson court sur son échine. Un frisson de dégoût. Son bas-ventre devient douloureux, si bien qu'elle a l'impression qu'elle est entrain de mettre-bas. Elle aimerait hurler. Hurler à la lune toute sa douleur, toute sa peine... Mais aucun son ne sort d'entre ses lèvres.
Et ses pensées se tournent finalement vers Sueño. Son cœur se serre, douloureusement. Elle manque d'air, comme si ses poumons refusaient de se remplir d'air malgré ses naseaux dilatés. La douleur persiste, la prenant à la gorge et au poitrail. Il l'a abandonnée. Lui aussi, il est parti. Elle l'a perdu. Comme elle a perdu Invictus et Eden. Comme elle a perdu sa mère. Comme elle a perdu foi en l'amour. Il l'a laissée seule. Et elle se demande toujours pourquoi. Qu'avait-elle fait pour mériter cela ? Qu'avait-elle fait pour ne mériter que souffrance et tristesse ? La vie ne lui avait rien offert de bon, si ce n'est de perdre ceux qu'elle aimait. Alors, pour Absinthe, peut-être devait-elle s'effacer. Se sacrifier pour ne pas la voir mourir sous ses yeux. Elle n'en était plus capable. Elle arrivait au bout de ses forces. Elle était à bout de souffle. Elle avait porté trop de malheurs sur ses fragiles épaules. Elle n'avait plus rien à perdre.

Myosotis s'était rendu compte de la présence du doré. Elle l'avait entendu se rapprocher d'elle. Sans doute cherchait-il Absinthe. Elle ne relève pas la tête, ses prunelles ne quittant pas les profondeurs du lac. Elle étouffe un sanglot pour lui souffler d'une voix vide et éraillée ;
- Absinthe joue a côté du grand rocher.
Il pouvait l'emmener. Elle avait prit soin de lui faire ses adieux, sans qu'elle puisse s'en douter. La petite fleur bleue se sentait prête. Une petite voix lui murmurait à l'oreille que l'heure avait sonnée et les voix d'Invictus et d'Eden résonnaient dans sa tête comme une douce mélodie. Alors elle se pencha légèrement vers la surface du lac, comme si elle allait simplement en laper la surface... et laissa son corps si fragile glisser dans l'eau glacée.

Your love is like a shadow on me all of the time,
I don't know what to do and I'm always in the dark,
We're living in a powder keg and giving off sparks,
I really need you tonight.

Ses muscles se tendent au contact de l'eau glacée. Elle sombre vers les profondeurs sans opposer la moindre résistance. Elle ne fait rien pour éviter que l'eau glisse dans sa gorge. Ses prunelles bleues fixent le fond du lac. Quelques petites herbes marines y poussent, bordées de petits galets ovales. C'est plutôt joli, quand on y pense. Et c'est si calme. Ses paupières commencent à se faire lourdes et elle lutte un peu pour les garder ouvertes.
Son épaule n'était d'ailleurs plus si loin du sol lorsqu'elle sentit qu'on la ramenait vers la surface. Le premier sentiment qu'elle ressentit fut la colère. Elle ne voulait pas être sauvée. Elle voulait résister, nager vers le fond. Mais l'oxygène lui manquait et elle perdit connaissance.
Myosotis ouvrit les yeux et releva légèrement sa tête. Elle était de nouveau sur la terre ferme, étendue de tout son long. Une quinte de toux la prise et elle cracha une petite quantité d'eau. Sa respiration était sifflante et difficile. L'air lui manquait terriblement. Elle referma les yeux. Elle ne voulait pas croiser ceux de Sueño. Pourquoi l'avait-il sauvée ? Pourquoi ne l'avait-il pas laissée ?

Just wrap me in your arms,
I don't wanna be nowhere else.
Take me from the dark,
I ain't gonna make it myself.
Put your arms around me,
Let your love surround me,
I am lost.

Elle tremble. Pour plusieurs raisons. Parce qu'elle a froid, vu qu'elle est trempée. Parce qu'elle a peur aussi. Et parce qu'elle est en colère. Ses oreilles se sont plaquées contre sa nuque ; elle lui en veut. Elle sent son souffle parcourir son visage et, si elle le pouvait, elle l'aurait surement envoyé bouler. Sans doute qu'elle aurait même sauté de nouveau dans le lac. Sa voix glisse finalement jusqu'à son oreille et ses oreilles se redressent lentement pour venir pointer dans sa direction. Les paroles du doré font écho en elle. Jamais je ne t'abandonnerai. Était-ce la vérité ? Pouvait-elle y croire, après la scène avec Bailey ? Alors qu'il n'avait même pas osé la présenter comme étant sa compagne ? Quel échec...
Je suis amoureux de toi, je t'aime. Son cœur bat un peu plus vite et un peu plus fort lorsqu'elle entends ces mots. Et il se serre aussitôt. Elle aimerait tant y croire. Mais elle ne s'y autorisait pas. Elle en avait marre de monter tout en haut des montagnes et qu'une fois en haut, on la pousse délibérément dans l'idée qu'elle se fracasse la tronche au sol, quelques mètres plus bas. Je serai toujours là pour essuyer tes larmes. Myosotis serre légèrement les dents. Et si tu commençais déjà par arrêter de les faire couler... ? Pense-t-elle, amère. Après tout, il était en grande partie la cause de ses idées noires. Pouvait-elle lui faire confiance ? Ne la rendrait-il pas de nouveau malheureuse ? J'ai besoin de toi dans ma vie... C'est la dernière phrase qu'il prononce. Elle porte un petit goût de tristesse et peut-être même de peur, d'angoisse. Craignait-il de la perdre ? La dorée rouvre finalement les yeux. Ses prunelles bleues se posent d'abord sur le ciel étoilé et ses lueurs vertes et bleues. Puis elles glissent lentement vers Sueño qui se tient debout devant elle.
- Que... suis-je... pour toi... ? Articule-t-elle avec peine, le plus fort qu'elle pouvait.
C'était une question importante pour elle. Peut-être n'était-ce pas la réponse qu'il attendait, lui qui venait de se dévoiler à elle, mais seule cette question tournait en boucle dans son crâne douloureux. Elle voulait savoir. Que représentait-elle pour lui ? Était-elle qu'une simple jument à ses yeux ? Serait-elle toute sa vie qu'une simple jument pour lui aux yeux des autres ? Elle avait besoin de savoir. Et pourtant, au delà de cette question, elle n'avait qu'une envie ; qu'il l'étreigne avec amour jusqu'à la fin de ses jours. Qu'il la sorte de ces ténèbres horribles dans lesquels elle se trouvait. Elle voulait simplement se lover contre lui. Elle ne voulait être nulle part ailleurs...

Let's make love tonight,
Make it up, fall in love, try.

Ses mots d'amour rendent son cœur plus léger. Il l'avait enfin dit à haute voix ; elle est sa compagne, sa femme. Et s'il osait le lui dire en la regardant droit dans les yeux, elle espérait qu'il saurait en faire de même face aux autres. Qu'il ne se cacherait plus.
Myosotis sent le bout du nez du doré glisser sous son encolure raidie par le froid. Elle laisse un petit grognement de mécontentement franchir la barrière de ses lèvres. Son corps est si douloureux. Il veut qu'elle se relève mais elle ne s'en sent pas capable. La dorée se redresse malgré tout pour se coucher en vache. Sa respiration est encore sifflante et difficile. Il reste très certainement de l'eau dans ses poumons.
La dorée le laisse prendre possession de ses lèvres. Elle ne sait pas si elle doit y répondre ou pas. Elle ne sait plus quoi penser. Elle est si perdue. Et pourtant, si sa tête ne sait plus comment réagir, son cœur, quant à lui connait la réponse depuis le début. Il bat avec frénésie dans sa cage thoracique. Alors, une nouvelle fois, elle se laisse guider par son cœur. Elle s'investit dans ce baiser pour le rendre plus fougueux, plus passionné, plus amoureux. Et lorsque leurs lèvres se détachent enfin, ses yeux bleus viennent saisir ceux de Sueño.
- Je t'aime. souffle-t-elle simplement même si dans la réalité, tout un flot de mots s'agitaient dans son esprit.

Myosotis se redresse progressivement pour tenter la position assise mais elle retombe rapidement. Elle a l'impression que ses membres sont en coton. Elle n'a plus aucune force.
- Je... je ne... peux pas, halète-t-elle, le souffle court.
La dorée se sent épuisée, à bout de force. Elle n'a qu'une envie, c'est de s'endormir.

La dorée lutte contre son envie de s'endormir. Elle sait qu'il vaut mieux éviter de céder au sommeil lorsqu'on est blessé ou même juste fragilisé. L'agitation tout autour d'elle l'aide d'ailleurs à rester éveillée. Elle entend la voix de Sueño, paniquée. Puis celle de Phoenix, sûre d'elle. Un seul mot retient son attention ; hypothermie. Il est fort vrai qu'elle était froide, cette eau...