the north remembers (oroszlàn)

Peuvent venir tous ceux qui le souhaitent, principalement ceux qui l'ont connu / ont un lien avec

OROSZLÀN / la mort du lion


Le voyage est long. Difficile.
Le voyage interne, surtout. De nouveau, ils sont partis. De nouveau, il a tout quitté. Encore une fois. Plus encore que les kilomètres, l'ancien Roi du Nord parcourt surtout ses souvenirs.
Oui, il se souvient. De ce bateau échoué dans lequel il se réfugiait tout le temps. Son refuge, son Royaume, le point d'ancrage de son territoire. C'est là qu'il venait trouver la paix dans sa tête, là qu'il venait parler à son père. Là qu'il l'avait tué, d'ailleurs. Là qu'il l'avait sauvé, plutôt. Il se souvient de cet orage violent, de son père fou, dressé au bord du vide. Il était si jeune, à l'époque. Qu'un yearling. Une fusée dorée qui avait surgi de la tempête pour lui sauter dessus. Pour le noyer. Pour mettre un terme à cette folie cruelle. Oui, il se souvient que c'est là-bas qu'il a rencontré Elune. Là-bas qu'ils ont envisagé Maddison, donc.

Il se souvient. De sa veuve noire. De cette ombre au tableau, de la seule personne au monde à réveiller toute cette noirceur en lui. De la seule à le faire se sentir aussi vivant, aussi libre, aussi fort. Aussi fou, aussi. Il se souvient de sa manière de parler, de sa voix. Il se souvient de la façon dont elle l'attrapait, comme une araignée. Il n'avait été rien d'autre qu'un pion peut-être pour Rowena ; elle avait été sa plus belle erreur, sa plus belle folie, sa plus belle catastrophe. Rien à faire, ils se retrouvaient à chaque fois. Elle l'attrapait à chaque fois. Et pourtant, malgré leur histoire mouvementée et orageuse, jamais il ne l'avait regrettée. Elle l'avait fait grandir, et surtout, elle lui avait donné Redjim. Et malgré sa fierté inconditionnelle pour chacun de ses enfants, Red était sa plus belle fierté. Le chemin qu'il avait parcouru était plus grand qu'aucun ne pouvait le faire.

Il se souvient. D'une ombre grise et rassurante. D'une chaleur enivrante, d'une douceur tendre. Il se souvient de l'avoir consolée, il se souvient de l'avoir aimée comme un enfant. Comme un aime le soleil et le vent. C'était si simple et si naturel. Hérézy lui avait fourni tout ce qu'on pouvait attendre d'un être complémentaire. Elle lui avait donné deux jumeaux incroyables chacun à leur façon : Ghanan et Aaren. Si aujourd'hui, leurs destins et leurs chemins étaient différents, il n'en restait que fier.

Il se souvient. De la dernière fois qu'il avait vu sa mère. Un pilier, une absence, aussi. Il se souvient avoir été, lui aussi, le fruit d'un acte dicté par la folie. Son père et sa mère ne s'aimaient pas ; lui, il les avait aimé l'un et l'autre. Il se souvient de cette distance, de cette froideur, et pourtant, de tout ce que Septenrê lui avait appris.

Il se souvient. De cette haine pour son sang. De cette haine dévastatrice qu'il ne contrôlait pas. Qui avait pris le contrôle. Les voix, les actes, tout lui changeait, tout lui échappait. Il se souvient le manque de contrôle, il se souvient avoir voulu tuer sa propre demi-soeur. Oui, il se souvient de leurs provocations incessantes, qui avait fait naître un désir incompris et incompréhensible. Oui, il avait eu envie de tuer Hel, ce jour-là. À la place de quoi, il lui avait fait un enfant. Le dernier. Qu'il avait laissé derrière-lui, sentant que tout lui échappait. Laissant Lövojka naître et grandir seule, sachant qu'elle ne ferait, plus tard, que souffrir cruellement de cette condition d'erreur, d'inceste, de non-désiré. Pourtant, il l'aimait, elle aussi. Même s'il la connait si peu encore aujourd'hui. Même si elle le déteste encore si fort. Au moins l'a-t-il rencontrée. Au moins l'a-t-elle un peu compris.

Il se souvient. Des histoires dans sa tête. De celles qu'il aurait voulu vivre. De son amour inconditionnel pour Aslaug, son amour d'enfance. L'amour impossible. Parce qu'elle voyait son père au travers de lui. Parce qu'elle aimait Murphy en le regardant lui. Il se souvient de son feu-follet. De son désir fugace, de cette traque un soir à travers la forêt. Il se souvient avoir voulu avoir Anka, cette fois-là. L'attraper, enfin. La sauvage. Mais elle lui avait échappé, et n'avait cessé de le faire à chacune de leurs rencontres. Leurs vies n'étaient pas les mêmes, ils n'étaient pas liés et pourtant, ils se croisaient à chaque fois. Des âmes jumelles, croisées, envolées.

Il se souvient et chaque souvenir le heurte comme une claque. Le voyage est encore long, pourtant le Lion se laisse distancer. Il n'a plus la force de continuer, comme il n'a plus eu la force, un jour, de mener les siens. Certains disent qu'il a mené le Septentrion, puis le Nord, au sommet. D'autres diront qu'à son départ, il a provoqué sa dissolution. Il a trahi, été trahi. Histoires d'une vie. Aujourd'hui, le Lion est fatigué. Alors qu'il se traine à l'arrière, il bifurque, ne suivant pas le troupeau. Ses forces l'abandonnent, elles le quittent comme chacun quitte un jour ce monde. Il a des souvenirs d'un siècle entier, lui semble-t-il. Sûrement a-t-il vécu trop de choses. Contre un rocher, il chancèle et tousse longtemps, parvenant à peine à reprendre son souffle. La douleur le suit comme une menace.

Le voyage ne fait que commencer.
Aujourd'hui pourtant, son voyage se termine ici, il le sait.

Aaren, lui, n'était clairement pas avec le troupeau. Toujours à traîner de-ci, de-là, il se retrouvait toujours en queue de peloton, alors que s'il suivait la même ligne directive que le reste du troupeau, il serait probablement avec les plus rapides, devant. Mais la plupart de ceux qui peuplaient cet avant ne désireraient certainement pas de sa présence, notamment la petite bande d'infiltrés, qu'il n'avait même pas recroisés depuis la guerre. Peu importait, car pour une fois il avait raison de traîner la patte, de flâner à droite et à gauche. D'une butée qui lui permettait d'apercevoir une bonne partie du troupeau, il aperçoit deux éclairs d'un doré terne caractéristique de sa famille. Ils étaient tous des soleils sales, ternis par les épreuves, par la vie. Et l'un de ces soleils sales se portait moins bien que les autres, aujourd'hui.

L'entier rejoignit ses deux aînés, son frère et son père, qui semblait mal en point. Contrairement à Red, l'isabelle avait une vision plus objective que la chose. « Red... » souffla-t-il simplement après s'être arrêté à quelques mètres d'eux. Il observait la carcasse de leur vieux père, qui s'était laissé aller au sol. Ses naseaux se dilatèrent, son rythme cardiaque devint plus frappant, plus intense.
Il va mourir.
Et Aaren ne savait pas comment réagir à cette situation fatale. Il ne savait même pas quoi ressentir. L'occasion de vraiment parler avec son géniteur, il ne l'avait eue qu'une seule fois. Et il lui avait promis qu'il retournerait au Nord, qu'il retrouverait ce pays qu'il avait tant chéri, sans en avoir les responsabilités de gestion, cela dit. Des sortes de vacances de retraités, un havre de paix où il aurait pu mourir en paix, vraiment. Aaren n'était pas résolu à terminer sa phrase auprès de Red. Il n'y arrivait pas, pour l'instant. Ceci dit, il ne parvenait pas non plus à s'approcher davantage. Lui, n'avait jamais été proche de son père, même en le connaissant désormais. Alors, il se sentait comme un intrus familier, qui n'avait pas le droit d'entrer dans l'intimité d'un mourant.

(désolée pour le retard de réponse )

Ils apparaissent comme des esprits divins aux yeux du Lion. Ses fils sont là, du moins deux d'entre eux. Red lui apparait en premier. Il est rassurant mais trop plein d'espoir. Oroszlàn n'ose pas lui dire que de toute façon, il n'avancera plus. Qu'il ne continuera pas le voyage. Que son voyage à lui, il s'arrête ici. Il tousse de nouveau et voit la tête de Redjim se tourner. Une deuxième silhouette est arrivé, c'est celle d'Aaren. Une lueur de surprise traverse brièvement le regard du Lion. Il ne s'attendait pas à le voir ici. Mais pourtant, cela lui offre une vague de chaleur qu'il accueille à bras ouverts. Red parle de nouveau. On a tout notre temps... Nouvelle quinte de toux. Il a l'impression que ses poumons ne sont plus que deux noisettes recroquevillées. Son coeur fait le yoyo entre l'accélération soudaine et le ralentissement inquiétant. Approchez.. murmure-t-il d'une voix enrouée, à peine audible. Il lève la tête, pour les embrasser du regard tous les deux. Derrière-eux, comme un contre-jour, il discerne une autre silhouette, plus sombre que ses frères. Il ne l'appelle pas. Elle s'approchera si elle le souhaite. Elle est venue, c'est déjà un grand pas. Il reporte son attention sur ses deux fils. Il faut.. il faut veiller les uns sur les autres.. Vous n'êtes pas seuls. Il n'avait jamais eu vraiment le temps de leur inculquer l'attachement familial. D'ailleurs, lui-même n'a pas réellement été éduqué de la sorte. Il a toujours détesté son unique soeur, au point même de lui faire un enfant. Mais aujourd'hui, alors que la mort sonne à sa porte, il sait qu'il aurait pu mieux leur apprendre. Mais en aurait-il eu le temps ? L'auraient-ils écoutés ? Dans ce monde cruel, ils se retrouveront plus forts s'ils se retrouvent réellement les uns et les autres. Malgré les déchirures et toute la cruauté que l'on peut raconter sur leur famille tordue, peut-être aujourd'hui doivent-ils se retrouver pour survivre ? Le Lion ne sait pas quelles vont être leurs nouvelles terres, ne sait pas quel va être leur futur prochain. Il ne sera plus là pour le voir. Il les regarde tour à tour, essayant de savoir s'ils ont bien compris.


/ LÖVOJKA

Elle s'est approchée tout en restant cachée. Mais elle a croisé son regard. Brièvement. Ça lui a fait comme un électrochoc. Elle ne sait pas ce qu'il raconte à ses frères. Elle ne veut pas réellement savoir, peut-être pour rester loin de tout ça ? Pour prendre de la distance ? Ça ne la touchera pas, pas vrai ? Elle l'a si peu connu. Elle lui en a tant voulu. Elle ne sera pas touchée par sa disparition, n'est-ce pas ? Puisqu'il n'a jamais été là. Pourtant, quelque chose se creuse en elle. Un fossé, entamé par la mort de Sydän, qu'elle considérait comme son père. Comme un acharnement du karma, voilà que son réel géniteur est sur le point de mourir, lui aussi. Elle le sait, elle n'est ni naïve ni stupide. En silence, elle s'approche, se plaçant derrière Red et Aaren, en retrait. Sûrement est-elle la plus étrangère à cette réunion sinistre.

Tantôt ange gardien, tantôt feu follet. Anka avait toujours gardé un oeil sur Oros depuis le cortège, tout en gardant ses distances. Même si elle l'avouerait jamais. Elle avait le petit maintenant, et bien qu'il lui avait dit qu'il lui porterait son aide, Anka avait envie de faire appel à lui le moins possible. Pas parce qu'elle avait pas envie de le voir, mais parce qu'elle avait pas envie qu'il se sente trop impliqué. Il avait déjà assez à faire avec sa famille à lui.
Elle l'avait suivi de loin, son allure était inquiétante. Elle s'était préparée à ce moment finalement, elle avait nié la chose pendant un temps pour finalement se rendre à l'évidence : il allait mourir. La grise n'était pas seule à avoir remarqué l'isolement du Lion. Celui-ci avait été suivi par Red, qu'elle reconnut. Elle resta néanmoins en retrait, alors qu'une autre silhouette connue s'était jointe à eux. Aaren. Qu'elle ne calculerait pas. Puis finalement, il y eut Lov.
Déchirée entre l'envie de se jeter auprès d'Oros, et la sensation de ne pas être de son monde... Elle était qui elle d'abord ? Ni une amie, ni une amante, ni une fille ou bien une soeur. Alors elle reste là, à faire un pas pour finalement reculer un peu, indécise. Avait-il envie de l'avoir à ses côtés pour ses derniers instants ?

A-t-il un jour été seul, en réalité ? Au fond, ils ont toujours été là. Avant la naissance de ses enfants, il y a toujours eu d'autres personnes. Il y a eu Anka, par exemple. Il sent son odeur et pense que c'est son imagination qui lui joue des tours. Son coeur s'accélère. Il aurait tant aimé... tant voulu l'aimer. Peut-être est-ce le cas ? Qu'importe, à présent ? Il l'observe hésiter, seule. C'est vrai que seuls ses enfants sont venus. Pourtant, elle fait partie de sa famille. Elle fait partie du Nord, parce que pour lui, le Nord existera toujours. Il hennit doucement dans sa direction pour lui intimer de se rapprocher. Il a besoin d'elle, aujourd'hui. Son appel finit en quinte de toux de nouveau, plus violente. Son souffle est dur à récupérer, sa respiration sifflante s'amenuise. Pourtant, le Lion a toujours les yeux grands ouverts. De grands yeux sombres, d'un noir absolu, qu'il a légué à chacun de ses enfants. Il les observe, tous les trois. Red, qui a tant changé, tant évolué. Tant dépassé ce stade d'adolescent perturbé, esseulé, perdu, en proie à ses démons. Pourtant, il est resté le même. Aaren a changé, lui aussi. Il porte en lui quelque chose de plus, quelque chose de vaillant, de révolté, de froid en même temps. Un contrôle que lui-même aurait aimé avoir. Il aperçoit l'ombre de sa dernière fille, son coeur se serre, il l'appelle, elle aussi. Elle fait partie de la famille, peu importe ce qu'elle en a toujours pensé. Elle aussi, elle a changé. Quelque chose s'est brisé. Non, c'est vrai.. tu as raison, Red. Il plonge son regard dans celui de son fils ainé et lui sourit. C'est comme si la mort elle-même retenait son souffle, comme si elle lui laissait encore quelques heures, ou quelques minutes. Je ne suis pas seul.