| just an illusion

/ LÖVOJKA

Enfin. Elle l'a trouvée.
Ses sabots foulent une neige dure et encore vierge de tout façonnement. Elle emprunte à sa gloire passée un léger sourire, presque innocent. Presque enfantine, devant ce paysage familier qui lui rappelle son Royaume. Pourtant, l'air y est moins frais ; il est plus moite, plus humide, et régulièrement, elle reçoit quelques gouttes des glaciers qui gèlent, en contre-haut. Non pas à cause de la chaleur, car l'air est d'une fraicheur qu'elle recueille comme un trésor. Mais elle devine. À l'odeur, à la fumée. Qu'il y a un volcan, plus haut. De la lave, aussi.
Elle a toujours été la glace ; eux, le feu. Même si les flammes l'habitent, elles sont gelées, ne s'embrasant que par intermittence, les rendant peut-être plus redoutable encore. Eux ne sont que purs brasiers incontrôlables. Alors qu'elle souhaitait se plonger au creux des souvenirs réconfortants du Nord, d'avant, elle est envahie par l'ombre qu'ils ont laissé planer sur elle. La première fois qu'elle a rencontré Hooker, n'était-ce pas au bord d'une rivière de lave ? Ses souvenirs sont aussi flous que certains sont déchirants de réalisme. Secouant la tête, la lionne emprunte un sentier qui n'existe pas encore. Peu importe, elle va le créer.

Ses sens sont brouillés par la fumée, par l'odeur de la neige fondue, par cette chaleur froide. Elle ne sent rien d'autre, sinon la lave qui brûle tout sur son passage. Quel ennemi facile que la neige ! Elle pousse un soupir et reprend sa route jusqu'au sommet, traversant les plus grandes étendues de glace possible, pour rafraichir son corps autant en fusion que le volcan.

Elle fixe les flammes. Flammes liquides. Elles font trembler l'air au-dessus d'elles, rendant sa vision comme trouble, comme trafiquée. Elle se noie dans cette vision, celle de l'air vibrant, d'un paysage devenu soluble et modifiable. Les formes tremblotent, les contours se mouvent. Les pieds dans la neige, elle fixe la lave comme elle fixerait la mort en personne.
Puis l'image trouble se brise pour laisser apparaître une silhouette qui, elle, s'affiche nettement. Ses contours sont bien lisses et réels. Par réflexe, la lionne couche son unique oreille valide contre son crâne, l'enfouissant sous ses crins blancs comme la neige à ses pieds. Ses iris noirs où flamboyaient les flammes de l'enfer se renferment sur eux-mêmes, ne laissant plus apparaître que deux gouffres sans fond. Deux puits appelant les autres à y tomber. Mais elle sait qu'il n'y tombera pas.
Elle, elle est tombée.
Elle recule d'un pas, relevant la tête, l'encolure haute et massive. Elle le fixe sans rien dire, se composant cette armure de fortune par défaut, parce qu'elle ne sait pas comment réagir. Elle a envie de le tuer et de lui demander pourquoi. Elle a envie de le mordre au sang et de l'embrasser, aussi. Elle a envie qu'il disparaisse pour toujours et elle a envie de lui crier de ne pas s'enfuir. De longs mois qu'ils ne se sont pas vus. Retrouvailles enviées et pourtant redoutées. Le léopard face à la lionne. Une nouvelle flamme gelée s'allume dans ses prunelles. Un lion se relève toujours et peut-être sera-t-il étonné de la voir si dure, plus encore qu'il ne l'a connue, si sombre, si éprise de cette fièvre colérique dont elle est faite.

(lov n'a jamais tué d'enfant non plus, hein )

Heureusement, sûrement, a-t-elle appris avant ce moment le prénom de l'enfant. Par une autre gamine. Sûrement aurait-elle été vexée de l'apprendre ainsi, sinon. Pourtant, elle ressent un étrange soulagement à l'entendre lui dire ça. Elle s'attendait à une agression, Asmund semble venir à elle les mains dépourvues d'armes. Bien qu'elle reste méfiante et solidement préparée à toute éventualité encore destinée à la faire souffrir. Elle ne répond pas, restant impassible, seuls ses iris s'agrandissant légèrement prouvent que sa colère s'affaiblit légèrement, juste un peu, peut-être juste pour lui permettre de rester face à lui sans avoir envie de le tuer simplement. Sa queue fouette l'air derrière-elle, son unique oreille ne s'est pas relevée. Elle le fixe toujours, implacablement impassible. Où est-elle ? demande-t-elle alors simplement, étudiant chacun de ses traits, chacun de ses mouvements.

(elle l'a laissée à phoenix qui l'a élevé, mais comme il était né d'un inceste il avait une malformation cardiaque, ce qui fait qu'il n'a pas vécu plus que poulain)

Elle s'attend à cette réponse, en même temps, tout est tellement prévisible depuis qu'elle a cerné Asmund. Depuis qu'il lui a enlevé l'enfant, elle a prévu mille fois cette rencontre dans sa tête et prévu mille fois cette réponse si facile. Ses lèvres s'effleurent d'un léger sourire à son regard doux, mais un sourire tranchant, provocateur, méprisant. Elle ne le méprise pas de la même façon que lui, elle a même pitié de lui. Pitié de voir qu'il n'est que vengeance et que toute sa vie ne se résume qu'à cela. Qui ferait un gamin pour ça ? Qui obligerait un enfant à être le fruit d'une union mesquine et maquillée par la violence de voir souffrir son entourage ? Personne sinon un monstre né pour venger. Elle trouve ça triste, oui. Triste et si médiocre. Tu ne pourras pas la cacher éternellement. Elle t'en voudra moins de me présenter à elle en bonnes et dues formes avant qu'elle ne grandisse et comprenne quelles motivations t'ont poussé à l'éloigner de sa mère. Elle a le droit de choisir. Je ne cherche pas à te la prendre, juste à la voir. Elle décidera d'elle-même. Car il faut être bien naïf pour penser qu'on peut juste trimballer un gosse, que celui-ci n'a ni sentiments ni manque et qu'il n'est pas capable de décider.

Soit. Puisque tu sais tout sur tout, Monsieur le Sage. Elle lui adresse un sourire féroce. Il croit tout savoir de la vie, tout avoir vécu, tout avoir analysé. Alors qu'il est si jeune. Elle, elle ne prétendra jamais comprendre entièrement quelqu'un, ni envisager tout savoir. Et pourtant, elle pourrait le faire bien plus que lui déjà. Mais non. Elle à en face de lui un simple gamin trop gâté, à qui on a toujours dit qu'il était le meilleur dans tout. Mais c'est lui qui ne comprend pas. Et il ne comprendra jamais. Elle se prépare à faire demi-tour. Elle n'a rien à tirer de lui.

Elle le sent venir à elle et ça la révulse. Son oreille s'enfouit sous ses crins clairs. Elle tend l'encolure, frôle son visage et enfonce ses yeux d'ébène au fond des siens, les détaillant, les déshabillant, les dévorant. Va en enfer, Asmund.