Mr Blue Sky

Ses yeux sont encore figés sur les étoiles. Dans laquelle de ces boules glacées est-ce que se cache les âmes qu'elle a vues s'envoler de ces maudites terres? Ses sabots sont plantés sur le sable humide, aussi solidement que les racines d'un vieux chêne. Un chêne qui vit l'automne en été, l'automne dans toutes les saisons.
Des sabots frappent le sol. Une mélodie inconnue, le vent caresse son visage, elle a froid. Une odeur inconnue pénètre dans ses narines. Elle tressaille. Elle a peur, mais elle ne bouge pas.

Un flocon solitaire apparaît aux yeux d'Al. Sa course doucement ralentit, et les plumes de ses ailes imaginaires disparaissent dans les soupirs de la brise. Seul le clapotis silencieux de l'eau sous ses sabots résonne encore.
Il s'approche, lent. La silhouette se dessine plus distinctement, une jument pâle, grise comme lui - tout n'est que reflets, ce soir.
- Est ce que tout ceci est bien réel ? Souffle-t-il, la voix enrouée.
C'est la première chose qui lui vient. Comme si sa mémoire n'avait jamais existé...comme si le monde ne se résumait qu'a cet instant crépusculaire perdu sur le miroir du lagon.

La grise redescend ses regards inquiets vers l'inconnu. Un mâle gris. Pour une fois, gris. Elle n'en avait connu que des noirs. Entre eux, Heiken et Nhorio étaient gravées dans son coeur. mon coeur... ça me fait tellement du mal. La grise plonge ses regards dans celui de l'autre gris. est-ce que tout ceci est bien réel? elle répète. Non, elle ne joue à rien, elle se moque de personne. Elle ne connaît pas la réponse à cette question, donc elle la retourne, de sa voix indécise et hésitante. Depuis son combat avec Jiyuu, la grise est devenu beaucoup très peureuse et craintive qu'avant ses leçons avec Lövojka. Sa robe blanche est salie par quelques blessures, on dirait un chien battu. Un être misérable, une perdante, une malchanceuse. Malheureusement, tout ceci est bien réel.

Son reflet lui renvoie un faible écho, qui tremble sur l'eau du soir.
- Ce n'est réel que pour nous.
Il répond à sa propre question. C'est la vérité. Les deux seules âmes qui ont pu connaître cet instant de ce jour à cet endroit précis de ce monde...deux bouts de nuage perdus dans les cieux enflammés.
Ce n'est réel que pour eux.

La réponse. Sage. Satisfaisant. Juste.
Elle se contente de hocher la tête, elle n'a rien à ajouter sur une aussi belle parole. Dans un sens, cela voulait dire que les morts ne sont plus réels, puisqu'ils ne peuvent plus prononcer le ''nous''. Heiken n'est donc plus réel. İnutile de le chercher dans les étoiles. Il n'est plus réel. quand on n'est pas réel, on ne souffre pas n'est-ce pas? Une question aussi bête, ne pouvait se demander qu'avec un sourire aussi bête que celle que la grise vient de former sur ses lèvres.

[désolée pour le retard!]

Il lève les yeux. Se noie dans le regard de son alter-ego au cœur pluvieux, exhale, doucement.
- Non. La souffrance n'est que pour les petits êtres d'en bas...pour nous. Quand on n'est pas réel, on ne ressent rien. Pas de mal. Pas de douleur. Mais on existe...on existe quand même.

Merci, et désolée. La grise se détache enfin de là où elle était figée, des regards remplis de reconnaissance elle s'avance plus vers l'inconnu, Qui êtes-vous? changer de sujet, parcequ'elle ne veut plus y penser.

Il sourit avec douceur.
- Ne soyez pas désolée.
Il reste immobile, laissant la grise venir à lui, en équilibre sur le ciel liquide. Il écoute sa question, laisse les trois mots emplir l'air et leur écho flotter jusqu’aux nuages rouges.
- Je ne suis personne. Un esprit rapide. J'avance. Seulement parfois je m'arrête - pour rentrer dans un instant réel. Pour toucher la beauté et laisser le monde m'engloutir. Je suis un vagabond.
Un silence.
- Je m'appelle Albatros. Et vous ? Qui-êtes vous ?

Elle se laisse emporter par les phrases poétiques d'Albatros, jusqu'à ce que la question s'est retourné. Elle n'est pas aussi douée avec les mots que lui, mais personne n'a encore interdit de tricher. Je ne suis personne, un esprit malade. Je reste sur place, seulement parfois j'avance quand j'ai le pressentiment qu'un malheur va m'arriver, pour me trouver un endroit plus sécurisé, Je suis la mère d'un orphelin de père. elle sourit. Je suis Parantez.

Encore un reflet, trois mots identiques et un écho décalé. Personne. Un esprit malade et un esprit rapide, un esprit statique et un autre toujours en mouvement, qui se croisent au hasard de leurs routes pourtant parallèles. Un esprit qui fuit le malheur et un autre qui chasse le bonheur.
Une Parantez dans le vol sans fin d'un grand Albatros solitaire.
- Si nous ne sommes personne, alors cet instant est il finalement réel ? Souffle-t-il simplement, laissant flotter un sourire en retour sur ses lèvres.

La grise est bavarde, mais quant aux questions philosophiques, elle reste muette. Ces questions dépassent ses limites. Pourtant cette fois, elle a une bonne idée qui, malheureusement va détruire l'atmosphère poétique que le mâle venait de créer, et que la grise appréciait, mais de cette façon elle allait pouvoir mettre un terme à ce sujet de " réalité " avec succès. Du moins c'est ce qu'elle pense.
Une minute de silence et de respect pour ce mâle des plus courageux qui se sacrifie pour éclairer une très importante question.
La grise fixe un point précis sur son encolure, et elle saute a son coup dans un moment inattendu pour enfoncer ses dents tranchantes dans la chair d'Albatros, espérant que ça ne va pas saigner, la grise déteste voir du sang, c'est un de ses points faibles, c'est pour cela qu'elle prend un énorme risque, donc qui est la plus courageuse?
Elle attends pour voir comment il va réagir.

Quand son reflet traverse le miroir pour le blesser dans sa chair, le cœur d'Albatros semble exploser, le monde volant en milles éclats de verre tout autour de lui.
Il s'arrache à la morsure, recule, hors de portée de son attaquante. Il a mal, mais pas là ou elle l'a touché. Il pensait...il pensait que cette conversation en était une belle. Il s'était trompé.
- Pourquoi ? Laisse-t-il glisser, ses mots se noyant dans le lagon.

La grise détache ses dents et se recule de quelques pas, elle a fait de son mieux pour régler la dose. Elle contemple la marque de ses dents sur la peau d'Albatros. est-ce que tu comprends? C'était sans doute une des pires façons d'expliquer les choses, mais elle espère que le mâle le pardonnerait. cela veut dire que nous sommes finalement réels, nous sommes des personnes réelles. souffle la grise, parce que seulement les personnes réelles ressentent la douleur. ne me fais pas la tete, c'est toi qui me l'as appris tout a l'heure! dans son petit sourire enfantin se cachait de la crainte, peut-être était-elle allée très loin.

- Tu a prouvé que mon corps était réel, réplique-t-il. Mais pas mon esprit. Mon âme - il n'y a que moi pour décider de sa réalité. Pas la morsure d'un reflet ni le silence d'une Parantez.
Il n'est pas en colère. Juste...un peu déçu. Pourquoi ? Pourquoi vouloir être réel à tout prix ? Ici, dans ce monde sans ciel ni Terre, dans cette seconde suspendue et ces larmes de soleil, la Réalité de l'Albatros s'efface sans un adieu.
- Parfois, nous n'avons plus envie d'être réels.