Tache Blanche

Mes pas ne m'avaient encore jamais emmené près de ce gigantesque rocher, grossièrement planté au beau milieu de la plage. Comme j'avais maintenant un an, j'avais quelques permissions supplémentaires concernant mes pérégrinations. Je pouvais maintenant flâner où bon me semblait, je découvrais enfin la liberté. Alors que je m'amusais à galoper sur le sable noir, faisant varier ma vitesse du petit galop tranquille au sprint infernal, je ne tardai pas à apercevoir une masse blanche majestueuse au loin. On aurait dit mon ami Atlas mais paré d'une robe blanche, aussi lumineuse que le soleil. Etant d'un naturel avenant, je modérai mon allure pour aller à sa rencontre...et j'assistais, impuissante, à sa malencontreuse collision avec l'énorme rocher. "Houlala ! Ca va monsieur ?"

Je sursautai face à cette réponse virulente, incapable de savoir si c'était ou non de la colère. Je levais la tête vers l'étalon, impressionnée par sa puissance, époustouflée par sa blancheur et complètement envieuse de sa longue crinière soyeuse. Je jetai un rapide coup d'oeil à son front. "C'est bon, t'as la tête dure ! Il n'y a rien !" Je me permis de le tutoyer car malgré notre différence notable de hauteur au garrot, nous devions avoir un âge à peu près similaire.

"Oh non, y a pas de soucis !" Le rassurai-je immédiatement. Il me semblait tellement mal à l'aise que ma première préoccupation était tout naturellement de le mettre en confiance. "Tu es nouveau ici ? Moi c'est Esquisse !"

"Armstrong, j'suis heureuse de te rencontrer." J'aimais aussi croiser de nouvelles têtes. Celui-là était tout fraichement arrivé, depuis moins d'un jour d'après ses dires. Je comprenais maintenant un peu plus son attitude. Il semblait d'un naturel timide et, arriver ici sans rien connaître ne devait pas arranger les choses. "Ici, on est sur le Littoral Noir, ce n'est pas le lieu le plus accueillant de Lunaera." Selon se que préférait l'étalon, il y avait des lieux où il pourrait se laisser aller à l'émerveillement, on ne manquait de rien ici. Des hautes montagnes, des champs de fleurs à perte de vue, des bancs de sable bordant l'océan...

Son ancienne maison. Si j'en croyais son expression, il y avait été arraché et cet endroit lui manquait. Son visage souriant s'était voilé de tristesse. Je pouvais comprendre ce sentiment, celui qui vous rappelle, qui vous chuchote cyniquement à l'oreille que ce ne sont que des souvenirs, c'est beau mais c'est fini. Il n'y avait plus aucune chance de revenir dans le passé, c'était triste mais nous n'y pouvions rien. "A quoi ressemblait-elle cette maison ?" J'étais sûre de pouvoir lui faire passer le mal du pays en l'emmenant dans une de nos belles contrées.

J'écoutai patiemment l'histoire de l'étalon. Les oreilles pointées dans sa direction et le regard souriant, je ne perdais pas une miette de ses paroles. J'étais curieuse, parfois indiscrète, et j'aimais que rien ne m'échappe. C'était une aptitude que je mettais maintenant au service de la science et d'un apprentissage rigoureux que, pour l'instant, je me dispensais à moi-même. J'avais évidemment relevé son statut d'héritier mais les questions viendraient plus tard, je ne voulais pas qu'il se répande sur son passé, j'étais là pour le réconforter, pas pour lui faire remuer des souvenirs attristants. "Tu es un nordique, si la neige est ton amie, que le blizzard est un compagnon...je le suis devenue, par adoption. Tout ce que tu me décris, c'est ma maison."

J'explosai de rire devant cette effusion de joie dont me gratifia l'étalon à la robe nyvéenne. "Oh non, ce n'est absolument pas une blague !" Je sautillai moi-même, piaffant d'impatience à l'idée de l'entrainer vers des contrées qui lui feront oublier ses chagrins. "Il faudra marcher quelques heures vers le nord pour arriver dans la région de la Banquise de Cristal, ça caille sérieusement là-bas mais les aurores boréales sont canons, un spectacle à te couper le souffle."