Friture sur la ligne

L'oracle était préoccupée, les Esprits semblaient perturbés depuis quelques jours. Des signaux inquiétants lui parvenaient mais il lui fallait comprendre ce qui ne tournait pas rond.

Une collision soudaine et inattendue tira l'oracle de ses pensées profondes. "Oh Marbre, mon enfant..." Elle reconnut, sans même se retourner, la petite orpheline que les Esprits avaient confié à Granit. Elle était la seule enfant que comptait la tribu pour le moment, les Temps Fertiles n'étaient pas encore venus. La jument noire lui tendit l'encolure pour l'aider à se relever, elle savait comme il était difficile de s'en sortir avec ces grandes jambes de sauterelle. "...Aurais-tu encore oublié d'ouvrir les yeux ?"  

Les pupilles de Cosmos, souvent plongés vers l'insondable, couvèrent l'enfant avec bienveillance. Elle n'avait éprouvé aucune difficulté à se relever, il n'y avait donc pas de vilain bobo à déplorer. Patiemment, avec cet éternel sourire aux notes à la fois si douces et si mystérieuses, l'oracle attendit que Marbre se remette l'esprit à l'endroit.

Les températures étaient hivernales mais quelque chose dans ce froid n'était pas normal, il mordait férocement, lui semblait venir de l'intérieur même de son corps. C'était encore un signe, un signe qu'elle ne comprenait pas, qu'elle n'arrivait pas à interpréter. Etait-elle la seule à le ressentir ? Elle était prête à parier que oui.

Les feuilles mortes craquèrent sous les sabots de la jument lorsque changea son appui de côté, prenant la décision de s'occuper d'abord de leur gardienne en devenir avant de se consacrer d'avantage à l'énigme mystique que lui posaient les Grands Ancêtres. "Quelque chose te tracassait-il Marbre ? "

Un sourire doux étira les lèvres de la juments noire. Elle acquiesça en fermant brièvement les paupières, d'un mouvement lent. "Suis moi, Marbre, je voudrais te montrer une chose. Nous profiterons pour discuter un peu." Lui répondit-elle simplement en prenant le pas avec une certaine tranquillité. La brise qui s'était levée soufflait vers l'est, ce serait leur route. Ce serait leur guide. Les feuilles dansaient avec candeur là-haut dans les arbres, miroitant comme de petites reines parées d'or sous un beau soleil d'hiver. Certaines se détachaient et tombaient dans une lente chute tourbillonnante jusqu'à se déposer, en délicatesse, sur le tapis moelleux de la forêt.