We're in the city of wonder

Les lèvres de Myosotis effleurent avec délicatesse la surface de l'eau. Elle n'a pas soif, elle ne fait que s'amuser avec les lois de la physique. Elle admire l'effet que son souffle produit sur le liquide translucide. Elle trouve ça joli, ces petites vaguelettes qui forment des rondes qui se dissipent en s'agrandissant. Elle fait un pas de plus et s'enfonce davantage dans l'eau qui lui arrive maintenant aux genoux. Elle aime tant le lagon... C'est un endroit si paisible. Et puis... C'est sa nouvelle maison.

La dorée ne se doute pas un seul instant qu'elle est observée. Elle est tellement absorbée par l'eau qu'elle en oublie tout le reste. Une nouvelle fois, elle effleure la surface du lagon et finit par y tremper très légèrement le bout de ses lèvres violacées. Un bruit soudain lui fait relever la tête d'un geste brusque et sa crinière jusqu'alors si bien coiffée retombe en pagaille le long de son encolure. Ses iris émeraude se mettent en quête du responsable et tombent finalement sur une silhouette dorée bien connue. Oups. Myosotis ne le quitte pas du regard, il ne semble pas tellement à l'aise. Elle non plus, à vrai dire.
- Bonjour Sueño, le salut-elle de son habituelle voix douce.
Cette fois-ci, ils ne se disputeront pas. Elle n'en avait ni l'envie, ni la force. Et puis, elle était passé à autre chose. Leur amour, c'était de l'histoire ancienne à présent. Mais ça ne les empêchaient pas de construire une nouvelle relation, bien plus saine cette fois-ci.

Un frisson désagréable glisse sur sa peau dorée alors que son échine se hérisse de façon imperceptible. Ah ouais, il se la joue comme ça genre même pas un bonjour pour commencer ? Un léger soupir franchit la barrière de ses lèvres. Au moins, il a le mérite de mettre les choses au clair dès de début. Et puis, dans le fond, elle était heureuse qu'il vienne pour Absinthe, même s'il n'en avait pas le moins du monde envie. Bim, deuxième flèche, dans son petit cœur. La blesser dans son amour propre c'était quelque chose, mais la blesser dans sa maternité c'était autre chose. Elle recule d'un pas dans le désir d'instaurer de la distance entre cet arc tendu et elle.
- Je ne vois pas ce que Njörd a à voir avec tout ça, répond-elle calmement.
Une idylle était née entre eux, certes. Ils s'étaient rendus compte de la réciprocité de leurs sentiments et s'étaient rapprochés. Quel mal y'avait-il à ça ?

Elle n'aime pas ce regard qu'il pose sur elle. Froid et impitoyable. Sa peau frémit et l'espace d'un instant, ses membres se mettent à trembler. Une lueur paniquée glisse dans le vert de ses yeux. Elle sait pourtant qu'il ne la touchera pas. Mais la peur est plus forte que tout et elle lui colle à la peau.
Myosotis s'efforce de soutenir son regard brun. Elle y décèle une émotion toute particulière qui la blesse ; la détresse. La culpabilité l'envahit et elle s'efforce de prendre une grande inspiration pour ne pas céder à la panique totale.
- T'es vraiment qu'un gros con. Il ne s'est rien passé avec Njörd, s'emporte-t-elle, vexée et blessée. Le dernier qui m'ait touchée, c'est toi, grince-t-elle en levant les yeux au ciel.
Et bon sang, qu'est-ce qu'elle avait envie d'oublier la sensation que lui avaient procuré ses caresses. Ses lèvres. Son corps contre le sien. Tout. Elle voulait tout oublier, tout effacer. Tout jusqu'au dernier souvenir. Jusqu'à la dernière sensation. Pour pouvoir se donner cœur et âme à cette nouvelle histoire qui l'attendait.

Il s'éloigne et elle bondit hors de l'eau pour le rejoindre. Elle ne compte pas le laisser s'en tirer à si bon compte ! Et elle ne veut pas rester sur ce genre de relation toxique. Un léger frisson l'électrise lorsqu'elle se glisse à ses côtés.
- Je ne veux pas qu'on se haïsse toute notre vie Sueño, souffle-t-elle à voix basse en rivant son regard vers le sol.
Non, elle n'avait pas envie de ça. Elle ne voulait plus l'aimer d'amour, mais elle ne voulait pas le détester non plus. Elle voulait simplement qu'il puisse être un ami. Quelqu'un d'agréable à son cœur, pas quelqu'un qui le démolit à chaque fois qu'il en a l'occasion. Et si elle était prête à ne plus le voir comme l'amour de sa vie, lui, il pouvait bien faire l'effort de ne pas la voir comme sa pire ennemie.

Ses oreilles se plaquent contre sa nuque. C'est là son seul geste de protestation envers ses paroles désagréables. Elle s'efforce de caler son pas au sien. Non, elle ne comptait pas abandonner. Pas cette fois. Elle s'en fiche de ses larmes, elle n'est pas du genre à juger la tristesse de quelqu'un. Ni ses faiblesses. Myosotis bondit vers l'avant et se met en travers de sa route pour l'empêcher d'avancer davantage et de fuir.
- Bon sang Sueño, arrête de me fuir ! Ce n'est pas digne de quelqu'un comme toi, claque-t-elle en redressant l'encolure de manière à paraître plus imposante qu'elle ne l'est réellement.
- Dis moi. Dis moi ce qu'il faut que je fasse pour que tu me pardonnes et que tu arrêtes de me voir comme ton ennemie, demande-t-elle en glissant ses yeux clairs dans les siens.
Au point où ils en étaient, elle était bien capable de tout faire pour qu'il cesse de la haïr. Tout et n'importe quoi.

Myosotis ne comprend plus. Pourquoi est-ce qu'il s'évertue à la repousser alors qu'il était venu la trouver en plein cœur du territoire des Orosymal ? Un léger soupir lui échappe. Elle en a vraiment marre de se battre sans cesse avec lui. Elle est épuisée. Tout ce qu'elle veut, c'est que leur relation s'améliore. Pour Absinthe, oui. Mais aussi pour eux. Mais elle comprenait désormais qu'en effet, là où il y avait de l'amour, il y avait également de la haine.
Ses muscles se contractent lorsqu'il bondit sur le côté pour s'échapper, encore une fois. Et, malgré qu'elle soit épuisée, elle s'élance à sa suite. Tant pis si elle se met en danger, elle ne pouvait pas le laisser partir comme ça. Elle s'arrête quelques mètres après lui et son regard se pose sur sa croupe dorée.
- Sueño, je t'en supplie, écoute moi... Le supplie-t-elle en reprenant le pas.
Elle remonte le long de son flanc, le cœur battant et sa peau dorée caressant la sienne. Ellle aimerait qu'il se calme. Qu'elle puisse lui parler. Elle tremble légèrement et ses flancs se gonflent et dégonflent rapidement. Elle continue d'avancer, quittant la chaleur de son corps, pour se placer de nouveau devant lui. Elle veut qu'il la regarde et dans les yeux.
- Je ferais tout. Sans exception, absolument tout. Juste pour obtenir ton pardon, souffle-t-elle. Et lorsque tu me l'auras accordé, tu n'auras plus à te soucier de moi. Je te le jure sur ma propre vie.
Et qu'elle aille en Enfer si elle mentait.

Elle plonge dans ses iris chocolatés à l'instant même où ils croisent les siens. Un nouveau frisson foudroie son échine. Elle est tellement désolée de ce qu'elle y aperçoit. C'est vide et terne, et lorsque ça ne l'est pas, c'est brûlant et agressif. Et, lentement, elle commence à baisser les bras. Elle se fait à l'idée qu'elle ne pourra pas le sauver. Pas cette fois. Elle est impuissante face au mal qui le ronge. Il l'envoie balader, donne des coups à son cœur. Il ne la ménage pas, au contraire. Il la roue de coups, même si ce n'est pas physique. Le résultat est le même. L'accuser d'être une mauvaise mère, c'est l'équivalent du coup de grâce. Evidemment qu'elle sait qu'elle a merdé. Elle espérait que cette histoire resterait au passé. Sa fille lui avait bien pardonné, pourquoi pas lui ? Qu'importe, quelle importance désormais ?
Myosotis recule à son tour. Ses membres tremblent de nouveau et ses larmes dévalent déjà ses joues. Elle est blessée, plus qu'il ne peut l'imaginer. Et, justement pour sa fille, elle s'efforce de rester forte face à cet océan de rage qui émane de l'ibérique.
- Vas-y, je t'en prie, crache tout ton venin sur moi, claque-t-elle avec insolence, ses iris vert le foudroyant sur place.
Qu'il s'explique maintenant ou jamais.