In the night she's dancing to relieve the pain

» I don't know should go or should I stay
I'm trying to keep myself alive
Knowing there's a chance it's all too late

Je m'approche du bord de la falaise, d'un pas tremblant. Peut-être que l'espace d'un instant, je songe à sauter. Mes flancs me font tellement mal, j'ai l'impression que c'est le début d'une longue et horrible mort. Comme si on me découpait en petits morceaux en utilisant un objet pas assez coupant. Je laisse un gémissement m'échapper alors qu'un énième coup me met à genoux. Je lance un hennissement, espérant que ma mère m'entendrait. J'aimerais tant qu'elle vienne me rassurer. Mais elle est si loin. Pourquoi est-ce que je ne l'ai pas suivie chez les Orosymal ? Je me redresse et mon regard glisse sur l'horizon lointain. Je ne saurais même pas dire s'il faisait jour ou nuit, avec toute cette brume opaque. Je fais un pas de plus vers le bord et une rafale me repousse aussitôt. Je recule d'un pas et baisse la tête alors que la douleur me met à genoux une seconde fois. Et lorsque je me redresse, je sens un liquide chaud me glisser entre les cuisses. Merde, c'est quoi ça au juste ? Mon cœur se met à battre plus vite, la panique s'insinue en moi. Pourquoi personne n'est là ? Personne ne m'a entendu ?

But I heard you say you love me
That's the part I can't forget
And I wish that you come save me
Cause I'm standing over the edge

La douleur devient de plus en plus forte. Sans doute est-elle exacerbée par la peur qui s'est emparée de moi. J'ai de plus en plus de mal à rester stable sur mes fines jambes. Je tremble comme je n'ai jamais tremblée. J'entrouvre mes lèvres, prête à lancer un dernier appel de détresse, mais seul mon souffle s'échappe de mes poumons. Je jette un dernier coup d'œil aux environs ; personne. Les larmes me montent aux yeux. Je ne sais plus quoi faire, je suis perdue. Mon instinct naturel semble carrément absent, refusant de me dicter la marche à suivre. La détresse me dit que je pourrais sauter, ça ira vite. La raison me dit que ce n'est pas une option. Et entre deux, il y a cet enfant qui remue vivement entre mes flancs. A cet instant, j'aimerais être comme ma mère et avoir son sang-froid. Et à son exact opposé, je laisse la panique être maître de la situation. L'arrivée d'une inconnue m'apaise légèrement. Je ne suis plus seule. Et malgré mon envie de lui faire confiance et de lui laisser prendre tout en main, je reste sur la réserve. Elle ne semble pas vraiment sûre d'elle en plus de ça. Je tourne finalement ma fine tête vers elle, pour l'observer. Elle a de jolis traits, mais elle semble malade. Mes yeux bleus, pleins de crainte, se glissent dans les siens. Une autre crainte glisse aussitôt dans mon esprit ; est-ce que Draggan va me planter là ?
- Je... Les mots ne viennent pas et je me décourage. D'accord, j'accepte finalement, presque dans un murmure.
J'attrape le bout de mousse qu'elle me tend. Je me demande à quoi il va servir, même si j'ai une vague idée le concernant. Je m'allonge ensuite, comme elle me l'a demandé. C'est sans doute la première fois de ma vie que je me montre aussi docile, surtout face à une parfaite inconnue. Je cherche son regard, à la recherche de la moindre information. Ça va bien se passer, n'est-ce pas ?
Coïncidence ou signe du destin, voyez-y ce que vous désirez voir, Draggan arrive pile à ce moment. Je lâche un instant le morceau de mousse.
- Draggan... Je souffle d'une petite voix, comme si je n'y croyais pas.
Je me sens soulagée de le voir s'approcher. Ainsi, il ne m'a pas oubliée. Ses quelques mots me laisse croire qu'il connaît la grise. Mes pensées s'entremêlent. C'est pas le moment de se faire des films. La douleur qui me traverse à l'instant ne m'en laisse de toutes façons pas l'occasion. Je serre les dents sur le morceau de mousse et un simple gémissement m'échappe. Et dans ma tête, une seule phrase tourne en boucle. J'ai mal.


(Pardon pour le pavé. )

( Huhu, comme quoi, entre ce que je dis et comment je la joue... )

J'ai l'impression que les minutes se sont transformées en heures depuis que la mise-bas a débuté. Il ne faut pas bien longtemps avant que ma peau ne se retrouve trempée par la sueur. Chaque nouvelle contraction me déchire le ventre. Et je me sens terriblement découragée lorsque je me rends compte qu'à chaque nouvelle poussée, le poulain n'avance que de quelques centimètres.
Et puis finalement, lorsque je ne me sens plus capable de donner le moindre effort, je sens que cette poussée est la dernière. Ça y est, je l'ai fais. J'ai donné naissance à un petit être. Je ne suis pas certaine d'en ressentir la moindre once de joie. Je suis essoufflée et complètement perdue. Je prends pourtant sur moi pour me redresser, malgré la fatigue et l'inquiétude qui me paralysent un peu. Je glisse un rapide coup d'œil à la pouliche qui se trouve tout près. Un peu trop près. Est-elle vraiment réelle, n'est-ce pas qu'un mauvais rêve ? Mon regard glisse finalement jusqu'à Draggan qui me semble bien silencieux tout d'un coup. Et de nouveau, une vague d'angoisse m'envahit, si bien que j'en perds la parole.

Mon regard glisse jusqu'à l'autre jument. Je ne suis pas certaine que ce moment mérite des félicitations mais je le garde pour moi. Je la sens un peu tendue et elle semble chercher l'attention de Draggan. Qui est-il pour elle ? Et surtout, qui est-elle pour lui ? Je m'imagine plusieurs options, et certaines me foudroient le cœur. Pourtant, on ne s'est jamais rien promis. On n'est rien de plus que des amis, même si on a repoussé les limites de l'amitié à plusieurs reprises. Je ne me fais pas d'idées quant à sa réussite auprès des autres filles. Il est évident que je ne suis pas la seule à craquer pour lui. Et si cette perceptive ne m'avait jamais réellement dérangée jusqu'à présent, elle commençait à m'être de plus en plus désagréable. J'entends le faible hennissement de la pouliche et si mon instinct me dicte de lui donner l'attention qu'elle désire, je m'en sens incapable sentimentalement parlant. Je ne suis même pas sûre d'être apte à l'aimer. Pourtant, elle est le fruit de mon amour et de mon désir pour Draggan. Elle est un bébé passion. J'aimerai l'aimer aussi fort que j'aime Aulia ou Draggan. Mais c'est une évidence, ce n'est pas le cas. Je ferme les yeux un instant. La voix du gris s'élève.
- Je veux bien... Je réponds d'une petite voix.

J'ouvre de nouveau les yeux, lorsque la grise dit qu'elle va s'en aller. Un simple merci franchit la barrière de mes lèvres. Evidemment, je lui suis reconnaissante de m'avoir aidée. Et lorsqu'elle commence à s'éloigner, je suis partagée entre le plaisir d'être seule avec Draggan et notre fille et la gêne d'être justement seule avec lui. J'ignore comment il va se comporter avec moi et j'avoue ne pas savoir non plus comment je dois me comporter avec lui. J'aimerai qu'il me regarde. Qu'il me regarde avec ce même regard qu'il avait lors de nos retrouvailles sur la banquise, sous les aurores boréales. J'aimerai sentir son contact. Que sa peau effleure la mienne, avec subtilité. Et tendresse. Ou avec passion. Peut-être les deux. Qu'importe. Peut-être que lui désire quelque chose de plus platonique. De plus doux, plus nuancé. Moins toxique aussi. Et lorsqu'il remercie l'inconnue en lui accordant un petit surnom affectueux, mon cœur se brise. Je détourne mon regard de Draggan pour observer la pouliche qui cherche à se mettre debout. Je décide d'en faire autant et me redresse légèrement, avec un peu de difficultés. Mes jambes tremblent si bien que j'hésite à poursuivre mon mouvement. Mon regard glisse de nouveau vers Draggan et une voix claque avec violence dans mon crâne. Faiblarde. Je détourne mon regard du gris, une nouvelle fois, honteuse. Les mots fusent dans ma tête mais refusent de sortir pour de bon. Je décide d'essayer une nouvelle fois, et cette fois-ci c'est la bonne. Avec précaution, je fais un pas vers la pouliche et effleure ses naseaux des miens. Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée que c'est ma fille. Que c'est la fille de Draggan, aussi.
- Je... Je n'ai même pas pensé au nom que je lui donnerais... J'avoue finalement à Draggan, toujours aussi honteuse.
Après avoir été une amie, une fille et une compagne minable, voilà qu'on pouvait désormais me qualifier de mère immonde...