depuis on attend qu'le monde vienne à nous

La nuit était bien avancée, et avait laissé ces voiles nostalgiques s'emparer du monde. Enja était affairée sur son établi, concentrée. Les yeux creusés. Par la fatigue, par les larmes qui ont trop coulé, par toutes ces images, réels et fictives qui tournoyaient dans son esprit. Elle entendit du bruit non loin, derrière elle. D'une voix à peine distraite, mais surtout anormalement monocorde, presque froide, elle lança à voix basse. « Le cabinet est fermé. »

Enja ne lui avait jeté qu'un bref regard. Il s'agissait d'un inconnu. Et puis elle n'avait jamais envie de le regarder davantage et que ses principes de guérisseuses ne lui dictent d'abandonner son état d'esprit. Elle avait besoin, elle avait le droit, elle aussi, d'être en colère parfois.

L'inconnu n'ajouta rien du tout, et Enja ne releva pas. Ceci dit, elle l'entendit entrer dans l'antre, et le laissa faire, demeurant concentrée sur ses activités. Depuis des jours, elle ressentait une pression contre son cœur, quelque chose de douloureux. Cette peine qui ne voulait pas la lâcher, même dans son sommeil. Par la suite, le mâle commença à fouiller, sur l'établi voisin au sien. En somme, celui de Tehya, son amie. « Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, ici. » Elle s'était approchée, sa voix étant ferme. Elle s'approcha alors davantage, ayant remarqué la blessure sur l'encolure du mâle. Une blessure fraîche qui commençait à s'infecter. Elle alla chercher un peu de matériel, et appliqua une mousse humide contre la peau de l'étalon, d'abord pour nettoyer.

Enja était rarement agacée, encore plus rarement en colère. Mais elle n'était vraiment pas d'humeur. « Hé ! Si vous avez envie de mourir d'une infection, ce ne sera pas ici ! Alors arrêter de bouger. » Elle n'avait pas envie de se faire mordre, surtout que c'était en plein milieu de la nuit, et qu'ils étaient décidément seuls ici, les autres guérisseurs étant tous endormis dans leurs camps respectifs. S'il l'agressait, elle sera seule face à la situation. Mais la brune, dans cet état mental, avait comme des œillères, et n'eut aucune hésitation à s'approcher de nouveau. Elle épongea la plaie qui dégageait une mauvaise odeur, démontrant l'infection qui évoluait rapidement. Une fois la plaie nettoyée, elle appliqua un cataplasme aux vertus anesthésiantes. Ce fut après de longues minutes de travail à la fois rapide et minutieux qu'elle recula. « Le cataplasme va agir vite, et va vous engourdir. Allez vous installer sur le lit de mousse dans le coin là-bas, il vaut mieux que vous soyez couché. » Elle retourna près de l'établi, allant nettoyer ses membres et sa bouche au petit ruisseau à proximité.

Mais elle ne s'en soucia pas, à vrai dire. Elle savait juste que s'il demeurait debout, il finira probablement par chuter, car une fois appliqué, le cataplasme répandait une substance dans le sang qui engourdissait de façon générale le corps, plus lentement que sur la plaie en elle-même, mais tout de même. Elle revint à l'établi, ne prenant pas la peine de vérifier s'il était bien allé se coucher, et commença à broyer quelques plantes dans un mortier "maison". Enja, grâce à ses recherches, avait mis au point bien des remèdes pour traiter un tas de symptômes et de virus. Le cas d'infection était un jeu d'enfant pour elle, au point où elle aurait pu travailler les yeux fermés. Elle revint avec un tas verdâtre, à moitié broyé mais qui dégageait une agréable odeur de miel.

Elle revint vers le mâle et lui tendit cette mixture à l'odeur agréable. « Mangez, ça va vous aider à dormir. » Et elle demeura plantée là, jusqu'à ce qu'il se décide à manger.

La jeune brune veilla le noiraud pendant un moment. Ces moments de calmes parvenaient à la reposer quelques peu, mais cela ne suffisait pas. Elle retourna travailler quelques heures, essayant d'aller dormir par moment, sans y parvenir. C'est dans un état vaseux qu'elle vit le jour se lever, et entendit le mâle bondir. Elle revint donc près de lui, jugeant son état en l'observant attentivement. Elle renifla la plaie, dont l'odeur s'était améliorée. Mais avant de se prendre un coup de sabot, elle recula de quelques pas.