Alone //N//

Jour 4. Cela fait quatre jours que maman est partie. Elle a tourné les sabots et s'est enfuit dans la jungle, lâchement, suite au bannissement de Xander. Elle m'a laissé là. J'ai longtemps espéré qu'elle revienne me chercher, mais je crois en réalité que je suis livrée à moi même. Dans ce clan, je me sent étrangère, en plus papa ne s'occupe même pas de moi. Parfois Enja et Bryésis me demandent si tout vas bien. Elles sont gentilles mais je n'ai pas envie de leur parler. Je n'ai envie de parler à personne. Parfois j'ai envie de crier, de hurler, d'évacuer ce gros poids qui pèse sur mon petit coeur d'enfant. Mais je me l'interdit. Chez les Shaans, les faibles ne sont pas les bienvenus. Alors je ravale ma tristesse, et je ne montre que ma colère. De toute façon, c'est tout ce qui me reste.

Noomi est allongée dans la combe centrale du camp. Le nez dans ses sabots, elle regarde le clan s'éveiller autour d'elle. Ses paupières sont lourdes d'avoir veillé toute la nuit. Depuis le départ de sa mère, la pouliche n'avait pas trouvé le sommeil.

Noomi regarde ses sabots inlassablement. Bryésis passe à coté d'elle. Elle l'apprécie cette jument car elle est peu bavarde, ça l'arrange bien. La pouliche se met debout docilement quand on lui en donne l'ordre et se met à suivre machinalement la frisonne. Étrangement, celle-ci semble l'inviter à sortir hors du camp. Noomi s'immobilise à l'entrée. A t elle vraiment le droit ? La plupart du temps, les adultes avaient plutôt tendance à l'empêcher de sortir. La dernière fois Cérésia lui avait sévèrement tiré les oreilles. La pouliche regarde autour d'elle, de peur d'être prise sur le vif mais le clan dort. Et puis de toute façon, elle ne sort pas seule, elle est accompagnée. La noiraude rattrape la jument au petit trot et se met à marcher à coté d'elle dans le silence absolu.

Les deux juments arrivent dans une petite clairière sablonneuse au sud du camp. Noomi ne s'y est jamais rendu mais elle a entendu dire que c'est ici que les adultes s’entraînent. La pouliche renifle le sol, intriguée. Mais avant qu'elle n'ai le temps d'en faire plus, la voila projeté en arrière par un coup de nez puissant. La pouliche fléchit sur ses postérieurs et manque de tomber à la renverse. Elle assène un regard assassin à la jument noire mais n'ose pas riposter. Ses petites prunelles sombres sont fixés sur la frisonne, elle ne discerne pas ses yeux car ils sont cachés sous son toupet. Impossible de connaitre les émotions de la jument noire.

Le regard de son aînée perturbe la pouliche, elle ne comprends pas les intentions de Bryésis, que veut-elle de moi ? Noomi toise la jument avec un regard mécontent et réussi à esquiver sa nouvelle attaque. " Pourquoi tu fais ça ? " grogne t elle en manquant de s'emmêler les jambes dans sa propre parade. " Je ne veux pas apprendre à me battre, je veux être espionne ! " scande t elle en reculant légèrement. Elle tient Bryésis à l'oeil, prête à esquiver à nouveau.   

Cette fois ci la pouliche perd patience, elle se cabre pour esquiver la grosse tête de la jument et lui envoi ses antérieurs au visage en poussant un cri de guerre. Une attaque peu puissante mais précise. Ses sabots écorchent le chanfrein de la noiraude, une éraflure peu profonde mais assez grande. Si elle avait voulu faire mal, elle aurait visé les yeux.  

Noomi regarde la touffe de poils et de peau noire qui est restée accrochée à la corne de son sabot. Elle secoue son antérieur pour la décrocher. Etrangement, elle ressent une certaine satisfaction d'avoir fait taire la jument. Mais son plaisir est de courte durée, voila que Bryésis commence à énumérer tout ce qui fait souffrir Noomi depuis de longues semaines. La colère embrase instantanément les iris de la pouliche. Elle aimerait trouver l'aplomb pour réagir tout de suite mais sa frustration l'empêche de bouger. Elle se met à respirer plus fort, le regard figé sur ses petits sabots. Et, lorsqu'elle relève le regard, la voila qui s'élance et charge Bryésis pour venir la heurter de son faible poids. Une attaque compulsive, irréfléchie, que Bryésis esquivera sans doute sans difficulté, mais c'est tout ce dont Noomi est capable ; Évacuer sa haine, son chagrin, et sa rancoeur. Frapper machinalement, se laisser envelopper par la rage, laisser sortir le fauve de sa cage, le tigre qu'elle retient en elle et qui ne demande qu'à sortir pour tout massacrer.  

Noomi se défoule sur la jument noire, libérant sa haine qui est ancrée en elle depuis trop longtemps. La jument l'enserre avec sa puissante encolure et la maintient fermement. La pouliche se débat, usant toute son énergie pour échapper à l'étreinte de Bryésis, mais après plusieurs longues minutes de lutte, son énergie vient à manquer. Sa hargne semble l'avoir quitté. Elle s'effondre d'épuisement contre la noiraude, le souffle saccadé.

Noomi se laisse choir au sol lorsque Bryésis relâche son étreinte avec douceur. La petite reste allongée, le souffle saccadé. Elle peine à reprendre un rythme respiratoire normal. Ses paupières sont lourdes, elle lutte quelques secondes pour rester éveillée, puis se laisse lentement bercer par le souffle chaud de la bersek. Ses yeux s'éteignent, elle entre tout doucement dans un sommeil paradoxal, un sommeil plein de rêves. Les traits autrefois tirés sur son visage semblent se relâcher. La pouliche est épuisée, d'une bonne fatigue, mais surtout, elle semble apaisée.