we stay offline

Il est des trésors qu'on peine à expliquer et dont la beauté est triste à pleurer, tant elle est rare, tant elle est fine dans l'ensemble épais que forment le désespoir, le vice, les êtres imparfaits et leurs élans. Yrma songeait au monde, ses yeux glaciaux posés sur le camaïeux de couleurs de la prairie. Elle était dressée, de toute sa maigreur, sur le haut d'une colline. Tranquillement, elle se mit à avancer, foulant tendrement son flanc. Les humeurs des fleurs emplissaient ses naseaux. Ce genre de plaisir simple la raccrochait au matériel, la convainquait des raisons de sa présence en ces lieux.

Yrma ralentit le pas, laissant ployer son encolure vers le sol. Ses naseaux effleurent les pétales des demoiselles. Une grande tendresse se dégage de ce contact léger, indicible, presque un chatouillement stimulant les terminaisons nerveuses de sa peau, si douce en cet endroit. Mais cela n'est pas suffisant pour décrocher un sourire au Cygne. Sa vie intérieure ne provoque jamais de remous, même quand elle se pense seule. Et seule, elle ne l'est pas, ou plus, dès lors que la brise printanière lui rapporte la présence d'un équidé, une jument après analyse de l'effluve, sur sa droite, dans son angle mort. Yrma s'arrête, lorgnant le sol. Elle sélectionne quelques brins d'herbe gras, gorgés d'eau, faisant mine de n'avoir rien su. Quelque chose lui dit qu'elle n'a rien à craindre de l'étrangère. Et elle ne tient alors pas à trahir la vivacité avec laquelle elle l'a repérée. Comme pour cacher son jeu.

Elle guette, silencieusement. Aucune odeur de sueur fluctuante, ni même un bruit, ne lui indique que l'autre est en mouvement. Alors l'inconnue doit quêter la paix en ce lieu. Immobile. Peut-être allongée. Yrma relève sa tête sculpté et s'autorise une rapide observation. Les deux juments sont cachées l'une à l'autre... Le Cygne reprend sa marche, l'air distraite, bien qu'elle ne le soit guère. Une silhouette grise fait son apparition, baignée d'une lumière tendre et rougeâtre. C'est vrai que le soleil se lève à peine... Yrma feint à merveille la surprise et un sourire s'étale sur son visage, en guise de salut. Puis son regard bleuté se pose négligemment sur l'horizon alors qu'elle passe son chemin, doucement, assez pour être arrêtée. Son presque double semble s'être réfugiée, autant lui laisser de l'espace, mais aussi le choix de la rencontre.

Son entrée en scène est bonne, à priori. Yrma s'en félicite. Un bonheur simple l'irradie alors. Elle est heureuse de se trouver ici, au beau milieu d'un endroit hors du temps, à la beauté rare, face à une inconnue qui gobe sans sourciller son petit cirque. Les gens se laissent avoir par la douceur ! C'est étonnant. Yrma, elle, s'en méfierait. Peut-être rate-t-elle quelque chose, alors ? Elle y songe rapidement, tout en faisant un pas vers la grise, attentive. Le Cygne remarque alors qu'une légère tension anime le corps de l'étrangère. Tout est encore fragile. Il faut y mettre du doigté. « Pardon. Je vous dérange sûrement. » Elle refait un pas en arrière, rivant son regard sur un ailleurs. Elle a l'air d'une ado gênée. Son oeil bleu se rive sur l'inconnue, quelque secondes seulement, fuyant de nouveau ensuite. Interdite, elle ne bouge plus. « Cet endroit est merveilleux, je trouve. C'est la première fois que je m'y promène. » Une petite moue contrite anime son visage sculptural. Elle semble ne plus savoir comment interagir avec l'autre grise.