▴ pluie diluvienne

Face à l'océan en colère, Allie se tenait sur les sommets des falaises, son regard dépareillé fixant avec avidité les flots impétueux. La pluie battait son plein et la yearling était détrempée jusqu'aux os, ses crins fins de nacre collant à sa peau bicolore. Le tonnerre tonnait dans les cieux et l'eau déchaînée s'écrasait sur les roches acérées en contre bas. Et elle, elle était fascinée, se demandant ce que cela ferait de se mêler à cette éclatement de force.

Il n'est jamais venu ici avant. Et personne ne lui avait parlé de cet endroit. Il est tombé sur un chemin par hasard, qui l'a mené ici. Il observe tout autour de lui. Il n'a pas peur, non, pas le moins du monde. Il ignore même si l'île est habitée. Et s'il était le premier à la découvrir ?
La silhouette bicolore au bord de la falaise lui indique le contraire. Il s'approche discrètement, avide de savoir ce qui peut bien attirer son attention. Besoin d'un coup de main pour réaliser un suicide aérien ?

Elle ne l’entend pas approcher mais ressent sa présence. Cela faisait partie de l’instruction des natifs, ne faire qu’un avec ce qui les entourait. Et l’impatience la gagne, avide de découvrir quel individu se faufilait ainsi jusqu’à elle.
Elle ne sursaute pas, n’affiche aucunes surprises non plus, se contente de détourner ses yeux dépareillés de l’eau agitée en contre bas. Le regard de Boréale se heurte à des traits parfaitement dessinés ainsi qu’acérés. Cela ne l’effraie pas, cela nourrit sa curiosité. Je serais bien égoïste de ne pas partager cette incroyable expérience, et je me sentirai bien seule dans l’au delà, il faudrait que tu te joignes à moi. souffle t-elle, assez fort pour ne pas mourrir dans les vents marins, mais à peine plus, comme si il s’agissait là d’un secret entre lui et elle. Elle le jauge de haut en bas, bas en haut. Mais cela serait un beau gâchis. Elle parle d’elle. Mais aussi de lui.

Un faible sourire habille les lèvres sombres de l'étalon. Je suis tenté de dire que je ne te refuserais rien, que pour ton beau visage je t'offrirais ma compagnie éternelle, âme charitable que je me trouve être. Il avance un peu et se joint
à elle. Son corps reptilien glisse contre celui de l'inconnue et il la dépasse, allant jeter un œil à l'océan tumultueux qui s'échoue contre les rochers en contrebas. Mais je pense que beaucoup regretteraient ma présence, ici, chez les vivants.

Ses premières paroles lui arrachent un sourire, l’amusant et appréciant chaque mots qui sortirent de sa bouche. Avait-elle à faire à un baratineur ou comme elle, un joueur ? Quoi qu’il en soit, cette rencontre s’avérait déjà intéressante.
Son corps glisse contre le sien et elle ne se dérobe pas au contact, au contraire, elle l’appuie un peu plus. Lorsqu’il la dépasse, elle laisse son regard bicolore parcourir les courbes de son dos et de son épaule. Elle parcourt les trois pas qui l’ont éloigné d’elle mais n’observe pas les rochers, elle l’observe lui. À qui manquerais tu ?

Il discerne assez facilement l'intérêt que semble lui accorder l'étrangère. Il apprécie l'attention qu'elle lui accorde et considère que ça la rend tout aussi intéressante à ses yeux. Le serpent soutient le regard océanique de la jument, s'y plongeant avec une fougue particulièrement audacieuse. Il ne s'en détache pas, reste parfaitement immobile. Seules ses lèvres s'agitent. Pour commencer, à toi.

Son regard rencontre le sien, et ce qu'elle décèle à l'intérieur lui plaît, si bien qu'elle doit se faire violence pour ne pas se lécher les lèvres de gourmandise et d'envie. Il ne fallait pas trop en dévoiler non plus, jouer un art un peu plus subtile. Un sourire glisse sur ses lèvres détrempées par la pluie, amusé. Réponse audacieuse, mais ne sommes nous pas censé sauter ensemble ? le rappelle t-elle à l'ordre. Mais ! Si par inadvertance je trahissais notre petit pacte et que tu sautais seul, qu'est ce que te fais croire que tu me manquerais ? souffle t-elle en approchant un peu plus son visage du sien, ses lèvres se déhanchant à l'orée des siennes, sans les toucher pourtant, et ses yeux n'ayant jamais quitté ceux de l'étalon. Elle recule lentement son visage, lui réappropriant son espace personnel qu'elle était venue envahir quelques secondes plus tôt.

Elle a du cran et il aime ça. Ce n'est pas le genre d'aplomb qui le dérange habituellement. C'est une impudence appréciable, subtile et séduisante. Il ne la quitte pas du regard, absorbé par le rôle qu'elle joue. Ou l'individu qu'elle est ? Les couvertures sont fréquentes, trompeuses. On ne sait jamais qui est qui. Il est bien placé pour le savoir. Premièrement, tu seras prise d'une culpabilité profonde. Tu ne cesseras d'y repenser. Ensuite, c'est plutôt le mystère qui te manqueras. L'intérêt que je représentais pour toi. Tu n'es pas du genre à te laisser impressionner, je me trompe ? Tu ne t'attardes pas sur n'importe qui. Alors tu regretteras amèrement l'intérêt que j'ai su suscité chez toi. Ils te paraîtront tous fades, d'un ennui sépulcral. Et c'est là que je te manquerai.

Tandis qu'il parle, elle déloge son regard du sien pour le reporter sur l'horizon brouillé par les trombes de pluie. Sa bouche est légèrement entrouverte, elle se délecte de l'entendre ainsi parler d'elle, de lui, d'eux. Il est bon, il est fort. Lorsque le silence revient, un sourire effronté se glisse sur la commissure de ses lèvres. C'est fascinant. souffle t-elle dans un murmure que seul pourrait entendre, si jamais des oreilles indiscrètes venaient à traîner dans le coin. Ses mots ne sont pas sarcastiques, encore moins ironiques. C'est réellement fascinant. Néanmoins … Mais il réside une erreur dans tes propos. Elle tourne le visage de nouveau vers lui, elle pourrait presque se faire surprendre par leur proximité si seulement cela pouvait l'offusquer, mais au contraire, elle se apprécie de nouveau que son souffle caresse le sien. Je ne connais pas la culpabilité.

Elle est à la fois attentive et détachée. Il n'a pas apprécié qu'elle quitte son regard, qu'elle observe ailleurs. Qu'elle le laisse de côté. Susceptible, Adam ressent une pointe d'agacement quand il finit enfin sa théorie. Mais elle se comporte comme si de rien n'était. Comme si elle ne l'avait pas provoqué. Comme si elle ne l'avait pas froissé. Il couche une oreille en arrière. Dans d'autres situations, sa réponse lui aurait arraché un franc sourire, amusé par le détail. Mais là, une seule chose lui revient en tête. Pourquoi as-tu cessé de me regarder ?

L'atmosphère entre eux change, prend un tournant brusque. Elle peut à présent ressentir le froid de la pluie sur son corps, ce qui n'était pas le cas une poignée de seconde avant qu'il n'ouvre de nouveau la bouche. L'aurait-elle … Vexé ? Allie sait maîtriser ses émotions, et évite de laisser un sourire amusé pointer sur sa bouche, craignant qu'il ne prenne pas cet amusement pour ce qu'il était et non pas de la moquerie. Ses yeux trouvent les siens, s'immiscent en eux de manière profonde et envahissante. Pourquoi n'es tu pas revenu le chercher, mon regard ? Elle aurait pu lui donner la simple réponse, que cela avait été une manière de rendre ses propos un peu plus réels, mais elle était trop curieuse d'avoir la réponse à sa propre question.

La répartie est bonne, mais Adam est mauvais. Il insiste, capricieux et têtu. J'ai posé une question. En premier. Mais le préciser aurait peut-être insisté sur son étrange immaturité... Toutefois, il se laisse plonger dans le regard océanique de son agaçante interlocutrice. Là, il ne refuse pas. Il aime ça, voir qu'elle le regarde, profondément.

Allie passe sa langue entre ses dents, dans un mélange d'agacement et d'amusement. Le fait qu'il parvienne à créer des émotions ainsi contradictoires continue d'alimenter l'intérêt qu'il sucite en elle. Elle manque de répondre un simple parce que, au moins, il ne pourrait plus dire qu'elle n'avait pas répondu à sa question posée. Mais elle se retient, cette fois en se pinçant les lèvres. Pour que ça paraisse plus réel. Pour me laisser bercer par ton histoire. Pour me convaincre moi même que quelqu'un pourrait me manquer autant que ça. Pour me convaincre que peut être moi aussi je pourrais manquer à quelqu'un comme ça. Elle avait trop répondu, en avait trop dit, mais c'était sa manière insolente de plier à sa demande.