petites fleurs // N

Un frisson glisse sur ma peau. Les rayons du soleil ont beau caresser mon corps, j'ai l'impression d'être gelée. Je me sens aussi fiévreuse. Mes pas sont mal assurés car mon corps est agité de tremblements incontrôlables. Les larmes qui ont ruisselé sur mes joues se sont arrêtées mais elles ont laissé une trace de leur passage. Je sens, au fond de moi, cette douleur lancinante qui est à deux doigts de me faire perdre la raison. Je me sens terriblement sale. Souillée. Monstrueuse. J'ai l'impression d'être recouverte de crasse. Une crasse ineffaçable. Machinalement, tel un zombie, je m'avance vers l'étendue d'eau. Le contact de l'eau gelée sur mon corps m'arrache un frisson mais je m'efforce de poursuivre mon chemin, jusqu'à ce que l'eau me recouvre presque entièrement. Je sais qu'elle n'aura pas le pouvoir de laver mes pêchés, ni même de réparer mes erreurs. Je veux simplement qu'elle enlève de ma peau l'odeur de Draggan. Je veux l'effacer. L'oublier comme il semble m'avoir oubliée, alors qu'il m'a poussée à la faute simplement pour son propre plaisir. Et je veux aussi effacer de mes pensées Aël. Ce n'était qu'une erreur de plus. Une tentative d'oubli, un geste de désespoir. Pour oublier qu'on m'avait abandonnée, une fois de plus. Pour oublier que j'avais moi même abandonnée celle que j'aimais depuis le premier jour au profit de celui qui m'avait ensorcelée lorsque je m'étais efforcée de faire sortir Aulia de mon esprit puisqu'elle était avec Baïkan.
Il ne faut plus que je pleure. Il est l'heure de dire la vérité. Je plonge rapidement la tête sous l'eau pour effacer les dernières traces de mes larmes. Je mets de côté ma tristesse et enterre ma douleur au plus profond de mon être. Intérieurement, je ne peux rien effacer. Extérieurement, je remets ce masque que je porte depuis si longtemps désormais. Et je sors de l'eau. Il faut que j'aille retrouver Aulia maintenant.
Sauf que... Raté. Dans la précipitation, je n'ai pas fais attention à
la personne qui arrivait face à moi et je l'ai légèrement bousculée. En reculant, je me rends compte que c'est de Njörd qu'il s'agit. Oupsi. Aulia attendra, visiblement...
- Oh désolée Njörd je... J'étais dans mes pensées.

Je serre légèrement les mâchoires lorsqu'il me pose la fameuse question. Non, ça ne va pas vraiment. Pas du tout même mais je ne peux pas lui confier mes tourments. Premièrement parce que je ne le connais pas énormément et deuxièmement parce que c'est le mec de ma mère. Donc si je lui déballe tout, c'est sûr que ma mère le saura aussi. Et je n'ai pas envie qu'elle sache ce genre de choses. J'ai déjà honte de moi même, je n'ai pas besoin de sentir que mes proches ont également honte de moi. Je m'efforce donc de sourire. Un grand sourire rayonnant qui contraste avec la tristesse pleine de noirceur qui se répand en moi au fil des minutes.
- Tout va bien ! C'est une jolie journée, n'est-ce pas Njörd ?

A vrai dire, qu'il soit présent ou pas ne changeait pas grand chose pour moi. Et qu'il ne me connaisse pas ne me blessait pas non plus. Il n'est que mon beau-père après tout et c'est pas comme s'il me manquait un père.
- Tant qu'elle est heureuse... Je m'en fiche de la personne avec qui elle est, je réponds simplement.
Elle avait bien assez souffert dans sa vie et je voyais bien qu'avec Njörd elle était heureuse et épanouie alors je n'avais aucune raison de haïr cette union.
- J'ai rencontré Tehya et Aël, je lâche finalement, surtout pour meubler la discussion.
D'ailleurs, en parlant de ça... Quel curieux hasard qu'il s'agisse du fils du conjoint de ma mère...

Pour tout avouer, au début, lorsque j'avais appris que mes parents se séparaient, ça m'avait bien fait chier. Surtout lorsque j'avais remarqué le mal qu'ils se faisaient au passage, l'un comme l'autre. Des vrais gamins. Et puis, au fil du temps, le mal s'était évaporé. Et moi, j'avais de toutes façons d'autres préoccupations.
Un léger sourire s'inscrit sur mes lèvres lorsqu'il me répond qu'il va bien prendre soin d'elle. C'est bien, elle le mérite. Et puis c'est tout ce qu'elle désire au monde, d'être aimée et choyée. Alors tant mieux si elle a enfin trouvé la personne idéale pour ça.
- Dans l'ensemble, ça va.
Même si, ma foi, Tehya est largement plus intéressante que son frère. A croire que, de toutes façons, les filles sont toujours plus intéressantes que les garçons.
- J'ai hâte, je réponds sans réel enthousiasme.
Pour eux, c'est carrément une super nouvelle et je suis heureuse pour eux. Mais franchement, même si j'ai déjà un demi-frère (que je ne connais qu'à peine d'ailleurs) et bien j'ai pas forcément envie d'en avoir d'autres. Enfin bon, ça, c'est une autre histoire et puis ce n'est pas moi qui choisit après tout.

Un petit soupir m'échappe. Je n'ai pas vraiment envie de m'étendre sur ce sujet qui ne me passionne pas plus que ça. Surtout qu'une chose bien plus importante me trottine dans l'esprit. Une chose qui me tord les boyaux jusqu'à m'en rendre nauséeuse voir même carrément malade. Et je sens qu'en plus de ça, plus le temps passe et plus mon courage s'efface.
- Je me sens déjà délaissée Njörd, c'est pas nouveau. Si ça peut te rassurer, c'était déjà bien avant que tu n'arrives dans la vie de ma mère et bien avant que mes parents se séparent, je lui confie avec exaspération.
J'ai toujours détesté les adieux et je pense avoir eu largement ma dose, pour le coup. Je ne pourrais même pas tous les énumérer, tellement il y en a.
- Tu ne peux rien arranger. Personne n'y peut rien, c'est comme ça. Même moi, je m'abandonne. Alors comment je peux en vouloir aux autres de m'abandonner ? Surtout quand j'abandonne la seule personne qui a toujours été là pour moi ?
Je serre un instant les mâchoires. Je sens déjà que mes yeux brûlent mais j'empêche la moindre larme de s'installer. Je devrais sans doute abréger cette discussion.
- Et maintenant excuse moi mais je dois aller rompre avec ma petite amie.
Ma voix a légèrement tremblée. Et sans rien dire de plus, j'ai contourné Njörd pour rejoindre la jungle, là où je trouverais très certainement Aulia. Parce que malgré tout, je lui devais au moins ça. La sincérité.