what's the odd of a god that we just can't afford

Ici, dans le lieu neutre aux teintes négatives qu'est la Plage aux Quartz, Asmund vient se recueillir. Souffler. S'évader. Évacuer sa colère et sa tristesse. Face à ses proches, il prend énormément sur lui. Les choses ne semblent même pas l'atteindre. Alors qu'au fond de lui, le volcan s'agite. La lave crépite. Les parois s'écroulent. L'atmosphère devient irrespirable. Les cendres forment un nuage sombre. Il lutte. Contre lui-même.
Le jaguar progresse le long de la mer, traînant les pieds dans l'eau en observant l'horizon océanique. Le ciel est couvert et quelques goûtes pénètrent son poil. N'y prenant pas garde, l'étalon décide de continuer sa marche plutôt que s'abriter.
Asmund s'arrête net. A une quinzaine de mètres, une grande silhouette noire, squelettique et longiligne, lui fait face. Il n'a aucun doute sur son identité. Une vague de colère inonde l'entièreté de son corps. Le sang bouillonne dans ses veines. Sa respiration s'accélère. Toujours immobile, les oreilles du félin se plaquent lentement contre son crâne. Là, tout de suite, il la déchiquetterait bien. Il l'étoufferait dans le sable. Le jaguar se voit déjà se jeter sur elle. Il peine à se contrôler. Il n'a jamais ressentit autant de fureur, c'en est déconcertant. Il croit un instant que ses pulsions vont l'emporter sur la raison. Pourtant, il parvient à résister. Il ne doit pas perdre si bêtement. Il ne doit pas se jeter dans la gueule du loup. Et pourtant, c'est tellement tentant. Mais il sait Nyveèn grande guerrière et il ignore si malgré sa progression, elle le surpasse toujours. Et il ne supporterait pas d'être vaincu par la tueuse de sa sœur. Il doit être plus malin.
Après être parvenu à adopter une apparence relativement calme, l'appaloosa se dirige droit sur l'araignée. Il ne se presse pas, en profite même pour l'observer de long en large. C'est un supplice. De voir ce petit crâne tenir encore sur ce corps squelettique. Il aimerait tellement l'exploser contre un de ces morceaux de quartz qui croisent son chemin. Elle est tellement exécrable. Mais Asmund ne doit pas perdre ses moyens. L'objectif est simple : ne pas craquer avant elle. Toutefois, l'attitude de l'entier est véritablement déconcertante. Elle relève de l'imaginaire, de l'impossible. De l'absurde. J'espère que tu ne crains pas l'orage, Nyveèn. Bien entendu, sa phrase est à double-tranchant.

Il suffoque de rage. Intérieurement. D'apparence, il semble parfaitement calme. Un peu trop même. Mais ses paroles parlent d'elles-mêmes. Elles traduisent ses intentions. Un sourire orne désormais les lèvres du jaguar. Tu as raison de mettre en garde la misérable créature que tu te trouves être. La tempête risque de fracasser ton crâne incessamment sous peu. Il ne la lâche pas du regard. Son corps ne traduit aucun signe d'agressivité. Quelqu'un qui les observerait de loin pourrait croire à une banale discutions. Ce n'est que dans les yeux du jaguar qu'il est possible de lire l'impétueuse fureur qui s'est nichée en lui. Si elle se croit en sécurité, c'est une erreur stupide. Son seul bouclier au fond, c'est le sang-froid d'Asmund qui la garde, pour le moment, hors de portée. S'il la prend en chasse, rien n'arrêtera le fauve. Ni le lieu, ni le nombre, ni la mort.

Ses paroles tombent comme des lames coupantes sur les plaies morales du jaguar. Vous savez, c'est la même douleur que celle d'une brûlure au premier degré, à vif, à laquelle on frotte une moquette rugueuse. Ça vous entaille jusqu'aux muscles. Ça vous consume sans hémorragie tout en vous affaiblissant avec la même intensité. Voilà ce que ressent Asmund à cet instant précis. Il se sent faible. De ressentir de la colère. La tristesse, il l'accepte. Il la comprend, étant dépourvu de toute forme de stupidité. Mais cette colère... Comment peut-il s'en débarrasser ? Comment peut-il gagner la partie alors qu'elle lui brouille l'esprit ? Il n'aime pas ça. Il déteste ça. Pourquoi est-il soudain si vulnérable ? La ferme. Crache t-il, la mâchoire serrée. Il met quelques secondes avant de décontracter ses muscles. Elle est comme il devrait être. Calme. Insensible. Intouchable. Pourtant, il la sait de nature agressive, presque impulsive. Bien plus que lui, du moins. Mais quelle raison aurait-elle de l'être ? Personne n'a allumé l'extrémité du cigare ; elle ne peut pas être consumée par la colère. Pas avant qu'Asmund ne crée une flamme. L'espoir, l'espoir... L'as-tu déjà éprouvé ? Le seul espoir qui doit perdurer en toi, c'est celui de ne plus être violée. De ne plus être souillée, abusée comme une victime. Comment est-ce possible déjà ? Je te croyais bien plus vaillante. Se comporter si fièrement alors qu'au fond, tu es plus sale qu'un rat. Plus chétive et naïve qu'un insecte. Oh Nyveèn, quelle déception. Quelle perte de crédibilité.

Les premières futilités qui sortent en cascade de sa bouche ne l'atteignent pas. Il reste de marbre face à ses sourires, rires et autres expressions relatives à la gaieté. Elle veut l'agacer, il le sait. Elle veut la même chose que lui : pousser l'autre à bout. Le problème pour notre honorable jaguar, c'est qu'il n'a pas l'avantage. Elle a incontestablement bien moins de raisons que lui de perdre son sang froid. Mais a t-elle la même patience ? Asmund est une bombe à retardement. Il est capable de résister à beaucoup d'impacts mais lorsqu'il est prêt à exploser, rien ne peut le retenir. Aux derniers mots de Nyveèn, ses oreilles se plaquent un peu plus sur sa nuque mais sa colère ne s'intensifie pas. Il reprend le contrôle. Enfaite, pour une fois, Nyveèn est trop grossière. Pas en terme de vulgarité, mais c'est trop gros. A l'oreille de l'appaloosa, son insolence n'est pas suffisamment subtile. Il la cerne bien trop pour céder. Il voit trop clair dans son jeu. Il supposait pourtant que la force de l'araignée résidait là-dedans. Visiblement, en s'enfonçant, la douleur est plus supportable pour l'entier. Il se redresse ; ses muscles se sont légèrement détendus et son visage n'est plus crispé. Il retrouve son calme élégant et toise la noiraude de toute sa hauteur. Non, elle n'est plus. Mais moi si. Et toute sa famille aussi. Tu ne sauras malheureusement jamais ce qu'est, au sens propre, la famille. Tout ce que tu apprendras de ce mot, c'est la cruelle vengeance d'une famille lorsque quelqu'un touche à l'un des leurs. Ma pauvre Nyveèn ; tout ce que tu construiras, nous le détruirons.

Mais le grand étalon reste impartial. Elle ne lui apprend rien. Gaya est morte. Les morts ne reviennent jamais. Il n'y a que dans votre folie qu'ils viennent vous rendre visite. Et sur ce point là, Asmund est terre à terre. Il s'est résigné à la vérité. A l'implacable destin de sa sœur. C'est pour toujours qu'elle les a quittés. Rien ne la ramènera, en effet. Mais ta démence ne restera pas impunie. Et même si tu crois ne rien posséder Nyveèn, tu détiens quelque chose auquel tu tiens beaucoup. Le jaguar s'approche lentement sans quitter la vile créature des yeux. Elle est si méprisable, si écœurante. Il la trouve détestable ; carrément misérable. Elle ne l'impressionne pas, ne l'effraye pas. Tout ce qu'elle lui inspire, c'est la mort. La puanteur d'un chacal, la gourmandise d'un vautour. Un pauvre charognard qui n'a que la peau sur les os. Ta vie. Il se redresse, le visage à quelques centimètres seulement de celui de la jument. Un rictus tord ses lèvres. Tu donnes la mort mais tu es terrorisée à l'idée de rejoindre le tombeau qui t'es dû. Il lui souffle au visage. Ta mort, nombreux la désirent. Et particulièrement moi. Alors profite des quelques instants de vie qu'il te reste.

Mais Asmund reste impassible face à l'assurance de Nyveèn. Lui, sait. Elle, ignore. Ce qu'elle n'a pas, c'est la rage. La famille. L'amour. Ces trois choses qui permettent de gravir des sommets. Ces trois choses qu'ils utiliseront contre elle. Pour la torturer, la détruire, une bonne fois pour toute. Crois ce que tu veux Nyveèn, mais tu ne seras jamais en paix tant que nous serons là. Il se redresse et fait quelques pas en arrière avant de se retourner. Au moins, elle est prévenue. L'étalon s'éloigne, serein, rassasié.

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