Watch me make 'em bow one by one by one ▬ A

Lentement, l'astre diurne entame sa longue course dans le ciel. Il réchauffe chaque morceau de terre que ses rayons effleurent. Petit à petit, le monde semble reprendre ses couleurs. Bientôt, la lune et les étoiles s'effacent du ciel. Un petit vent se lève, emportant avec lui une multitude d'odeurs. Ces terres m'avaient manquées, ces derniers mois. Pourtant, en revenant, j'avais fait le choix de ne pas revenir immédiatement sur Luanera. Je m'étais orientée vers l'île de la Tribu. Non pas parce que je comptais y adhérer mais simplement par curiosité. D'ailleurs, au loin, j'arrive à apercevoir la falaise brumeuse, terre appartenant aux Wiha.

( Ça me va tellement bien )

Une question tourne en boucle dans mes pensées. Est-ce que mes parents sont encore là ? Est-ce que mon père est toujours sur la terre des Wiha, quelque part derrière cette falaise que je haïs autant que j'adore ? Et ma mère, est-elle encore chez les Nilaak en compagnie de Njörd ? J'imagine que oui. Et que sont devenus mes démons de petit frère et petite sœur ? Le souvenir de Balsamine me fait doucement sourire. Elle est tellement attendrissante. Je me demande à quoi elle ressemble désormais.
Le vent se lève et m'apporte une odeur que je connais que trop bien. Les battements de mon cœur deviennent incontrôlables alors que je prends le temps de me retourner. Là, elle m'apparaît, encore plus belle que dans mes souvenirs, sa robe rouanne mise en valeur par la faible - mais chaude - lumière de l'aube. Et cette simple vision me donne l'impression que les rayons du soleil levant transpercent mon poitrail pour enflammer mon cœur.
Je n'ose pourtant pas m'approcher ; je préfère que ce soit elle qui décide.

Beaucoup de personnes devaient penser que j'étais partie vivre dans une nouvelle contrée, loin d'ici. Loin d'eux. Un nouvel endroit pour une nouvelle vie. La possibilité de tout reprendre à zéro. Ce ne fut pas le cas. Durant cette petite année d'absence, j'ai voyagé. Je ne me suis pas contentée de m'éloigner d'ici pour poser mes bagages dans un petit coin de paradis que j'aurai choisi. En fait, j'ai simplement exploré le monde. Jusqu'à ce qu'un petit détail me rappelle à l'ordre et me fasse changer d'avis concernant mes projets d'avenir. C'est ce petit détail qui m'a fait revenir ici, sur les terres qui m'ont vue grandir.
Le silence s'éternise. Il est assourdissant tant il est implacable. Je la laisse se rapprocher, sans mot dire. Je la laisse prendre tous les devants. Je la laisse prendre toutes les décisions qui doivent être prises.
- Qui sait. Peut-être ne suis-je que de passage. Ou bien un fantôme du passé, répliqué-je, infaillible à mon tour.

Entendre ce rire, si doux, si mélodieux me fait du bien. J'aurai bien aimé l'entendre plus souvent rire. Même si, dans le cas présent, ce n'était pas spécialement très glorieux pour moi de l'entendre rire. Je ne m'en sens pas blessée, quoiqu'un peu vexée. Une couche de glace invisible me tombe dessus. L'atmosphère est loin d'être aussi chaude que le soleil matinal. J'esquisse pourtant un sourire, un peu pincé. Pourquoi avais-je espéré ? Le mystère reste entier.
- Ce n'est pas mon chez moi qui me manquait, rétorqué-je simplement en esquissant un pas vers elle.

Mon sourire pincé se transforme en sourire amusé. Est-ce que quelqu'un me manquait ? Evidemment que oui. Beaucoup de personnes me manquaient, même celles qui n'auraient pas dû. Le cœur est un organe idiot, que voulez vous.
- Peut-être. A défaut de manquer à quelqu'un, je lance, narquoise.
Ce n'est pas une jérémiade lancée pour qu'elle me plaigne. C'est simplement ce que j'imagine. Parce que de toute évidence, tous ceux qui m'ont abandonnée un jour ne sont jamais revenus, eux.

Je lève les yeux à mon tour.
- Détends-toi Aulia, ce n'était qu'une blague.
Il n'y a pas de quoi faire un drame. Ce qu'elle pensait être une plainte n'en était pas une. J'avais dépassé le stade de l'auto-apitoiement depuis bien longtemps maintenant.
- Ma mère est un cœur d'artichaut. Tout le monde pourrait lui manquer, même le voisin, je réponds en rigolant doucement.
Je sais pourtant que je lui ai brisé le cœur en partant. Mais elle a comprit, comme toujours. Parce qu'elle était passée par là, elle aussi.
- Tu sais si mon père est toujours là ? Je demande finalement.
Question logique, puisqu'elle a parlé de ma mère mais pas de mon père.

Je garde moi aussi un douloureux souvenir de notre dernière entrevue, sur la plage de sable noir. Je lui avais fait part de mes regrets, de ma culpabilité mais aussi de mes faiblesses. De ma faiblesse. Les larmes avaient coulées, autant de son côté que du mien. La douleur que j'ai ressentie ce jour-là en la laissant partir est restée intacte. Je la ressens encore au fond de moi. Elle est encrée, elle fait partie de moi. Je ne regrette pas vraiment le choix que j'ai fais en décidant de la laisser partir mais il ne m'a pas soulagée. Il m'a même blessée, et c'était un juste retour des choses. Ce jour-là, mon cœur s'est brisé pour de bon, lorsque j'ai libéré le sien. Par amour.
Un léger soupir m'échappe lorsqu'elle me dit qu'elle ne saurait me dire pour mon père. J'aurai aimé le voir mais ce n'est pas si grave... Il y a pire dans la vie.
- J'ai voyagé. Naïvement, j'espérais tomber sur quelques têtes connues, mais ça n'a pas été le cas. J'ai mené une vie de solitaire, ce n'était pas inintéressant même si c'était parfois ennuyant, je réponds. Et toi alors ? Je demande avec curiosité.
Dans le fond, j'ai un peu peur d'entendre sa réponse. Et si j'en avais eu la possibilité, j'aurai sans doute fuis la discussion, mais je m'étais promis d'être plus mature que jadis. Alors j'ai fais l'effort de me comporter en temps que tel.