Déesse Cléopatre //F//

Fiona venait tout juste d'intégrer le nouveau peuple du désert. Elle n'avait pas encore tout à fait pris ses marques mais elle faisait tout son possible pour s'intégrer. La petite jument au ventre rond arpente les allées du labyrinthe en s'émerveillant devant la beauté des gravures sur les murs. Ici, il faisait ni trop chaud, ni trop froid, ce serait l'endroit parfait pour élever son poulain.

ASZIO

Lui aussi arpente la pyramide. Il veut la connaître comme sa poche ! En apprendre chaque recoin, chaque virage, savoir en sortir les yeux fermés ! Mais pour le moment, il ne fait que s'y perdre. Il faudra qu'il demande à son père. Il continue sa petite exploration quand au détour d'un couloir, il tombe nez à nez avec une jument. Elle porte leur odeur, elle doit être de la famille, pas de doute ! Mais il ne l'a encore jamais vue. Alors qu'il va la saluer, il fixe son ventre rond avec une drôle d'expression. Une angoisse légère passe dans ses yeux et se change en fantôme. Sévère, il lui lance : Ça porte malheur, vous savez ! de sa petite voix enfantine.

Fiona est tellement prise dans ses pensées et ses projets d'avenir qu'elle manque de justesse de bousculer un poulain. " Excuses moi, je ne t'avais pas vu. " dit elle en se confondant en excuses immédiatement. La réponse du poulain est quelque peu... surprenante. Tant et si bien que la jument crois avoir mal entendu. " Pardon ? " dit elle pour l'inciter à s'expliquer davantage.  

Quand il la fixe enfin droit dans les yeux, il la reconnait. Elle était là ! Ce jour. Ce jour maudit. Encore plus remonté, il se dresse devant elle sur ses petits membres encore fragiles. Vous savez très bien de quoi je parle ! s'exclame-t-il d'une voix aiguë.

Fiona met de longues secondes à comprendre, elle fronce légèrement les sourcils. Son ventre effleure légèrement les couloirs étroits de la pyramide, c'est seulement à cet instant qu'elle réalise. " Aszio... " souffle t elle d'une voix douce. Elle réfléchit longuement, mais ne sait pas quoi dire pour apaiser la colère du petit. Comment réussir a effacer la peine d'un poulain si jeune et déjà orphelin de sa mère. Rien que de repenser à ce douloureux souvenir, son coeur se serre.  

Il baisse les yeux sur le sol de la pyramide, cherchant presque les traces de sang qui seraient encore incrusté là où la pluie ne peut pas le déloger. Ils ont dû avoir du mal à nettoyer, d'ailleurs. C'était.. c'était là, vous ne pouvez pas faire ça ! Il ne se rend pas compte que sa colère est illégitime, il ne la contrôle pas.

Fiona à le coeur meurtri devant la douleur de Aszio qu'elle ne peut calmer. Cette colère, il faut qu'il l'expulse, ce n'est qu'en extériorisant qu'il parviendra à trouver un équilibre. Patiente, Fiona inspire lentement et baisse la tête pour se mettre à sa hauteur. " Aszio.. mon petit doit naître. Je ne peux pas le garder toute sa vie dans mon ventre. " dit elle prudemment. " Mais ne t'inquiètes pas, je ne donnerais pas naissance ici... " Comme ça ils n'auront pas à revivre ça si par malheur ça se passe mal. Elle avait choisit la clairière d'iris, un endroit isolé et calme. Sa seule crainte restait les prédateurs, mais elle était prête à courir ce risque pour épargner les jumeaux.

Ben pourquoi pas ? Puis, il repense aux mots d'Aulia et un frisson glacial ébranle sa petite échine. Aulia dit.. dit que son bébé est mort dans son ventre. Tu vois, y a toujours des morts ! Et si ton bébé meurt,tu feras comment, hein ?! Il crie toujours, sur la défensive, comme s'il était face à un ennemi.
C'est un peu ça. L'ennemi, les souvenirs. Et leurs fantômes sont là, faits de sons et d'odeurs, d'images floues qui remonteront plus tard à son esprit.

Fiona baisse les oreilles, bien embêté. Puis une idée lui vient. " Il n'est pas mort, regardes approches. " Elle l'invite à venir coller son oreille contre son ventre pour qu'il puisse entendre le coeur du bébé battre. Peut-être même qu'il donnera un petit coup de pied pour montrer sa vivacité. Elle espérait réussir à apaiser ses craintes, et calmer la colère qui hurlait en lui.  

Aszio obéit. Et il l'entend. Mais face à ce son rythmé, loin du soulagement, la colère ressurgit, plus violente encore. C'est.. c'est injuste ! Pourquoi le tien vit et le sien est mort ? Pourquoi sa maman à elle vit et la mienne pas ?! C'EST INJUSTE ! hurle-t-il à s'en briser la voix. Les larmes guettent à ses paupières qui papillonnent, vite, il lui faut un replis. Il fonce tête baissée dans la pyramide qu'il connait par coeur. Là où il est né, là où sa mère est morte. Là où naissance et mort se complaisent, là où il se sent autant en sécurité qu'en panique totale. Il s'enfonce dans les couloirs, la vue brouillée par le chagrin, la tête pliée par un étau féroce.

Sa petite expérience n'a pas l'effet escompté, pire, elle le met dans une colère inouïe. Alors qu'il s'enfuit dans la pyramide obscure, Fiona tente de le suivre mais il est trop rapide et elle, elle est trop ralenti par ses flancs ronds. " Aszio reviens ! " dit elle, essoufflée. Elle trotte quelques minutes mais s'essouffle vite et est obligée de repasser au pas. Plusieurs couloirs se présentent à elle, comment savoir lequel il a emprunté ? Elle ne peut pas se guider avec son odorat car le lieu est trop poussiéreux, elle ne peut compter que sur son instinct et choisis le chemin de droite. " Aszio... où es-tu ? " appelle t elle d'une voix douce, naseaux arrondis, nez au ras du sol pour tenter de déceler sa trace.  

Il l'entend l'appeler mais il ne ralentit pas. Il ne voit pas vraiment où il va, les yeux embués de larmes et pourtant, il sait parfaitement où il se trouve et comment ressortir de ce labyrinthe traître. Il finit par ralentir, pensant l'avoir semée, sans savoir vraiment pourquoi il s'est enfuit de la sorte. Mais il entend rapidement sa voix, son instinct l'ayant bien guidée. Il se tasse sur lui-même, immobile contre une paroi, comme s'il espérait se fondre en elle. Je suis pas là ! répond-il en fermant les yeux, pensant naïvement comme tout enfant que s'il ne la voit pas, elle ne le verra pas non plus.

Fiona continue de errer. Après plusieurs minutes sans aucun résultat, la jument s'adosse à un mur en soupirant doucement. Il avait bel et bien réussi à la semer. Malgré sa patience infinie, Fiona abandonne ses recherches en se disant qu'il valait peut-être mieux ne pas insister. Ne pas le suivre contre sa volonté. Elle ferme les yeux doucement, collant son front à la pierre froide pour se ressourcer. C'est alors qu'une petite voix triste ré-apparaît non loin d'elle. Le petit c'était caché dans une alcôve étroite à l'abris des regards. Ses oreilles se relèvent doucement et un espoir renaît dans ses prunelles rondes. Son instinct maternel est trop fort pour qu'elle puisse laisser un petit poulain pleurer seule sans rien faire. Elle s'approche doucement et laisse ses naseaux glisser dans l'étroite fissure jusqu'à atteindre Aszio. Elle l'effleure doucement, une caresse douce et délicate, sans rien dire. Parfois un simple geste réconforte bien mieux qu'un long discours.  

Si elle avait parlé, sûrement se serait-il encore plus braqué. Il n'en peut plus des paroles des grands destinées à le réconforter et qui, au contraire, le plongent toujours dans un sentiment de révolte et d'injustice. Il reste de dos à elle mais accepte la caresse et ferme les yeux, respirant profondément pour se calmer. Il aimerait s'excuser mais sa fierté et son manque de contrôle de lui-même l'en empêche et l'aveugle, incapable de voir qu'elle n'est pas fautive dans cette situation. Il finit par soupirer et recule pour sortir du petit trou dans lequel il s'était caché mais... Je suis coincé.

Fiona continue de câliner doucement l'enfant. Il est d'abord réfractaire et tendu, mais au fil des caresses, elle le sent se détendre peu à peu. Le poulain décide même de sortir de sa cachette, le seul soucis c'est qu'il est entré dans un trou aussi étroit qu'un terrier de renard. Le voila coincé. " Ne t'inquiètes pas, si tu as sût entrer, tu sauras ressortir. Laisses toi guider. " dit elle sans se départir de son calme. Elle prend délicatement un postérieur de Aszio et l'aide à passer la petite butte rocailleuse qui le bloque. Petit à petit, le poulain commence à se décoincer.