to be a Leonfrost

Il n'est plus aussi résistant au froid qu'il ne l'était quand il vivait au Nord, il le savait et ça le frustrait. Mais son aisance sur la neige n'a jamais changé au fond. Il adorait son lagon, mais le froid lui manquait. Il s'en rendait d'autant plus compte maintenant qu'il venait plus souvent ici. Comme si c'était un des endroits sur lesquels il avait plus de chances de la sentir. Il avait besoin de se réconforter en se disant qu'une partie d'elle était toujours là, comme elle l'avait dit.
Ses oreilles se redressèrent et il arrêta sa marche quand il entendit des bruits de pas crisser non loin de lui. Il plissa des yeux, comme si ce qu'il voyait était impossible. Redjim ?

Le silence qui s'installa entre eux ne le mit pas mal à l'aise, comme si ça leur laissait le temps de se faire au choc des retrouvailles. Après toutes ces années, Red était le dernier qu'il pensait croiser ici. Et pourtant ça faisait tellement de sens. C'est cool que tu sois revenu. dit-il finalement, un fin sourire aux lèvres. Malheureusement, il était arrivé trop tard. Qu'est-ce que ça te fait de remettre les pieds parmi nous ?

Le noiraud haussa un sourcil. Il conserva à nouveau un petit silence, ne sachant pas trop quoi répondre en fait. Il n'était pas vraiment étonné par cette réponse, mais ça n'ouvrait pas grand porte à la discussion. Probablement parce que Redjim n'en avait pas vraiment envie. Est-ce que ça décevait le grand noir ? Peut-être un peu. Parce qu'il avait l'impression que tout le monde qu'il avait un jour connu partait et que revoir une tête connue le rassurait un peu, bien qu'ils n'aient pas été bien proches. Il tenta un petit sourire poli. Pourquoi t'es revenu ? Cette fois, il était plus direct. Ils avaient évité le sujet sensible, mais Njörd l'imposait volontairement, ne voulant plus prendre d'inutiles détours.

C'était comme ça que ça devait se passer, de toute façon. C'était inévitable.
Il ressentit un étau se resserrer autour de son coeur alors qu'il s'efforçait de garder la tête haute, de ne pas baisser les yeux, de ne pas craquer. Il sentit sa mâchoire se crisper, ses dents se refermer contre sa langue et l'intérieur de ses joues, invisiblement. Sa respiration se saccada à la simple vue des émotions de l'isabelle. Aucun nom n'est mentionné et pourtant, il sait. Parce que c'était évident. Oui. Il se sentit lui-même sur le bord de tomber, comme si ses jambes tremblaient alors qu'elle ne bougeaient pas du tout. Le dire à voix haute, le confirmer à quelqu'un, ça ne faisait que le rendre réel. Il ne la verrait plus jamais, ne pourra plus jamais discuter avec elle de tout et de rien. Elle ne pourra plus jamais le disputer pour les conneries qu'il faisait. Mais si c'était si dur pour lui, il ne voulait même pas imaginer la douleur de l'isabelle. Il savait à quel point ils avaient été proches, Lov et lui. Et ça ne s'était que confirmé lorsque le dernier nom que Lov ait prononcé, dans son dernier souffle, était celui de son frère aîné. Njörd resta silencieux un long moment, pour se calmer lui-même et pour laisser Red encaisser. Sa réponse avait été brève et franche, mais il n'avait pas su quoi dire d'autre que la vérité. Mais soudain, une lueur nouvelle illumina ses yeux, à travers toute la tristesse qui s'y trouvait. J'aimerais te montrer quelque chose, si tu veux bien me suivre.

Loin de lui l'idée de vouloir le blesser davantage, de vouloir le décevoir encore plus. Il savait que sa seule réponse l'avait blessé, mais il savait également qu'il n'y pouvait rien. S'il avait pu décider, Lov serait encore en vie, élevant ses jumeaux avec Asmund, baignant dans le plus grand des bonheurs. Mais ça ne s'était pas passé comme ça.
L'ombre se détourna en lui faisant un petit signe de la tête pour qu'il le suive alors qu'il lui montrait le chemin. Ce n'était pas grand chose, ce qu'il voulait lui montrer, mais si ça pouvait lui donner ne serait-ce qu'un brin de réconfort, ça serait déjà ça de gagné. En silence, il marcha à travers le désert de neige, ne s'arrêtant qu'à un endroit pour le moment. La statue. Ce n'était qu'une partie de ce que l'ébène voulait présenter, mais il voulait qu'il voit aussi. C'est Asmund qui l'a faite. Son regard se posa sur le doré, lui laissant le temps de se recueillir auprès de la statue s'il le voulait. Et cette structure de glace était la preuve de l'amour sincère et intense du jaguar pour la lionne. Un respect pour sa mémoire, afin que tous ceux qui étaient proches d'elle puissent se recueillir.

Il était déjà venu ici, plusieurs fois. Et pourtant, ça lui faisait toujours le même effet, la même impression. Le vent mordant qui lui fouettait le visage, le froid qui pénétrait sa peau et le saisissait... Il avait l'impression que Lov était retournée là où elle appartenait, en tant que statue. Parce qu'elle est l'esprit du Nord.
Le noiraud respectait le silence de Redjim et en profita lui aussi pour faire danser ses yeux sur la sculpture de glace figée pour l'éternité. Bien que le fruit de l'union entre le Tsöldur et la Leonfrost avait causé la perte de cette dernière, il était sincèrement heureux qu'elle fut aussi entourée. Il n'y avait pas de doute là-dessus, elle avait été heureuse. Et d'un côté, il aimait que son dernier souvenir d'elle fut celui d'une jument rayonnante de bonheur. Comme si elle avait enfin arrêté de courir pour marcher plus tranquillement et apprécier le paysage.
Njörd reprit sa marche au signal de l'isabelle, toujours muet. Leurs pas faisaient crisser la neige jusqu'à ce que finalement, au bout d'un long moment, leurs sabots touchèrent le sol, la terre. Une faible neige s'était accumulée mais on pouvait toujours sentir l'herbe gelée sous ses sabots. La marche fut longue, mais ils arrivèrent finalement là où il voulait amener le doré. Un arbre. Un grand arbre. On l'appelle l'Arbre des Âmes. La légende raconte que ce saule attire les esprits des défunts. souffla-t-il. Et parfois, j'ai l'impression de la sentir ici. Effet placebo ou réalité, qui sait ? L'important c'est qu'il trouvait la paix ici, sans savoir pourquoi, et qu'il venait se recueillir ici quand il en sentait le besoin. C'était rassurant.

L'étalon noir laisse son regard dériver sur le paysage. À cinq minutes de marche, ils pourraient arriver au lagon, que l'on peut deviner à travers les autres arbres. La brise qui souffle ici est plus chaude, du moins, moins glaciale. Le vent qui filtre entre les branches sonne comme un doux murmure que l'on ne saurait pas décrypter. Lunaera est un pays spécial. répondit-il pour toute réponse. Avec la source de l'île et cet arbre, ce n'était même pas une affirmation à contester. Njörd s'approche de l'arbre et se glisse sous ses branches, loin d'avoir peur, presque habitué à la présence des esprits.
Il y était venu souvent.