You set the rain on fire ▬ A

Depuis l'orée du bois, j'observe cette pluie torrentielle tomber du ciel. C'est un véritable déluge. La pluie tombe avec une telle vitesse que la terre n'arrive même pas à l'absorber. Dans la clairière, les fleurs ploient sous le poids des gouttes devenues trop nombreuses. Et malgré le déluge, je choisis de quitter le couvert des arbres pour m'avancer dans la clairière. La caresse de la pluie n'est pas tant désagréable, finalement.

Une par une, les gouttes de pluie glissent sur mon corps. Elles s'infiltrent au fil des minutes, jusqu'à venir lécher ma peau. Leur fraîcheur me fait légèrement frissonner. Peu méfiante - et sans doute trop absorbée par mes pensées - je ne réalise même pas qu'on m'a suivie. C'est uniquement lorsqu'une voix masculine, douce et charmante, s'élève derrière moi que je réalise que je ne suis plus seule. Et cette voix... Elle me déstabilise. Les yeux mi-clos, j'imagine une imposante silhouette grisonnante. Un frisson me traverse et je rejette aussitôt cette image. J'ouvre de nouveau les yeux. Le retour à la réalité m'en semble presque brutal. Mon regard glisse finalement jusqu'au mâle bai et l'esquisse d'un sourire glisse sur mes lèvres.
- Tu es devenu un bien charmant étalon, je souffle en me tournant enfin vers lui.

Mon mince sourire se transforme finalement en un vrai sourire.
- Ravie de l'entendre, je souffle avec malice. Oui, parce que ça flatte l'ego. Et puis, c'est toujours plaisant à entendre.
L'averse se transforme petit à petit en bruine avant de s'arrêter pour de bon. Un rayon de soleil ose même traverser l'épaisse couverture nuageuse pour venir répandre sa lumière sur la clairière fleurie. Mon regard clair se fait curieux lorsqu'il m'avoue avoir une question à me poser.
- Je t'écoute. Quelle est cette question ?

Je l'observe attentivement. Les traits de son visage se font plus graves, lui donnant un air bien plus sérieux. Un peu plus et je me serais crue en pleine assemblée politique. La question finit par tomber et, bizarrement, je m'y attendais un peu.
- Non. La dernière fois où je l'ai vu, c'est à la naissance d'Azel, je réponds.
Je ne sais pas trop si je me sens en colère ou triste. Peut-être un peu des deux. Avec les années qui sont passées, mes sentiments se sont atténués. J'ai finis par accepter la situation. Sa disparition. Son abandon. Sa lâcheté.
- J'ignore la raison de son départ. Même lorsque j'attendais Azel... Il n'a pas été présent. Je ne sais pas ce qui l'a poussé à s'éloigner. Enfin... J'imagine qu'il avait ses raisons.
Peut-être qu'Orion avait eu les mêmes raisons de partir. Après tout... Ils avaient tous les deux disparus une fois que je m'étais réellement attachée à eux. Mais Orion, lui, il ne m'avait pas abandonnée alors que j'attendais son enfant. Mais si ça avait été le cas, peut-être l'aurait-il fait, lui aussi ?

De mon côté, je n'espérais plus rien le concernant. Mes espoirs avaient fanés, en même temps que les dernières germes de mon amour. J'avais fait le deuil de notre relation. L'acceptation avait été longue et douloureuse. D'autant plus qu'avant lui, j'avais déjà énormément perdu. Il m'avait fait perdre Aulia. Tout ça pour disparaître quelques mois plus tard. Alors, rien que pour ce fait, je n'espère pas son retour sur Luanera. Au contraire, j'espère plutôt ne jamais le revoir.
- J'imagine qu'il est parti loin d'ici pour tout recommencer à zéro, je réponds simplement.
Beaucoup d'autres avant lui avaient fait ça. Même moi, j'avais voulu le faire.
- Est-ce qu'Azel va bien ? Je finis par lui demander.
Notre dernière entrevue avait tourné court et elle m'avait clairement fait comprendre qu'elle ne voulait plus me voir. Ce qui était compréhensible. Nous étions tout simplement incapables de nous aimer.

Ce n'était qu'une hypothèse parmi tant d'autres. Dans le fond, je me fichais bien de son devenir. Qu'importe la raison pour laquelle il a décidé d'abandonner ses enfants. Il les a abandonnés et c'est impardonnable.
Ma question l'a déstabilisé, je l'ai vu. Je me sens un peu honteuse de devoir quémander des nouvelles d'Azel à Horus. Mais c'est plus fort que moi. J'ai besoin de la savoir en bonne santé et heureuse.
- Merci.
Pour tout. Pour veiller sur elle, surtout. Et... Pour l'aimer. Pour lui offrir ce que, de toute évidence, je ne peux pas lui offrir.
- Elle a de la chance de t'avoir.
Moi aussi, plus jeune, j'aurai adoré avoir un frère ou une sœur. J'en avais eu un. Un demi-frère. Pourtant, jamais aucun lien ne s'était établit entre nous. Alors, dans le fond, peut-être que le problème, c'était moi ?

On m'avait régulièrement dit que j'étais une bonne comédienne. Peut-être que c'était réellement le cas. En tous cas, je n'avais jamais eu de mal à cacher mes sentiments. Ni mes peines et douleurs. De toutes façons... Suffisait de sourire et de dire "je vais bien" pour que les autres y croient.
Un sourire renaît sur mes lèvres. D'un côté, je me sens rassurée d'avoir comme un point d'accroche à Azel, via Horus. Au moins, je ne perdrais jamais réellement contact avec elle.
- Parce que je suis une mauvaise mère, je réponds sans chercher à m'en cacher. Et... Je n'ai pas d'excuse mais le problème, c'est que je n'étais pas prête à assumer ce rôle et les responsabilités qui y étaient liées. Pas si jeune. Et encore moins avec le cœur brisé, je rajoute finalement, après quelques secondes d'hésitation.
Et il pouvait me juger pour ça. Il ne sera pas le seul.

La majorité aime juger - parfois même sans connaître l'histoire dans son intégralité - alors ça ne m'aurait pas réellement choquée qu'il en fasse de même. Pourtant, il ne semblait pas le faire, ce qui était assez... Rafraîchissant, il fallait bien l'avouer.
- J'ai déjà essayé de lui expliquer lorsque je suis revenue mais elle m'a clairement fait comprendre que je n'avais pas ma place ici. Je ne lui en veux pas... A sa place, j'aurai certainement agit de la même manière, je réponds avec lassitude.
Il avait pourtant raison ; ça ne pourrait pas être pire. Ou peut-être bien que si...
- Je n'ai pas envie de continuer de me battre avec elle. Je... Je n'en ai plus la force, je rajoute finalement avec un petit soupir.