Un nouveau lever de soleil sans toi ▬ A

Pourtant, bien qu’il était encore très tôt, Aulia était déjà là. Elle n’était pas rentrée au camp de la nuit, préférant être à distance des siens pour réfléchir. Elle avait senti un poids dans sa poitrine, un étau autour du coeur. Et c’était pour ça qu’elle était là, devant un arbre qu’elle avait dénudé de ses branches basses, pour évacuer sa peine, sa rage. Les larmes avaient mouillé son visage alors qu’elle avait laissé la tempête qui ravageait son âme et son coeur sortir. Un hurlement rageur fendit l’air, un cri qui décrivait tous ses tourments avec une meilleure précision que les mots. Et tout ça, sans avoir remarqué la présence d’Absinthe.

Elle était comme plongée dans une bulle ou rien d'autre, personne d'autre n'existait. Elle était comme seule avec ses sentiments, avec ses peines et ses frustrations. Avec ses blessures sanguinolentes aussi intérieures qu'extérieures, ses antérieurs étant tout égratignés. C'était comme si elle était au coeur d'une tornade et que personne d'autre ne pouvait l'atteindre. Ses sens n'étaient plus focalisés sur ce qui l'entourait. Et elle ne s'attendait pas le moins du monde à ce que quelqu'un soit auprès d'elle. Elle ne sursauta néanmoins pas, le visage inondé de larmes, et se jeta sur la personne près d'elle, mais pas dans un but offensif. Elle s'agrippa à la palomino son visage lové contre son épaule, pleurant contre elle. Mais à vrai dire, elle ne l'avait pas vraiment reconnue. Tout le monde me fait mal de toute façon.

Dans sa détresse, le simple fait d'avoir un corps contre elle, d'avoir une chaleur extérieure contre sa peau l'apaisait. Ça lui donnait l'éphémère et fausse sensation de ne pas avoir été complètement abandonnée par les autres. Ça aurait pu être n'importe quel inconnu que ça lui aurait fait ça, du moment que l'autre ne se montrait pas hostile. Et alors que la personne qui la soutenait restait immobile, sans rien faire de plus, la rouanne finit lentement par calmer sa respiration. Elle resta sans bouger pendant quelques instants pour laisser le temps à ses idées de s'éclaircir, pour laisser les ténèbres se dissiper, s'enfuir de son coeur. Ses sens lui revinrent lentement et elle fit quelques pas vers l'arrière, avant de relever un regard honteux vers son interlocutrice. Et le temps d'une fraction de seconde, son coeur cessa de battre. Le souffle coupé elle reste bouche-bée, les lèvres entre-ouvertes mimant quelques mots nébuleux qui ne semblaient pas vouloir s'articuler. Elle n'avait pas réalisé que c'était elle. Le choc aurait pu être suffisant pour la replonger dans une crise, mais Absy l'avait assez vue dans cet état-là, elle devait être plus forte que ça. Je... Je suis désolée, Absinthe, je voulais pas te déranger. Désolée... Le malaise s'infiltra peu à peu dans son estomac pour le lui tordre, honteuse et tendue. Ce n'était pas la revoir qui la faisait se sentir comme ça, mais plutôt le fait de s'être montrée si vulnérable devant elle.

Elle ravala difficilement sa salive, avant de s'ébrouer pour tenter de dissiper son mal être qui persistait. Elle s'en voulait de lui avoir infligé ça, de s'être montrée comme un fardeau pour les épaules de la palomino, qui n'avait aucunement demandé à gérer une crise d'Aulia. Cette dernière plissa des yeux en la voyant s'en aller. Ça lui laissait un goût amer dans la bouche et son intuition lui dictait de ne pas la laisser filer comme ça, ou alors elle le regretterait. Elle se racla la gorge et rejoignit la dorée en quelques pas, sans vraiment trop réfléchir. Hum... T'as pas l'air trop dans ton assiette toi non plus... Mieux vaut que tu ne rentres pas seule. fit-elle, comme timide, intimidée par la présence de la jument.

Aulia se força à détendre ses muscles alors qu'elle marchait aux côtés d'Absy, une bonne distance les séparant. Il était difficile pour elle de ne pas penser à la douleur qui lui avait transpercé le coeur quand elles s'étaient laissées, c'était difficile de ne pas penser à ce sentiment de trahison qui l'avait envahie. Mais elle faisait de son mieux pour voir au delà de tout ça. C'est drôle comment t'as réussi à glisser deux mensonges dans seulement trois phrases. fit-elle, essayant d'adopter un ton léger, fidèle à elle-même, alors qu'elle avait du mal à savoir qui elle était. Éternelle adolescente encore en quête d'identité. Mais c'est vrai, je suis pas obligée de rester. Sauf que j'vais pas te laisser toute seule non plus.

La réplique d'Absinthe sembla lui trancher les oreilles et elle baissa les oreilles. Elle ne savait pas trop comment réagir à ça en fait. Parce que oui, elle trouvait un peu amusant qu'elle le dise d'elle-même en fait, mais ça lui faisait tout de même de la peine de l'entendre dire ça à haute voix. Mais le remerciement de la dorée lui fit retrouver un semblant de sourire, osant relever ses yeux noirs de jais vers ceux océaniques d'Absy. Elle se souvenait que c'était une des choses qui lui avaient plu physiquement chez elle, son regard bleu qui semblait transpercer son âme pour y lire tous les secrets qu'on avait à cacher, mais aussi pour témoigner le fond de sa pensée. C'est rien. Je veux bien me faire pardonner d'avoir été un fardeau, aussi. fit-elle en haussant une épaule. Dans leur relation autant qu'il y avait cinq minutes. Parce qu'une infime partie d'elle n'était pas capable de s'enlever de la tête que si elle l'avait trompée, c'était parce qu'Aulia n'avait pas été assez bien, assez belle, suffisante. Et c'était cette même infime partie d'elle qui n'avait toujours pas complètement tourné et oublié la page de leur relation. Même si la rouanne était quelqu'un de plutôt confiante et qui vivait dans le présent, c'était une faille par laquelle les ténèbres n'hésitaient pas à s'infiltrer quand elle était vulnérable.

Pourtant, elle n'était pas un monstre aux yeux de la rouanne. Elle était une personne qui lui avait fait du mal, certes, mais l'amour pouvait avoir des chemins et des tournures bien étranges, inexpliquées. Ça n'excusait pas pour autant les cicatrices qui maculaient le coeur de la guerrière, mais ça ne rendait pas non plus Absinthe monstrueuse. Les histoires de romance étaient compliquées, parfois bien tristes. Mais c'étaient des choses réelles et, sans dire normales, elles étaient courantes. Aulia aurait aimé que leur histoire n'aie pas pris cette tournure, mais ça avait été hors de son contrôle. Sa confiance avait été brisée là où elle n'était pas certaine que ça puisse se réparer. Mais elle n'était pas un monstre pour autant. C'était juste... La vie. Et l'amour.
En entendant les mots de la palomino, Aulia avala sa salive à nouveau, sentant que la conversation à coeurs ouverts arrivait. Mais à quelque part, elle avait espéré qu'elle vienne, tôt ou tard. Qu'elles puissent s'expliquer, essayer de faire la paix avec le passé. Et maintenant qu'elle n'était plus certaine si Aël était dans le décor ou non, ça lui semblait être le bon moment pour avouer les choses qu'elles avaient toutes les deux tues. Tu n'es pas une mauvaise personne juste parce que tu as fait des erreurs. Tu as fait ton choix et je n'étais pas dedans. Ton erreur a été de prendre ta décision dans mon dos, pas de choisir Draggan. Ces mots lui écorchaient la bouche, mais ils étaient sincères. Elle avait eu du temps pour faire mijoter ses idées dans sa tête et avec le temps, elle avait réussi à se montrer compréhensive. Ou du moins pour un minimum. Ça ne disait pas qu'elle avait oublié, qu'elle n'avait pas souffert et qu'elle n'était infiniment jalouse, mais au moins, elle essayait de voir la version d'Absinthe avec lucidité, en faisant abstraction de ses propres sentiments. Ainsi, ce qu'elle blâmait, ce n'était pas le fait qu'elle avait dû faire un choix, mais la façon dont elle avait choisi. Ça ne l'empêchait pas d'avoir eu mal, d'avoir eu de la peine, mais elle aurait préféré qu'Absinthe rompe avec elle avant d'aller dans les bras de Draggan. Sans doute que ça aurait diminuer l'ampleur de sa tristesse. Mais les choses avaient été faites et il lui avait fallu apprendre à vivre avec.