/ echoes

l'oiseau effleure les restes du terrain d'entraînement. tant de souvenirs passés ici, tant de sueur coulée, tant d'âmes innocentes maintenant grandies et changées à tout jamais. il ose se souvenir des rires des enfants dont il faisait partie, des ordres et conseils qu'ils recevaient pour se former. maintenant, la végétation a repris ses droits et l'endroit est à peine praticable. pourtant, faucon se déplace avec aisance, ses membres fins effleurant chaque ronce et branche sans jamais se prendre dedans.

Faucon a fermé les yeux. Son cerveau se délecte de tout ce que ses autres sens, plus affutés, lui apportent. Le cri ténu des toucans, engagés dans leur danse de séduction. L'odeur humide de la mousse amenée presque à la décomposition tant elle est gorgée d'eau, essence nécessaire à sa survie et pourtant amenant probablement sa mort imminente. Et ce parfum inconnu qui navigue jusqu'à ses naseaux. En se concentrant, Faucon saisit même l'écho de ses pas, bien que leur son soit réduit par le sol adapté à la discrétion qu'offre la jungle. Les brindilles qui craquent légèrement. Les buissons qui s'écartent au passage d'une silhouette. Il sait qu'il y a quelqu'un et comme toujours, garde une impassibilité maîtrisée, à tel point qu'on le croirait absent. Il se retourne seulement lorsque l'inconnu le salue et une de ses oreilles s'incline vers lui. Il a déjà entendu cette voix. Une seule fois. Le mâle fait alors lentement demi-tour, présentant sa face blanche et déposant son iris glacé sur la silhouette de l'étalon qui lui fait face, à quelques mètres. Bonjour. Je t'ai déjà vu. C'est immédiat, Faucon ne tourne pas autour du pot et sa voix ferme ne s'inquiète pas du malaise qu'il peut créer chez les autres parfois.
Oui, il l'a déjà vu. Il le dévisage une nouvelle fois, comme la seule autre fois qu'il a pu le faire. Il détaille les traits qu'il n'a jamais oublié. Si certains poulains recensent leurs premiers souvenirs quelques jours voire semaine après leur naissance, Faucon lui se souvient avec une précision démente des premiers instants où il a embrassé le monde de sa vue atrophiée. Et dans le décor y trônait cet individu. Par ailleurs, Faucon sait parfaitement qui il est. Tu étais là le jour de ma naissance. Il parait que tu pourrais être mon père. Même s'il a grandi auprès de Draggan et qu'il restera pour le mâle son unique figure paternelle, il n'a jamais oublié ce doute que lui a confié sa mère quand il l'avait questionné sur l'étalon pie présent à ses côtés lors de sa mise-bas. Je ne sais pas lequel des deux est ton père. Il se souvient aussi qu'Adam lui avait confié qu'il se pourrait qu'ils soient demi-frères. Un doute persistant, des possibilités infinies. Faucon n'a qu'un père, mais peut-être un géniteur différent de celui-ci et cela, il ne l'a jamais mis de côté. Et enfin, le destin l'amène à lui. Il avance d'un pas, toisant le mâle sans agressivité, juste une neutralité glaçante. Tu te souviens de moi ? Ses mots sont dénués de provocation, semblent même polis. C'était il y a des années, certes, mais il se demande s'il a oublié son visage tâché de blanc et ses yeux dépareillés, peut-être héritage maudit venu de lui ? Ou peut-être l'a-t-il, lui, complètement oublié, préférant mettre au cachot ce doute qui peut devenir angoissant si l'on y pense trop.

Faucon ne se veut pas menacer. Il est bien content de tomber enfin sur lui. Depuis toujours, il cherche des réponses à ses questions. Je pense qu'elle a préféré te dire cela pour te décourager et cela semble avoir marché puisque tu n'es jamais revenu vers moi. Ses mots peuvent sembler rancunier, ils ne le sont pourtant pas tant que ça. Faucon a eu la présence d'un père dans son enfance, même si celui-ci a disparu ensuite. Il n'a pas manqué d'une figure masculine. Dans le cas contraire, peut-être en aurait-il voulu à cet étalon pie. Il s'approche encore d'un pas, le détaillant sans gêne. Elle ignore qui est mon véritable père. Vous l'avez.. saillie à peu d'intervalle. Le Nayati esquisse un sourire discret, un peu mesquin, un peu froid. Enfin, tu as l'air de vouloir entendre que je ne suis pas de toi pour être rassuré. Il détourne un instant la tête de lui, laissant apparaître son oeil aveugle et blanchâtre sans que cela ne soit vraiment volontaire. Faucon ne s'occupe jamais de cacher cela. Si tu n'es revenue ni vers elle ni vers moi et qu'elle semble te détester à ce point, il ne peut y avoir qu'une seule raison à cela. Sa voix semble détachée, pourtant elle vibre un peu. Il revient sur lui pour le poignarder de son unique oeil, tel un cyclope de glace. Elle n'était pas consentante, n'est-ce pas ? Il n'en a jamais parlé avec sa mère, préférant profiter de sa présence pour apprendre et recevoir son affection plutôt qu'entrer sur des sujets minés. La simple idée que sa mère ait été violée lui ferait hérisser l'échine de colère mais pourtant, comme à son habitude, Faucon reste impassible, conservant tous ses sentiments bloqués en lui, parfaitement maîtrisés et invisibles.