| nouveau départ |

Mon père est sorti, dit d'abord Aszio, tout en la fixant. Il serre les dents et garde un long moment le silence, comme pour la jauger, comme s'il tentait de savoir juste en la regardant si elle avait vraiment le droit de savoir. Et ma mère est morte. Il annonce ça d'une traite, sans vraiment avoir l'air triste. Il n'aime pas l'annoncer, il n'aime pas voir la pitié dans les yeux des autres après cette annonce.

Mais l'annonce du décès de Lövojka ne provoque pas un seul élan de pitié. Ceresia encaisse le coup, avec beaucoup de douleur. Son corps entier semble s'étreindre, se compresser sur lui-même, comme s'il désirait disparaître. Son regard cyan s'illumine davantage et donne à son regard un aspect blanchâtre. Les larmes montent, emplissent ses yeux d'une peine innommable, et se déversent sur son visage marqué par la douleur. "Comment ça ?" articule-t-elle du bout des lèvres, sentant sa salive quittait progressivement sa bouche la rendant bientôt sèche comme le désert. "Que lui est-il arrivé ?" Elle hurle ... Elle hurle de douleur, de colère, de peine. Un air de vengeance traverse l'esprit de l'ancienne Shaan.

Aszio ne s'attendait pas à ça. Il est étonné de voir l'inconnue quasiment effondrée à cette nouvelle. Si bien qu'il ne sait pas trop comment réagir, comme s'il se sentait obligé de devoir la consoler alors que c'est lui l'orphelin de mère. Mais contrairement à ce que tout le monde pense, Aszio n'a jamais vraiment vécu ça comme de la tristesse. Il ne l'a pas connue, elle peut difficilement lui manquer. Il n'a aucun souvenir auquel se raccrocher, sinon un bain de sang. L'isabelle se met à crier et Aszio abaisse ses oreilles sur les côtés, un peu penaud. Comme si c'était lui le coupable de tout ça. Elle n'a pas survécu à notre naissance, à ma jumelle et moi, explique-t-il lentement, détachant chaque mot avec précision.

Mais la réponse de l'étalon gris est d'une toute autre. Comment venger la mort de Lövojka alors que celle-ci est ... naturelle ? En vouloir aux deux enfants ? Absurde. Ceresia plisse les paupières, cherchant à dissimuler ses larmes qui continuent d'envahir ses yeux. "Ah ..." Elle ne trouve rien à en redire ; elle se sent désolée d'avoir over-réagi, d'avoir pensé un instant à tuer celui ou celle qui était la cause de sa perte. Pour défouler ses nerfs qui font bouillonner son corps, la bicolore s'approche de la pyramide. Sans prévenir, elle fait demi-tour dans une pirouette maîtrisée et envoie une panoplie de ruades contre la paroi rocheuse.

La jument ne donne pas plus de réponse à son annonce et Aszio la suit lentement des yeux. Ses iris ambrés la regardent frapper cette pyramide qui a vu trop de morts en son sein sans qu'il ne réagisse ni ne cherche à la stopper. À la place, il attend patiemment, s'écartant un peu de l'entrée pour attraper quelques brins d'herbe trop secs. Il soupire. Être ici lui pèse de plus en plus. Ce genre de réactions, de violence, il les a trop souvent vécues et trop souvent vues chez ses semblables.

La boule de nerfs s'apaise au fil du temps, laissant un léger panache de sueur sur son encolure. Elle revient vers l'étalon qui s'est mis à manger quelques touffes d'herbe. La lande de poussière non loin de la pyramide ne leur offre pas un repas digne de ce nom. L'ancienne Shaan inspire et expire profondément, savourant le battement de son pouls revenant à la normale. "Comment s'appelle ta jumelle ?" Histoire qu'elle sache quel est le nom de sa cousine éloignée.