Chance would have it

Il ne connait aucun endroit par ici et il a simplement marché toute la journée. Il a compris que ce qu'il croyait être une petite terre peuplée d'un troupeau de chevaux lambda semble bien plus vaste et hétéroclite que ce qu'il avait imaginé. Il est arrivé par le sud ; sans but précis il remonte vers le Nord, se remplissant de tous les paysages plus époustouflants les uns que les autres. N'ayant connu qu'une immense plaine herbeuse sans aucune perspective, tout ce qui sort de l'ordinaire dont il a fait sa norme lui semble incroyable. Et comme le hasrd fait bien les choses, il arrive ici alors que le jour décline. Le soleil flamboie dans le ciel, se vêtant de mille couleurs. Sous ses prunelles ravies, la montagne qui l'impressionne déjà par sa hauteur se pare d'une nuance magenta tout à fait imprévue. Dans un souffle, il s'immobilise. Rien ne peut l'empêcher de profiter du spectacle.

Assez vite, une odeur se fait sentir. C'est qu'il apprend vite ; l'épisode dans les falaises lui aura enseigné de conserver ne serait-ce qu'un dixième de son esprit sur ses gardes. ll jette un rapide coup d’œil lorsqu'on lui adresse la parole, mais une seconde à peine, de peur de rater un instant du déploiement de couleur. Il ne sent pas d'animosité chez la présence qui l'a rejoint, alors il murmure « oui. » et il se perd de nouveau dans le feu mauve qui embrase la montagne. Il s'y plonge, tout entier, il oublie où il est et qu'il n'est pas seul, il oublie vite ses leçons finalement. La vision provoque un grondement en lui, gonfle sa cage thoracique et il se sent ... heureux. Le genre de bonheur que seule la nature peut lui procurer, le genre de bonheur qu'il sait si fragile. Quelle chance d'être vivant. Il est heureux juste pour ça, pour avoir la chance de voir le piton, de sentir ses poumons se remplir d'air et l'herbe chatouiller ses membres. Lorsque enfin il tourne la tête vers l'inconnue, ses pupilles brillent d'un éclat particulier, d'un état qu'il ne retrouvera peut-être jamais. « C'est la première fois. » lâche-t-il à voix basse. Et ça explique tout.

Lentement, les couleurs se délavent jusqu'à disparaître. Skar est déçu, il aurait aimé que ça dure bien plus longtemps. Paradoxalement, c'est assez réconfortant de savoir que l'astre solaire disparaît au crépuscule ; se lève en illuminant l'aube ; et cela peu importe les petits sentiments des êtres mortels qui regardent par dessous. L'atmosphère change, elle perd son charme presque mystique, la nuit les entoure. Une brise se glisse entre eux, un frisson court le long du dos de l'étalon. Inconsciemment, il s'éloigne, juste un peu, de la jument. Vient-elle souvent ici ? Sa politesse guindée l'empêche de d'exprimer sa question à voix haute. En revanche, concernant les présentations d'usage, il se montre un peu moins empoté. « Enchanté Absinthe. » Il incline la tête en un salut aimable. « Mon nom est Skar. » Il lève la tête, fixe les étoiles. Au loin, le cri d'une chouette brise le silence.

Sans s'en rendre compte, un léger sourire étire l'une de ses commissures. Il coule un regard vers la jument qui observe le ciel, il suit son regard et observe lui aussi l'étoile polaire. Il l'a suivie, ces dernières nuits, attiré par sa lumière comme un marin cherche le phare du port. « Je viens ... d'assez loin en fait. Là-bas, il y a juste des plaines à perte de vue, pas grand chose. Rien d'intéressant, en fait. » Sa gorge se serre, il revoit dans un flash son père, son regard fou, les coups qui pleuvaient sur tout son corps. Il s'ébroue pour chasser les mauvais souvenirs. Il reprend la parole pour arrêter de penser. « Je suis arrivé ici il n'y a pas très longtemps en fait. Mais je ne sais pas si je vais rester. Bien que des endroits comme celui-ci m'y font sérieusement réfléchir. » Il envoie un sourire au piton, reconnaissant. « Et vous ? » Il est sincèrement curieux.