az-io

ASZIO ! Elle hurle à en cracher ses poumons, depuis de longues minutes, de longues heures (?) déjà. Elle ne sait plus. Elle ne compte plus. ASZIOOOO ! Elle se cabre, tourne sur elle-même, manque de trébucher. La sueur ruisselle sur son corps. Elle a tant galopé, fait tant d'allers-retours. Il ne lui a même pas dit où il allait. Tout ce qu'elle sait, c'est que désormais, il vit avec Nour. Mais où putain ? Elle a passé la nuit a cherché sa trace. Elle a parcouru l'entièreté des terres de Luanera à la recherche de la moindre effluve de son frère. Et c'est au bout de 5h qu'elle a enfin croisé son chemin. C'était comme tomber sur un trésor. A bout de force, elle l'avait pourtant pisté jusqu'ici. Ses yeux étaient rougis de fatigue. Ou de tristesse ? Elle était épuisée. Exténuée. Tout s'était enchaîné si vite. Elle n'avait même pas eu le temps d'assimiler la réalité : son père était mort. Pendant une journée entière, elle avait broyé le vide. Pas les ténèbres, pas encore. Rien que le vide. Elle ne réalisait pas. Maman était d'abord partie. Et maintenant, papa les abandonnait aussi. Elle avait vu la pyramide exploser et recouvrir pour de bon le corps de son père et elle avait enfin réalisé. Il ne reviendra pas. Il ne reviendra plus jamais. Elle avait assisté de loin à l'altercation entre Aszio et Asmund. Peu après, on lui avait ressassé les mots dits. Les paroles blessantes qui avaient fusé de chaque côté. Le désespoir de son frère. Les larmes de son père. Cette histoire l'avait ébranlée et longuement tiraillée. Elle avait ressenti une brutale colère envers eux. Une colère sans nom, où vous sentez les deux parties de votre cœur se déchirer sans pouvoir agir. C'était cette impuissance, cette injustice et cette violente séparation qui l'avaient poussée à s'isoler pendant plusieurs jours au fin fond de la pyramide, sans eau ni nourriture. Elle s'était laissée dépérir. Parce qu'elle n'avait plus goût à rien. Elle ne laissait personne approcher, personne l'aider. Elle refusait de voir quiconque et gardait le silence pendant toute cette période. Elle avait fini par s'accrocher à sa détermination inébranlable pour s'en sortir. Ni les conseils, ni les menaces de son père ou du reste de sa famille n'avaient fait effet. Elle était bien trop têtue pour écouter qui que ce soit. De toute façon, ils parlaient tous dans le vide. ASZIO ! Ses membres tremblent. Mais elle reste debout. Elle a beaucoup maigri. Elle a perdu la prestance qu'elle était destinée à avoir. De larges cernes soulignent ses yeux sombres. Hier, leur père est mort. Aujourd'hui, Aszio doit l'apprendre. Azara, à peine remise sur pieds -ou pas- s'était précipitée pour le retrouver. Elle manquait cruellement de sommeil, d'eau et de nourriture. Mais elle s'était infligée cela elle-même, par désespoir. Par peine. Une peine immense. ASZIOOOOO !  

Aszio était là, lorsque la pyramide s'est effondrée. Il était là mais personne ne l'a vu - ou n'a voulu le voir. Peu de temps après, Fiona était venue le trouver pour lui annoncer la triste nouvelle. Il avait été touchée qu'elle ait fait tant de chemin loin des siens pour le trouver. Et blessé que ça n'ait pas été quelqu'un d'autre. Il se souviendra toujours du regard méprisant de Bryséis, lorsqu'il faisait son discours. Visiblement, même elle n'avait pas pu - ou voulu - comprendre. Même elle n'est pas venu le chercher. Son oncle non plus. Ils l'ont déjà oublié. Depuis plusieurs jours qu'il a quitté les siens, Aszio commence à comprendre que c'est juste ce qu'ils attendaient. Personne n'a cherché à le retenir, personne. Et mieux vaut ne pas penser à Azara, sans quoi il commencerait à angoisser. Qu'est-elle devenue, dans tout ça ? Est-ce qu'elle pense à lui autant qu'il pense à elle ? Sûrement qu'elle ne pense qu'à sa jalousie envers Nour ! lui crie une voix dans sa tête. La voix de l'amertume, de la rancune. La tête baissée, il trottine dans les dunes, sans vraiment s'éloigner de la plage, parce qu'il n'en a pas envie. Certaines personnes lui manquent mais il est mieux ici et il le sait. C'est plus sain, pour lui. Pour sa santé, pour son moral. Pour son avenir, aussi. Il n'a pas maigri, son poil est brillant par l'eau salée, le sable, les rayons du soleil. On pourrait même croire qu'il a bonne mine - si seulement l'habit faisant le moine. Si seulement la couverture dont il se sert pouvait le soigner de l'intérieur. Mais il essaie. Avec Nour. Il est surveillé, il n'a pas le droit de se laisser aller. Là-bas, ils laissent crever leurs jeunes au fin fond de leur foutue pyramide. Heureusement qu'ils l'ont détruite, tiens ! Suite à une vague de colère, il donne un coup de sabot au sommet d'une dune, se prenant tout le sable dans la figure, renvoyé par le vent chaud. Il crache pour en ôter un maximum de la bouche et c'est là qu'il l'entend. Il fixe le sable, partout, autour de lui. Est-ce qu'il rêve ? Est-ce que ce n'est pas là ce qu'il espère plutôt que la vérité ? Triste, pensant à une chimère, il baisse la tête et reste immobile, perché sur sa dune comme un prince déchu.

Mais Azara continue d'avancer, de parcourir dune après dune dans l'espoir que son frère l'entende. A force de hurler, d'aspirer la poussière chaude qui émane du sable, elle sent sa gorge se serrer. Où est-ce le désespoir de retrouver son frère ? Non. Elle ne se laissera pas accabler par le désespoir. Elle doit continuer. Elle crie une nouvelle fois le prénom de celui qu'elle aime tant. Elle manque de trébucher sur une pierre que le vent venait de découvrir. Son boulet est touché et il se met à saigner. Elle s'arrête et regarde la blessure devenir écarlate. Boarf. Elle s'en occupera plus tard. Elle hurle une nouvelle fois et décide de se hisser sur l'immense dune qui lui fait face. Elle semble plus haute que les autres. Cela pourrait lui faire une vue d'ensemble. Elle s'élance au trot et parvient non sans difficultés à se hisser en haut de celle-ci. Le sable épuise deux fois plus les coureurs qui choisissent un tel terrain. Une fois là-haut, elle a à peine le temps de reprendre son souffle que ses yeux se posent sur une silhouette. La silhouette. Putain. C'est lui. Il est là. Elle n'en croit pas ses yeux. C'est presque trop beau pour être vrai. Mais les mirages, les rêves, Azara n'y croit pas. Elle ne veut pas y croire. L'illusion est toujours douloureuse lorsqu'elle disparaît. ASZIO ! Hurle t-elle une ultime fois. Elle le reconnaîtrait entre milles. Sans attendre, incapable de s'autoriser la moindre pause, Azara dévale la dune et les traverse une à une pour rejoindre son frère. Putain. Il est là. Le vent qui frappe son visage sèche l'humidité qui s'y était installée. Étaient-ce les larmes ? La sueur ? Peu importait. Elle l'avait retrouvé.

Azara s'arrête net à quelques centimètres de lui. Elle le regarde de haut en bas et ressent un profond soulagement de voir qu'il semble en bonne santé. Meilleure que la sienne en tout cas. Elle serre la mâchoire et cherche son regard. Ses yeux sont humides, à la fois touchée par les tragiques événements et émue de le revoir. Ooh Aszio.. Je.. Elle se rend compte qu'elle n'a ni le souffle ni la force de parler. L'entièreté de son corps ruisselle de sueur et sur ses longues jambes, on peut discerner de longues rivières sinueuses où s'est écoulé et s'écoule encore le fluide légèrement coloré de terre. N'y tenant plus, elle se jette dans ses bras et ferme les yeux. Putain, comme c'est bon de le sentir près d'elle. De savoir qu'elle n'est pas seule. Qu'ils ne sont pas seuls.  

Mais la voix résonne encore une fois. Aszio bouillonne de colère contre lui-même. Est-ce qu'il devient fou à ce point ? Tiraillé par le doute, il se retourne pour voir Azara élancée vers lui. Son coeur bondit dans son poitrail. Impossible. Et pourtant ! Il avance lui aussi dans sa direction, un peu hésitant d'abord car il ne sait pas comment elle va l'accueillir. Est-ce qu'elle est là pour le voir, enfin ? Il trouve son regard humide, son poil terne, ses cotes saillantes. Que lui est-il arrivé ? Bien sûr, les récents évènements appris peuvent lui donner un indice mais.. à ce point-là... Et si quelqu'un avait cherché à lui faire du mal ?! Il l'accueille contre lui en l'entourant de son encolure qui devient plus puissante de jours en jours. Il inspire son odeur, cela lui fait tellement de bien de l'avoir contre lui. Enfin. Il l'a attendue si longtemps, lui semble-t-il. Je suis tellement contente de te voir... souffle-t-il contre son encolure, avant de se décaler pour pouvoir ancrer son regard fauve dans le sien. Comment.. comment vas-tu ? demande-t-il, la gorge nouée. La réponse est évidente, mais il ne savait pas comment faire pour savoir ce qui l'a rendue dans cet état si lamentable.

Il l'accueille contre lui et c'est une vague de soulagement qui envahit Azara. Elle inspire son odeur si rassurante, si caractéristique. Elle a l'impression qu'ils se sont quittés depuis une éternité. Son corps amaigri contraste avec celui, musculeux, de son frère. Il devient plus fort de jour en jour et gagne en prestance. Ses mots réchauffent son cœur, soulagée de savoir que cette joie est partagée. Il se redresse et elle l'imite, son regard ébène rencontrant celui, fauve, de son frère. Mieux. Souffle t-elle. Elle reprend peu à peu une respiration normale. Mieux maintenant que je t'ai retrouvé mais.. Elle peine à soutenir le regard d'Aszio. Pourtant, ce n'est pas de la peur que l'on lit dans ses yeux. Ni de la honte. Une peine immense inonde le bord de ses yeux. Elle renifle péniblement. Papa est mort. Elle ne passe pas par quatre chemins. Comment le pourrait-elle ? La vérité est là. Elle ne peut pas la modifier, l'embellir. Les mots qu'elle prononce frappent à nouveau son esprit. Elle reste immobile, tremblante. Elle ne veut pas voir son frère souffrir, elle ne veut pas voir son frère s'en vouloir.. Elle est pratiquement sûre que ce sera le cas. Parce qu'elle aurait ressenti la même injustice, la même contrariété. Aszio et Asmund s'étaient quittés si brutalement.. Même Asmund s'en veut, de là-haut. Elle en est convaincue. Elle finit par quitter le regard de son jumeau pour glisser son encolure contre la sienne et presser son chanfrein contre son torse.

Mais pourtant, à ses mots, Aszio reste impassible. Il tente de garder le contrôle. La surprise de l'annonce est déjà passée, puisqu'il est déjà au courant. Azara ne semble pas savoir que Fiona est venue, avant elle, le chercher pour lui annoncer la triste nouvelle. Il baisse simplement la tête. Je sais. Fiona me l'a dit. C'est tout ce qu'il dit, parce qu'il a déjà pleuré et que recommencer ne sert à rien. Surtout, il doit être fort pour deux.

Mais la réaction d'Aszio n'est pas celle à laquelle elle s'attendait. Il ne tremble pas, ne pleure pas, ne hurle pas. Azara se redresse, surprise et presque..déçue ? Son frère hait-il leur père à ce point là ? Impossible... Je sais. Fiona me l'a dit. L'Ergienne écarquille les yeux. Alors elle avait été devancée ? Mais.. c'était à elle de.. de l'annoncer à son frère... c'était son rôle, son devoir. A cet instant précis, elle sent une vague de colère imprégner ses cellules. Elle oriente ses oreilles vers l'arrière. Elle s'en veut. Elle s'en veut d'avoir perdu du temps à être faible. A penser à son père. A son frère. A la mort. A l'avenir. Elle aurait du courir jusqu'à son frère pour le lui dire. Comme elle venait de le faire à cet instant précis, mais trop tard... Ah. Elle déglutit et quitte le regard de son frère. Elle rompt le contact en faisant quelques pas. Elle observe les centaines de dunes face à elle, pensive, perchée sur la plus haute.

Le jeune mâle la fixe, sans savoir comment réagir d'abord. Il est vrai que lui aussi lui en a voulu, quand il a appris la nouvelle et que ça n'avait pas été par elle en premier. Il aurait pensé qu'elle aurait tout de suite accouru pour lui annoncer, comme il ne pouvait pas être au courant autrement. Mais cela avait traîné. Tant et si bien que quelqu'un d'autre s'était chargé de cette nouvelle délicate. Il se rapproche d'elle et se place contre ses flancs, regardant lui aussi les dunes. On est plus forts que ça. Après tout, ils ont grandi sans mère et aujourd'hui qu'ils sont adultes, on leur enlève leur père. C'est trop tôt mais c'est dans la logique des choses - il devait partir avant eux, aujourd'hui ou demain. Aszio a beaucoup plus de recul depuis quelques jours qu'il sait ça, et c'est pourquoi il ne réagit pas comme Azara s'y attendait. Devant Fiona, il est passé par le déni, puis la colère, avant de finalement toucher une acceptation fragile au cours des jours suivants. J'ai aussi vu pour la pyramide. Eh oui, il est partout  Où vis-tu, maintenant ?

Elle acquiesce lentement, réfléchissant elle aussi. Elle sait qu'il a raison. Ils sont forts, ils peuvent surmonter cela. Mais visiblement, Aszio était plus solide qu'elle. En tout cas, à cet instant précis, il en avait l'air. Elle l'admirait pour cela. Elle se retourne brusquement et dresse les oreilles, étonnée. Tu étais là ?! Cette information la soulage autant qu'elle ne la frustre. Pourquoi ne s'étaient-ils pas rejoints C'était un moment symbolique qu'elle aurait aimé vivre avec lui. L'emplacement du nouveau camp devait peut-être rester secret pour l'instant, mais Azara ne voyait absolument aucun mal à le dire à son frère. Elle avait une confiance aveugle en lui. Au volcan ! On a trouvé une petite cavité alors on y a élu refuge

★ Il hoche lentement la tête. Il n'ajoute rien, ne se justifie pas de ne pas être venu plus près. Il aurait eu peur d'être rejeté. Et cette peur, cette impression désagréable, il l'a toujours. D'accord, fait-il simplement. Il n'ira pas, de toute façon. Il l'observe mieux et grimace, le coeur serré. Pourquoi.. pourquoi t'es dans cet état ? Cela lui brise le coeur de la voir ainsi. On croirait qu'elle n'a pas vu le soleil depuis des années ni mangé depuis des semaines. Et sa question est plutôt accusatrice pour le reste de sa famille, non pas pour elle si elle a pu être triste et vouloir s'enfermer. Mais personne ne veille sur elle alors, là-bas ? Quoi, ils ont plus de parents alors personne ne remarque plus que l'orpheline se laisse mourir ?! Voilà, il sent de nouveau la colère monter. Il aurait dû la forcer à venir vivre ici avec lui ! Il ne dit rien, attendant qu'elle réponse, tentant de retrouver son calme.

Ah. Oui c'est vrai. Azara avait oublié le détail de sa santé physique. Et mentale probablement. Elle tourne son visage pour regarder son corps. La vision de ses côtes saillantes lui arracha une grimace. Elle reposa son attention sur Aszio en soutenant son regard. C'est rien. Les événements récents m'ont juste un peu coupé l'appétit. Soupire t-elle, prenant cela à la légère. De toute façon, ce qui est fait est fait. Azara avait refusé catégoriquement toute nourriture qu'on lui proposait. Et c'était pas faute d'avoir essayé. Rien n'aurait pu la faire changer d'avis. Rien n'aurait pu lui redonner goût à la vie, en ces instants là. Excepté elle. Et aujourd'hui, elle avait retrouvé sa rage de vivre.