repentir

Enja était parvenue difficilement jusqu'ici. Pas franchement faite pour la vie en milieu si froid, elle avait également peu de repères pour trouver son chemin. Mais au moins, après des heures, elle était arrivée à bon port. Face à la statue de Lövojka, qui l'écrasait de sa prestance, même morte, elle se recueillait. Elle s'excusait, platement et silencieusement, l'échine courbée.

Les pas titubants de l'étalon noir l'avaient mené jusqu'à la grande statue de glace. Il espérait que le vent froid et la neige soulage un peu sa fièvre et les douleurs que provoquaient ses blessures. Il aperçut bien vite une jument, tête baissée près de la statue, qui semblait.. prier ? silencieusement. Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-il en s'appuyant sur un grand morceau de glace, le tachant légèrement de sang.

Une voix et une odeur la déconcentrent. Le froid avait beau anesthésier ses sens, elle reconnaissait désormais la fragrance du sang entre mille. Pour l'avoir tellement détestée. Ses iris sombres coulèrent vers un inconnu, qui ressemblait beaucoup à Njörd. C'en était troublant. Pourquoi fallait-il que le sang la pourchasse jusqu'ici ? « Que vous est-il arrivé ? » Elle avait omis de répondre à sa question, son attention attirée par cet attirail de blessures encore fraîches.

Le regard de Fléau était rivé sur cette inconnue. Il émanait d'elle une grande tristesse et autre chose qu'il n'arrivait pas vraiment à définir. Il haussa un sourcil, toujours contre la glace, et ne dévia pas son regard une seule seconde. A ton avis ? Il est évident que je me suis battu, lui répondit-il en haussant les épaules avant de grimacer légèrement.

Enja l'observait, d'un œil plus fermé qu'à l'accoutumée. Il la prenait pour une idiote ? Mais peut-être que sa question n'était pas assez précise. Elle poussa un bref soupir. « Le sang est devenu monnaie courante. » D'autant plus pour elle qui avait soigné nombre de malades. Elle avait beau avoir renoncé à ses fonctions, sa nature altruiste reprenait toujours le dessus. Aussi, elle prit de la glace, présente en bon nombre ici, et la tendit à l'inconnu. « C'est ce qu'il y a de mieux ici pour vous soulager. » Non seulement cela allait l'anesthésier, mais également stopper les saignements. Et comme elle ne savait pas si elle aurait eu son accord, elle avait préféré lui proposer de le faire lui-même de façon implicite.

Il haussa les épaules en entendant sa réponse. Au fond, elle n'avait pas tout à fait tord. Toute sa vie, il s'était battu, avait fait couler le sang de ses congénères, et son sang avait coulé également. Il y était tellement habitué que ça ne lui faisait plus rien. Qui fallait-il remercier pour ça ? Son père, très certainement. Lorsqu'elle lui tendit de la glace, Fléau la toisa quelques instants, les yeux légèrement plissés, avant de soupirer et de se décaler de la glace. C'est pas que je veux t'embêter jusqu'au bout, mais je peux pas atteindre mon garrot, j'ai trop de courbatures, lui dit-il d'une voix un peu moins froide, comme s'il était un peu plus détendu. Surtout que son garrot était sa blessure la plus importante, Filao avait mordu jusqu'à l'os et ça lui faisait vraiment mal même si par habitude, il ne disait rien. La peau au-dessus de son œil était également abîmée, mais ça ne lui faisait pas trop mal. De toute façon, il s'en fichait des blessures qu'il pouvait avoir, ça ne l'intéressait pas. Un petit silence se fit qu'il finit par rompre. Tu es guérisseuse ?

Finalement, une brèche dans son attitude froide s'ouvre doucement. Enja, après une seconde de flottement, s'approcha finalement pour apposer de la glace contre le garrot, sans même se soucier qu'il se crispe ou non. Elle avait appris à faire abstraction des sensations de ses patients quand c'était nécessaire. Mais il ne semblait pas broncher. Elle compressa la glace, en silence, avant qu'il ne le brise. « J'étais. » Un soupir s'ensuivit, profond, sincère. « Mais je suppose qu'on ne peut se soustraire complètement à ce qui nous compose depuis toujours. » Elle demeura ainsi plusieurs minutes, la base du bloc devenant rougeoyante à cause de la blessure encore fraîche et ouverte. Au moins, lorsqu'elle retira le bloc, le sang avait cessé de couler. Elle avait déjà repéré chacune de ses blessures, par automatisme. Elle prit un plus petit morceau de glace, qu'elle avait soustrait à un bloc plus gros d'un coup de sabot, et l'apposa contre le haut de l’œil et l'arcade. Autrement, il aurait l’œil boursouflé pendant un moment.