Endoloris //F//

L'étalon caramel arpente les allées de la vallée fleurie. Le soleil commence à se coucher mais Filao rechigne à rentrer au campement. Le jeune mâle avait pris l'habitude de dormir à la bel étoile. Avant de trouver un nid confortable, Filao cherche quelque chose à se mettre sous la dent. Un petit buisson de fraises ferait très bien l'affaire.

La vie semble avoir repris son cours. La douleur qui étreignait son cœur s'est apaisée. Elle a digéré le départ de Winterfell. Celui de Mahem aussi. Difficilement, mais elle a finit par l'accepter. Ils partent tous, de toutes façons. Alors pourquoi elle continue de s'étonner, à chaque nouveau départ ? A chaque abandon ? Elle serre les mâchoires. Elle les hait. Tous. Sans aucune exception. Ils n'ont aucune parole. Aucune.
La dorée s'est une nouvelle fois réfugiée à la clairière d'Iris. Ça fait maintenant plusieurs nuits qu'elle déserte le camp et qu'elle passe ses journées entières dehors à patrouiller. Ça l'empêche de broyer du noir. Ou d'avoir envie d'aller défoncer la gueule d'Aël. Absinthe finit par lever les yeux vers le ciel. Le jour commence déjà à décliner. Elle prend alors le pas pour rejoindre l'orée du bois, là où se trouve son petit nid. Sur la route, elle croise Filao la tête dans un buisson de fraises sauvages. Joueuse, elle lui mord la croupe avant de s'écarter rapidement pour éviter un mauvais coup. Ça lui apprendra à faire son gros goinfre.

La réaction de Filao est quasi immédiate. Devant son air faussement outré, Absinthe ne peut s'empêcher de pouffer de rire. Elle, avoir honte d'abîmer les fesses de son petit frère adoré ? Pas le moins du monde.
- Tu me tendais les fesses, je n'ai pas pu y résister, rigole-t-elle.
Et a vrai dire, elle l'aurait sans doute également fait s'il avait s'agit de Balsamine ou Edelweiss. Parce que la situation s'y prêtait, tout simplement. Absinthe ne sait pas résister aux blagues foireuses. Après avoir jeté un rapide coup d'œil au buisson fruitier, elle s'en approche et y fourre la tête pour choper quelques fraises. Bah quoi ? Ce qui est à lui est aussi à elle, non ?
- Tu viens de plus en plus souvent ici. Je sens souvent ton odeur, lui fait-elle remarquer, un sourire amusé encré sur ses lèvres.

Filao souffle bruyamment des naseaux en signe de mécontentement. " Il est vrai qu'elles sont craquantes mes fesses ! " fanfaronne t il. " Mais craquante ne veut pas dire croquante ! " peste t il en lui choppant une mèche de crins. Joueur. L'étalon a beau être devenu un bel adulte, il reste encore assez poulain dans sa tête. Un éternel enfant. " Oui, depuis la naissance de Hope, je m'éloigne un peu. " confesse l'étalon en se calmant un peu. Plus sérieux tout à coup. 

Absinthe ne l'écoute pas vraiment râler. De toutes manières, elle a tous les droits. Il est plus petit qu'elle et il lui doit le respect. Alors si elle a envie de lui croquer les fesses, c'est son droit. Et encore plus lorsqu'il squatte son endroit préféré.
Sa réponse lui fait un peu mal au cœur. Elle sent dans le ton de sa voix qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Est-il jaloux de la nouvelle venue ? Un petit sourire se dessine sur les lèvres de la palomino et elle tend son encolure pour effleurer celle de son petit frère avec tendresse.
- Alors ce petit coin de paradis sera le notre, souffle-t-elle en balayant la clairière du regard.

Filao adresse un regard espiègle à la jument dorée. " Ah oui ? Tu serais prêt à partager avec moi ? Tu sais bien que j'ai un appétit féroce ! " s'exclame t il de vive voix. L'humour était ce qu'il avait trouvé de mieux pour dissiper son malaise. Alors il en use et en abuse. Mais au fond de lui, cette pointe d'amertume ne cesse de picoter son coeur. Comment faisait-elle pour être indifférence à l'arrivée de Hope ? Pourquoi suis-je le seul à ne pas savoir partager ? L'étalon caramel garde un sourire amusé aux coins de ses lèvres, mais l'éclat de ses iris semble bien moins pétillant qu'avant.

- Tu es mon exception, avoue-t-elle en riant doucement.
Bien qu'elle soit plus que sincère en lui disant ça. Absinthe aime tous ses frères et sœurs et pourtant elle ne partagerait pas forcément cet endroit avec Balsamine ou Edelweiss.
- Tu sais Filao, moi aussi il m'est arrivé d'être jalouse de Balsamine et Edelweiss. Au début j'ai eu beaucoup de mal à partager maman, lui confie-t-elle en voyant son air préoccupé.
Cette période avait duré pas mal de temps d'ailleurs. Au moins jusqu'à l'adolescence des jumeaux. Ensuite ils avaient prit leur indépendance et les choses s'étaient tassées. Si bien qu'à la naissance de Filao, la palomino ne se sentait plus du tout jalouse. Et puis de toutes manières... Elle n'avait pas pu assister à sa naissance puisqu'elle avait quitté les terres de GS à ce moment là.

Filao stoppe aussitôt son rire railleur pour laisser place à une tête béate, mâchoire pendante. Comment avait-elle deviné ? Filao est un poil vexé que sa jalousie soit aussi visible aux yeux de tous, mais il est très vite rassuré lorsque sa grande soeur lui confie avoir été jalouse des jumeaux. " Ah oui ? " souffle t il, une voix troublée. L'étalon se racle la gorge, toute plaisanterie envolée. " Et.. comment as-tu fait pour passer au dessus de tout ça ? " demande t il, en sentant sa gorge se nouer. Même s'il aimait sa petite sœur du plus profond de son cœur, il n'arrivait pas à passer au dessus de ce blocage. Cette jalousie lui semblait insurmontable. " Et... est-ce que tu as aussi été jalouse.. de moi ? " demande t il d'une voix tremblante, réellement inquiet.

Absinthe est amusée de voir l'éclat de surprise danser dans le regard de son petit frère. Est-ce si difficile que ça à croire ? N'importe qui la connaissant un minimum saurait pourtant qu'elle est plutôt du genre possessive avec ceux qu'elle aime. Et surtout, pendant très longtemps, elle a été jalouse des demi-frères et sœurs qu'elle avait du côté de son père. Pire même, elle ne les supportait pas alors qu'elle ne les connaissait même pas. Pour elle, ils ne valaient rien. Ils n'étaient pas légitimes. Ils n'auraient jamais dû voir le jour.
- Le temps. Ils ont fini par grandir et avoir besoin de moins d'attention. Alors s'est passé, répond-elle avec un léger sourire. Non. Déjà parce qu'il y a eu Balsamine et Edelweiss avant toi et puis j'étais partie d'ici bien avant que tu naisses. Et lorsque je suis revenue, tu avais déjà quelques mois.
Et faut dire qu'il s'en était passé des choses, durant ce laps de temps.

Filao laisse retomber ses oreilles doucement, il est rassuré. Absinthe est une personne importante pour lui, une grande soeur de coeur comme de sang. Le jeune étalon redresse l'encolure pour se mettre à frapper le sol de l'antérieur avec vivacité, pour décharger sa frustration qu'il a longtemps accumulé. Même s'il est plus détendu, un doute subsiste. " Mais Hope... ce n'est pas pareil. Elle est si fragile. J'ai peur que Papa et Maman ne cessent de la surprotéger toute sa vie. " esquisse t il en détourant la tête, une lueur inquiète traverse son regard. " Et en plus ils ont nommé Irisviel comme marraine.   " ronfle t il, désabusé. C'était le pompon. Décidément Filao n'est vraiment pas prêteur.

Un sourire amusé se fraye un chemin sur les lèvres de la palomino lorsqu'elle entend son petit frère se plaindre pour la énième fois. Pour le détendre, elle lui donne un petit coup de nez dans la joue.
- Hope est particulière, c'est vrai. Mais elle aussi grandira et prendra son indépendance... Même si elle est fragile. Puis tu sais maman et Njörd sont comme ça. Il n'y a pas que Hope qu'ils surprotègent et qu'ils surprotégeront jusqu'à leur mort...
Filao semble rassuré, ce qui fait plaisir à Absinthe. Hélas, c'est de courte durée puisqu'il trouve une nouvelle chose à redire, cette fois ci au sujet d'Irisviel. Oups.
- Boarf, j'suis mieux comme marraine non ? Le taquine-t-elle avant de tirer doucement sur ses crins caramels.

Filao pousse un petit couinement lorsque Absinthe lui attrape les crins. Il réplique en s'accrochant à son oreille, comme il faisait lorsqu'il était poulain. " T'es pas ma marraine, t'es ma sœur. C'est mieux. " roucoule t il en déviant un peu le regard. Toujours un peu timide lorsqu'il s'agit d'exprimer ses sentiments. Sa grande soeur était une personne précieuse, au même titre que ses parents. Au fur et à mesure de leur discussion, l'étalon se détend, ses épaules se décrispent lentement, et son poitrail s'ouvre pour prendre une posture plus apaisée.

Absinthe sourit à la réplique de son frère. C'est vrai, elle n'est pas sa marraine mais elle aurait été prête à l'être si ça lui avait fait plaisir.
- Si c'est mieux alors je suis satisfaite, répond-elle d'une voix douce.
Son bonheur est aussi le sien, au même titre que son malheur est également le sien.
- Tu sais que tu as failli être tonton ? Lui confie-t-elle, un peu sur la retenue.
Et pour cause ; c'est la première fois qu'elle fait part de cette histoire à quelqu'un.