Shiro

S h i r o
[shilo] - Blanc

Chaque pas, chaque mouvement. Tout la rapproche de sa nouvelle vie. De ce nouveau départ qu'elle s'est promis de prendre. Ce nouveau pays est pour elle l'occasion de tout reprendre à zéro. De se reconstruire totalement. De cesser de rester bloquée dans ce passé qui l'a tant fait souffrir.
Mais, tout comme sol poussiéreux que ses sabot foulent depuis quelques longues heures maintenant, son cœur s'est asséché. Emplie de solitude et de remords malgré sa promesse, Meruem avance lentement vers la rédemption.

L'arabe rousse profitait de la chaleur du désert, les rayons cuisants lui caressant sa robe de bronze. Les yeux rivés vers l'horizon, attentive à tous les moindres détails de la lande, elle tentait d'apprivoiser cette terre qui lui avait tant volé. Les souvenirs qui y étaient logés étaient pénibles et douloureux, mais son amour pour les terres désertiques ne s'était jamais tari, malgré le nouveau départ qu'ils ont dû prendre pour se préserver. La rouquine ne se détourna que lorsqu'elle sentit une présence dans son dos, prudente, mais surtout méfiante.

Perdue sans ses pensée, ce fût une odeur - qui lui raviva quelques sombres souvenirs - qui tira Meruem de son monde intérieur. Redressant l'échine, la jument géante pointa les oreilles et ronfla des naseaux. Même si elle se doutait que la silhouette qui se dessinait devant elle l'avait très certainement déjà repérée, c'était pour la noire une question de politesse. Le Dragon marqua un court arrêt, analysant la situation avec calme. Cette odeur, elle en était certaine, appartenait à quelqu'un qu'elle connaissait. Mais qui ? Tout se bousculait dans sa mémoire, les trous laissés par le traumatisme refusant de s'éclaircir pour lui permettre de se souvenir. « Tsh. » Meruem rageait intérieurement. Tant et si bien qu'elle ne s'approcha pas de la jument. Pas tout de suite.

Sur le coup, ses muscles se tendirent, prête à détaler au grand galop pour fuir. Phoenix était du genre téméraire, mais face à un colosse, elle n'avait aucune chance. Sauf qu'elle s'arrêta de bouger pour observer, le parfum de l'inconnue lui ravivant quelques souvenirs. Putain j'y crois pas... À l'époqie, l'alezane était pleine de sa première fille, ça faisait longtemps. Meruem ?

Les mots de l'alezane laissèrent Meruem comme deux ronds de flanc. Elle avait bien entendu hein ? La jument inconnue venait de l'appeler par son prénom, elle n'a pas rêvé ? Redressant l'encolure en ronflant des naseaux, l'ébène fit un pas, puis deux, jusqu'à totalement engloutir la distance qu'elle avait jusqu'alors maintenue entre elles. Seul un petit mètre subsistait encore.
La Colossale profita de ce petit instant de flottement pour enfoncer ses prunelles d'or dans les yeux pleins de surprise de l'alezane ... jusqu'au moment où ... « Phoenix ... ? » Lâcha-t-elle, avec son reconnaissable accent à la japonaise. Cette fois, sa mémoire ne lui faisait plus défaut. C'était bien un vestige de son glorieux passé qui se tenait devant elle, aussi coite qu'elle.

Le doute n'avait plus de place dans son esprit et son regard. Elle avait la certitude de reconnaître la jument d'ébène, cette certitude féroce et infaillible. Mais elle ne pouvait pas voir la même chose dans les yeux de la colosse. Était-elle alors si oubliable ? Ça lui tirait presque un petit sourire en coin, amusée. Bah ouais, qui d'autre ? lança-t-elle, toute souriante avec son caractère habituel. Ça fait longtemps.

Jamais Meruem ne s'était attendue à recroiser sa vielle amie un jour. Elles avaient passé quelques temps ensemble il y a quelques années de cela lors d'une des nombreuses missions qu'elle avait dû effectuer pour son pays et dans les méandres de sa mémoire fragmentée, l'ébène ne se souvenait pas de ce pays. Mais plus d'un autre, plus vaste, plus accueillant. « Mais qu'est ce que tu fais ici ? » Son accent chante, bien que son parler dans cette nouvelle langue soit meilleurs qu'il y a des années en arrières. « Ton pays ne ressemblait pas à cela ... » Indélicate, Meruem ? Non. Juste totalement ignorante des drames qui s'étaient déroulés dans la vie de l'alezane. « Daijōbu ? » Tu vas bien ? « Depuis le temps ... » Un temps qui s'est avéré beaucoup plus néfaste pour l'une que pour l'autre ...

L'accent de la noiraude la fit sourire. Bien que la fluidité dans laquelle elle parlait la langue commune ici, les sonorités de sa langue d'origine ne disparaîtrait sans doute jamais, comme un héritage dont elle ne pouvait pas se débarrasser. La guerre et le chaos ont ravagé notre ancien pays. On a été forcés de migrer, pour notre survie. Bien qu'elle avait été un peu triste de partir, Phoenix savait que ça avait été pour le mieux. Surtout après avoir été forcée de travailler pour les forces ennemies. Elle aurait eu du mal à rester là-bas. Je vais bien, oui. répondit-elle après avoir fouillé dans sa mémoire pour se rappeler de ce que Meruem lui avait enseigné sur sa langue natale. Toi ?

Visiblement, sa vieille amie n'avait pas oublié les quelques temps qu'elles avaient passé ensemble et tout ce qu'elle avait pu lui apprendre comme mots et expression japonaises. À cette pensée, un faible sourire triste s'affiche sur le visage de Meruem, qui sent son cœur se serrer. À l'époque, Phoenix lui avait proposé de rester avec elle et de se joindre au peuple de son pays. Mais, trop loyale pour oser penser à la défection, l'ébène avait refusé et était partie, tout en lui promettant d'un jour revenir la voir ... Ce qu'elle n'avait jamais osé faire. « Moi ... » A-t-elle vraiment envie de raconter la période qui a suivit son retour sur ses terres natales ? Pas vraiment. Cependant, si l'alezane veux pouvoir comprendre pourquoi son amie se retrouve ici et dans un tel état mental ... elle va devoir lui tirer les vers du nez.
C'est un long soupir qui accueille ce moi, tellement désespéré, comme si Meruem se retrouvai à bout mentalement malgré toute la progression faite depuis la mort de son amant. « Est ce que tu connais le ... le ... » Les mots dans cette langue ne lui viennent pas. « Shin no hatsukoi ? » Le véritable premier amour. Celui qui ravage tout lorsqu'il disparaît de votre vie, qui vous laisse impuissante et complètement perdu après être parti.

Il était vrai qu'elles avaient passé de beaux moments ensemble. Meruem avait su être son seul support lorsqu'elle pensait être seule dans la terrible aventure d'être mère monoparentale en devenir. C'était sans doute en partie grâce à elle qu'elle avait su rester forte alors qu'elle voyait ses flancs s'élargir. Si je connais l'amour ? L'alezane n'était capable que de saisir quelques bribes de ce que disait la noiraude. Oui je le connais. Tu te souviens du prince des Sables qui avait été un vrai connard avec moi, le con dont je t'avais parlé la dernière fois ? Eh bien je suis avec lui depuis plusieurs années déjà. fit-elle avec humour.

Meruem écoute, en silence. Petit à petit, des brides de sa vie passée lui revient. Surtout les moments passés avec son amie. Comme des flashs. Mais ... « Sumimasen, yoku oboete imasen » Désolée, je ne me souviens pas très bien ... L'ébène baisse la tête un instant. Sa mémoire, depuis l'accident, n'est plus qu'un amas de fragments dont certains refusent de se recoller. Puis ... « Je suis sincèrement heureuse pour toi Phoé' » Murmure l'ébène, avec un sourire ravit. Quand elles s'étaient rencontrées, l'alezane n'était qu'une ombre, une future mère complètement paumée qui ne savait plus comment avancer correctement dans sa vie. Meruem avait alors tout fait pour l'aider du mieux qu'elle pouvait avant de partir, allant même jusqu'à faire traîner sa mission en longueur.
Mais aujourd'hui, le Dragon n'était plus que la moitié de ce qu'elle avait été à l'époque. Tant et si bien qu'elle se demande comment, après autant de temps, Phoenix à fait pour la reconnaître ... « Je l'ai connu aussi ... » Souffle la frisonne, à demi-mot. Elle n'est même pas sûre que son amie l'aie entendue ou comprise ...

L'alezane plissa légèrement des yeux devant l'air confus de sa vieille amie. Et même si elle ne saisissait pas l'entièreté de ses mots, elle vit dans son regard ce qu'elle voulait lui signifier. Pourtant, de son côté, elle se souvenait bien des moments qu'elles avaient partagé. Elle s'inquiéta un peu, avant d'être distraite par la suite. Tu as l'air triste en disant ça. fit-elle remarquer.

Bon courage pour ne pas pleurer en lisant avec cette musique

L'ébène pousse un long et douloureux soupir. Elle n'en a jamais parlé à personne. Son passé. Sa mémoire qui se fragmente. La douleur qu'elle ressent depuis la tragédie. Tous ces remords qui la rongent petit à petit, rendant quasiment impossible sa guérison. Ses démons. Ses peurs. Ses angoisses. Personne ne l'a jamais su ... mais personne ne le lui avait jamais demandé non plus. Pour tout un chacun, Meruem a toujours été quelqu'un de fort, tel un roc, fière et inébranlable. Et c'est l'image que la jument s'est toujours volontairement donnée.
Cherchant inconsciemment le regarde de la seule amie qu'elle aie jamais eue, la Colossale espère y trouver le courage qui lui manque pour enfin libérer son cœur. Tout ce qu'elle n'a jamais raconté à personne. « Tu te souviens lorsque je suis repartie dans mon pays malgré que tu m'aie proposé de rester ici, avec toi ... » Sa voix tremble légèrement, trahissant sa seule faiblesse. La fissure de son âme qui a réussi à ébranler son cœur et ses croyances. « Je t'ai répondu que je ne pouvais pas rester mais que je reviendrait bientôt ... cette promesse que l'on s'était faite de se retrouver un jour ... » Cette promesse que l'ébène n'avait pas vraiment tenue, malgré le fait qu'elle se tienne aujourd'hui devant Phoenix.

« Si je ne suis pas revenue, c'est que moi aussi, j'ai pu goûter au grand amour ... J'ai grandit à ses côtés. Du plus loin que je me souvienne, je l'ai quasiment toujours connu. Il était le fils du Roi et son destin était de devenir Roi à son tour. Le mien était de rester son ombre, mais sans jamais pouvoir ni avoir le droit d'espérer l'approcher. Seulement, nous avons été formés ensemble. Durant notre formation nous avons effectuées quelques missions ensemble. Les années sont passées et nous sommes devenus amis. » Elle marque une pause, faisant de son mieux pour choisir ses mots sans retomber dans sa langue maternelle. Sa mémoire éraillée la brûle et ses yeux s'embuent. Alors qu'elle n'a même pas encore abordé l'accident. « Nous sommes tombés amoureux. Nous savions que nous bravions un interdit tabou et fondamental du Clan, cependant il nous était impossible d'ignorer et de résister à nos sentiments. Avec lui, c'était comme si je me sentais enfin complète. Comme si j'étais plus que ce que j'avais été jusqu'alors. » Nouvelle pause, petit blanc. « Deux ans. Nous n'avons eu que deux ans. » Être obligée de revenir à cet instant précis de son passé provoque en Meruem une douleur si intense, qu'elle en a envie de vomir. C'est comme une tornade qui s'empare d'elle. Un ouragan si puissant qu'elle ne peux pas lutter. D'ailleurs, le Dragon ne cherche même pas à lutter. À quoi bon ?
À quoi bon se battre contre ce qui s'est déjà passé ? Pourquoi continuer quand vous avez tout perdu ? Quand vous n'avez plus rien ni personne ... Les membres de la frisonne tremblent. Ses oreilles bourdonnent et sa poitrine la fait tellement souffrir qu'elle peine à respirer. Cependant, ses prunelles d'or n'ont pas quittées celles de son amie, s'y raccrochant comme si sa vie en dépendait. Le souvenir affluent dans sa mémoire comme un tsunami si dévastateur qu'il est surprenant que la jument soit encore debout. « Un jour, son père nous a découverts. Lui, si conservateur, si puriste, si traditionnel n'a pas supporté de savoir son fils amouraché de quelqu'un comme moi, inférieure en tout. Et qui plus est, censée être une Ombre, sans avenir personnel et droit de décision. À ses yeux, je n'était plus qu'une traître et il fallait m'éliminer. Pour lui, tout était de ma faute car j'avais manipulé le cœur et l'esprit de son fils afin de pouvoir accéder au trône. » Sa voix se brise. Elle pleure déjà, mais ne s'en est pas encore rendu compte. Les larmes coulent le long de ses jouent sans sanglots. Elle se contentent de couler, sans plus vouloir s'arrêter. « Mais ce trône, ni lui ni moi n'en voulions. On ... on venait de prévoir de venir te retrouver. J'avais réussi à le convaincre de partir. De prendre sa liberté, de s'affranchir de son père. Mais il nous a surpris trop tôt. » Surpris ? Non. À bien y réfléchir, quelqu'un avait dû les dénoncer. Le secret était si bien gardé, personne dans le Clan ne les avait jamais surpris. Personne n'était au courant. Personne ... « Le Roi est entré dans une colère noire et a réclamé ma tête sur le champs. Ses gardes m'ont attrapée et ... au moment où le Roi allait se faire justice sans un regret ... il ... il ... son fils ... il ... » Les mot bloquent. Ses lèvres refusent de prononcer les derniers mots. Inconsciemment, Meruem rejette tout ce qu'il s'est passé. Elle sait que l'amour de sa vie est mort puisqu'elle l'a vu rendre son dernier souffle. Mais le Dragon n'y peux rien ... ses regrets sont tels que même la vérité semble trop fausse pour être acceptée. Malgré qu'elle sache. Au fond d'elle, que rien ne pourra jamais lui rendre sa vie passée.

La scène passe et repasse sans cesse devant ses yeux, brisant un peu plus l'ébène qui, malgré tous les masque qu'elle s'est fabriqués et a portés, ne peux rien rien cacher à sa vieille amie. Comment tient t'elle encore debout ? Elle même ne le sait pas. « Si je suis là aujourd'hui c'est qu'il s'est sacrifié pour moi ... il a pris le coup à ma place. » La vérité lui éclate à la figure, implacable. « Phoe ... kare wa shinde iru ... » Il est mort .... Et elle s’effondre, à bout de forces. Fragile. Détruite.
Remember it's just natural that we'll be there if you need help, far across the distance. Rest assured that our faith just won't die.

Phoenix conserva le silence pendant que la noiraude déballait son récit, s'attendant à une histoire triste. Mais pas triste comme ça. Elle s'attendait à un échec amoureux, à un rejet ou un truc du genre, mais pas à la mort. Dès qu'elle commença à comprendre ce qu'il se passait, là où son amie voulait en venir, son sang se glaça. Elle se crispa, fermant les yeux, mais tout en continuant d'écouter. Et tandis que la colosse lui livrait l'information, l'alezane se retrouva des années en arrière. En un instant elle revit toute la douleur qu'elle avait ressenti. Retenue en arrière par ses ravisseurs, en voyant l'appaloosa encaisser les coups les uns après les autres, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Elle le revit au sol, les yeux et le corps sévèrement endommagés, gisant dans son propre sang. Elle se souvenait de la douleur qu'elle avait ressenti en le voyant partir sans pouvoir aller à son chevet, sans pouvoir aller à son secours. Elle se souvint des soirs où elle s'endormait après avoir pleuré pendant des heures et des heures, vidée d'énergie et de ses larmes. Et malgré tout, il fallait qu'elle s'occupe de sa fille et qu'elle s'assure qu'elle ne se fasse pas tuer par leurs ravisseurs.
Sauf qu'elle avait eu de la chance.
Elle avait de la chance que Fiona, Red et Céleste tombent sur lui alors qu'il pouvait encore être sauvé, alors que tout le monde le croyait mort mais qu'il restait encore une faible chance qu'il puisse être sauvé. Elle avait eu de la chance de pouvoir le revoir en vie, même s'il était aveugle. Elle avait de la chance de l'avoir toujours à ses côtés malgré tout.
Alors même si elle pouvait comprendre la douleur de son amie, elle n'avait pas la prétention de savoir entièrement ce que ça faisait de perdre l'amour de sa vie.
L'alezane rouvrit les yeux pour les poser sur la noiraude au coeur brisé. Elle s'approcha doucement, ne sachant pas trop quoi faire. L'enlacer ? Elle ignorait comment elle le prendrait. Elle lâcha un petit soupir. Je suis vraiment navrée, Meruem. souffla-t-elle doucement.